En France, 2012 est une année éminemment politique qui voit se succéder la présidentielle et les législatives. Mais sur la planète Marvel, 2012 est également une année clef. Avec pas moins de quatre films de super-héros prévus en salles, 2012 sera la consécration du passage des « strips » au grand-écran pour tous les super-héros de la célèbre firme. Un rendez-vous que certains attendent avec impatience. Comment interpréter cet engouement mondial pour les super-héros américains ? Quel rapport entretient-on avec ce genre hyper politisé ? Que révèle-t-il de l’Amérique d’hier et d’aujourd’hui ? Les super-héros sont connus pour cultiver le mystère… Levons le voile sur l’identité secrète d’une tendance culturelle moderne.
On a beaucoup écrit sur les super-héros et pas toujours en bien. D’abord culture de niche en dehors des États-Unis où il voit le jour, le genre s’est peu à peu imposé comme une composante essentielle du courant culturel issue de la mondialisation, la culture mainstream.
Naissance : l’ombre de la guerre
Le genre est né aux États-Unis durant l’entre deux guerre. Héritier des pulps ou « pulp magazines » – publications peu coûteuses, très populaires aux États-Unis durant la première moitié du XXe siècle qui publiaient principalement de la fiction et abordaient divers thèmes – le genre des « super-héros » se développe sur le même support : les comics books.
Le premier de ces héros à voir le jour sur le papier de mauvaise qualité de ces magazines à quatre sous est Superman, publié en juin 1938 chez Action Comics. Suivront ensuite Batman, Captain America et tous les grand héros qui inondent aujourd’hui nos téléviseurs, ainsi que bien d’autres qui, pour l’heure, sont encore sur support papier. Le genre « explose » entre 1939 et 1941, en pleine Seconde Guerre Mondiale.
À cette époque, alors que l’Amérique est encore en récession économique des suites de la Grande Dépression (1929), les auteurs de comics books politisent de plus en plus leur propos. C’est à cette époque que naissent des héros « super-patriotes », comme Captain America, qui affronteront saboteurs japonais et savants nazis. L’engagement de ces auteurs – souvent juifs new-yorkais issus des quartiers pauvres – devance l’engagement du pays. Après l’attaque de Pearl Harbor en 1941, cette tendance sera de plus en plus assumée. Au point qu’après la Seconde Guerre Mondiale, les éditeurs décideront de freiner la production de ces histoires de peur que les lecteurs n’associent le genre au traumatisme de la guerre. Les super-héros s’effacent au profit des séries d’humour adolescents (précurseurs des sitcoms) ou des romances comics. Côté aventure, les éditeurs plébiscitent d’autres genres comme les policiers, les westerns ou la science-fiction. Seuls quelques héros de premier plan survivent à cette disette du genre, comme Batman, Superman ou Wonder Woman.
Renaissance : la maturité de l’engagement
Nombre de super-héros renaîtront de leurs cendres à l’apogée de la Guerre Froide dans les années 1954-1955, avec l’anti-communisme. La population sans cesse sous le coup de la menace d’un conflit mondial nucléaire retrouve avec joie ses figures protectrices éminemment symboliques, et le genre connaît à nouveau un engouement spectaculaire à partir de 1960.
Bien qu’influencé par les événements politiques de l’époque, le genre échappe cependant à une bipolarité manichéenne tranchée. Il n’y a pas que les bons d’un côté et les méchants de l’autre. De même, les personnages trop orientés propagande ne marchent pas et les super-héros sont plus souvent appréhendés par le public comme des aventuriers plutôt que des héros politiques. Certains « vilains » passent ainsi du bon côté et finissent même par avoir leur propre série de super-héros comme c’est le cas pour la Veuve noire.
C’est également dans cette dynamique, vers 1965, que se développe dans les aventures de super-héros une conscience de gauche. Le pacifisme voit le jour et certains personnages (souvent de second plan) incarnent les voies politiques non-officielles des États-Unis. En marge, l’engagement des super-héros est de plus en plus social.
Les super-héros dans le monde
Lancé par ces années prolifiques, le genre connaît des haut et des bas et commence une carrière internationale. Il est exporté notamment en France par des magazines comme Strange [1] qui traduisent et éditent les histoires de Thor, Spider-Man, Hulk et tous les autres. Le genre ne connaît cependant pas l’engouement populaire dont il bénéficie aux États-Unis, sans doute en raison du fort contexte états-unien des histoires. Écrites pour un public américain, et nées dans un contexte de protectionisme très développé, ces fictions se passent toutes aux États-Unis et s’adressent en priorité aux Américains. Ailleurs dans le monde, le genre « super-héros » est encore considéré comme une culture de niche. La dimension tentaculaire du genre qui multiplie les séries et les figures héroïques n’hésitant pas à faire se rencontrer héros et vilains de séries différentes, à croiser les histoires, voire à faire en sorte qu’elles se complètent, donnent également à ce genre un aspect fermé. Seul les cooptés, les passionnés de toujours peuvent se retrouver dans cet univers complexe.
La véritable naissance des super-héros à l’étranger adviendra donc avec le développement du septième art. Le cinéma a toujours été tenté par l’adaptation de ces fictions qui disposent a priori de tous les élements d’un blockbuster.
C’est la trilogie Spiderman de Sam Raimi qui marque le début du succès des super-héros au boxoffice mondial et l’avènement du genre dans la culture dite mainstream. Satisfait par l’expérience, l’un des principaux éditeurs de comics de super-héros, Marvel – l’autre étant DC Comics –, s’engage dans l’aventure en créant son propre studio (racheté par la suite par Disney). C’est de son fait qu’ont déferlé sur nos écrans les adaptations de Iron Man, Thor, Captain America et depuis peu Avengers qui les réunit tous dans une aventure spectaculaire. Chaque fois, ces films rencontrent un public et un succès plus grand que le précédent, au point que les studios Marvel affichent clairement leur intention de développer leurs personnages comme des franchises. Ils appliquent ainsi le modèle qui a réussi à leur développement sur support papier. Le cinéma qui ne savait pas encore très bien où classer ces films à mi-chemin entre l’aventure et la science-fiction s’apprète à voir naître un genre nouveau : les films de super-héros !
Cet article a été écrit avec l’aimable collaboration de Jean-Marc Lainé, coauteur de Nos années Strange 1970/1996 (Flammarion).
[1] Voir Nos années Strange 1970/1996, Sébastien Carletti et Jean-Marc Lainé, Flammarion, 2012, 176 pages, 25 €.
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