Le 12 novembre 1996, l’Union européenne a mis fin au dimanche sans travail. L'Allemagne ne s'est pas laissée faire.
DANS L'AFFAIRE C-84/96, la Cour de justice de l’Union européenne devait se prononcer sur un recours en annulation intenté par le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord. Était notamment visée la fixation au dimanche du jour de repos hebdomadaire (dans l’article 5 deuxième alinéa de la Directive 93/104/CE concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail).
La Cour de justice de l’UE a dit pour droit, au § 37 de son arrêt : « Le Conseil est resté en défaut d’expliquer en quoi le dimanche, comme jour de repos hebdomadaire, présenterait un lien plus important avec la santé et la sécurité des travailleurs qu’un autre jour de la semaine. Dans ces conditions, il convient d’annuler l’article 5, deuxième alinéa, de la directive. »
Par ces quelques lignes mettant en doute le dimanche comme jour de repos hebdomadaire, l’Union européenne a mis fin à un acquis social et une tradition centenaire, toujours vivants dans tous les États membres. Désormais le dimanche n’est plus le jour de repos hebdomadaire pour tous. Cet arrêt est à considérer comme un acte politique des institutions européennes, même si la Cour se cache derrière des arguments de droit.
Expériences outre-Rhin : le dimanche est protégé par la Constitution
L’Allemagne ne s’est pas privée d’une riposte musclée.
La protection du dimanche en tant que jour de repos hebdomadaire figure à l’art. 139 de la Constitution de Weimar (1919) et plus tard dans la Loi fondamentale pour la République fédérale d’Allemagne : « Les dimanches et jours fériés légaux restent protégés par la loi en tant que jours de repos physique et de recueillement spirituel ». L’art 139 de la Constitution d’Allemagne portant protection du dimanche est reconnu comme étant la concrétisation d’autres droits fondamentaux et libertés publiques des citoyens.
En 2007, la Cour constitutionnelle fédérale était appelée à statuer sur la constitutionnalité de la loi régionale du Land Berlin relative aux heures d’ouverture dans le commerce, notamment en ce qu’elle autorisait l’ouverture des magasins les quatre dimanches de l’Avent sans distinction (1 BvR 2857/07 et 1 BvR 2858/07 du 1 décembre 2009).
Dans son arrêt, la Cour constitutionnelle fédérale d’Allemagne a instauré sept garde-fous pour protéger le dimanche libre :
- Protéger le dimanche libre et protéger les droits fondamentaux : même combat. Le droit au dimanche comme jour hebdomadaire de repos concrétise d’autres droits fondamentaux opposables comme la liberté de religion et de culte, la santé et l’intégrité physique, la protection du mariage et de la famille ou encore la liberté d’association. Soulignant que le dimanche et les jours fériés servent l’homme, limitent l’aliénation économique et le consumérisme, les juges constitutionnels ont établi un lien entre le dimanche et la plus haute aspiration d’une Constitution : promouvoir la dignité humaine de tous les citoyens.
- Il n’y a pas d’exception à la règle.
- Si exception il y avait, elle devrait répondre à un intérêt public majeur général. D’une part, la Cour restreint les exceptions. Toutefois, même pour les rares cas d’exceptions, la Cour impose ses conditions. Ainsi, le principe de proportionnalité doit être appliqué : plus les heures d’ouverture sont longues, plus exigeante doit être la preuve d’intérêt public, et plus exhaustif doit être l’argumentaire. « Assouvir l’envie de shopping » ou un intérêt économique de l’entreprise ne justifient pas l’ouverture dominicale des commerces.
- « Faire des courses » ne promeut pas le recueillement spirituel ni l’intégrité physique. La Cour constitutionnelle a confirmé que « faire des courses » est une activité ordinaire exécutée en semaine. Par conséquent, peuvent également être refusées les demandes visant l’autorisation d’évènements à caractère commercial organisés le dimanche (journées portes ouvertes) car ils nécessitent un nombre important de salariés et détériorent le caractère public du jour de repos.
- La protection du dimanche s’applique aux 24h. Toute la journée dominicale est protégée, et non seulement les horaires des cultes. Le caractère public particulier du dimanche s’applique à l’ensemble de la journée.
- La loi fondamentale protège le dimanche intentionnellement afin de valoriser la tradition chrétienne. La Cour constitutionnelle fédérale précise que nul ne saurait mettre en question le dimanche au profit d’autres jours fériés promus par d’autres religions.
- La protection du dimanche représente un droit opposable collectif et individuel. Collectif car cet arrêt a été obtenu par les deux grandes Églises catholique et protestante en Allemagne. A la suite, d’autres entités de droit public pourraient porter plainte en cas d’ouverture dominicale de commerce. En reconnaissant le dimanche libre comme concrétisation d’autres droits fondamentaux opposables comme la liberté de religion et de culte, l’intégrité physique, la protection du mariage et de la famille ou encore la liberté d’association, la Cour fédérale constitutionnelle ouvre également la possibilité pour tout citoyen d’attaquer en justice toute autorisation de commerce dominical.
Quelles solutions apporter aujourd’hui ?
La mise en œuvre de l’arrêt C-84/96 est un acte politique obéissant aux majorités au moment du vote. Le Parlement européen doit décider sur la Directive 93/104/CE concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail ensemble avec le Conseil des ministres (représentant les 28 gouvernements nationaux). Par conséquent, il faut anticiper la composition du 8e Parlement européen qui sera élu le dimanche 25 mai 2014.
Dans le cadre de la campagne électorale aux élections européennes 2014, le Collectif des amis du Dimanche pourra alors contacter tous les candidats au Parlement européen et leur faire signer la promesse électorale de passer outre la Cour de justice de l’UE et de voter en faveur de la réintroduction du dimanche comme jour hebdomadaire de repos dans cette directive.
Également sur le plan politique, il convient de « faire comme les Allemands » et d’inscrire le caractère particulier du dimanche dans la Constitution de la Ve République.
Enfin, la stratégie juridique du litige stratégique (strategic litigation) n’est pas un privilège réservé aux autres. Les arguments avancés au cours de la procédure allemande peuvent également servir pour alimenter les procès contre l’ouverture dominicale des commerces en France.
Tobias Teuscher est secrétaire de l’intergroupe « Famille, droits de l’enfant et solidarité entre les générations » du Parlement européen
Texte de la communication de l’auteur au meeting "Touche pas à mon dimanche", Paris, 18 novembre 2013.
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