La Hongrie se dotait le 18 avril d'une nouvelle loi fondamentale. Celle-ci a été votée à une écrasante majorité, 262 voix pour, 44 contre, plus une abstention. Elle entrera en vigueur le 1er janvier prochain. Cette loi fondamentale rappelle l'importance de la dignité de la personne, de la protection de la vie et de la famille qui se base sur le mariage entre un homme et une femme. Depuis qu'elle a été votée elle est violemment attaquée.
Le débat qui a eu lieu le 8 juin au parlement européen témoigne de la violence de ces attaques. Sous forme de questions/réponses, nous reproduisons l'analyse de ce débat publié sur le site de l'European Dignity Watch.
Cette analyse distingue opportunément les critiques objectives de celles qui refusent les principes qui sous-tendent la nouvelle constitution hongroise pour des motifs idéologiques (traduction française du texte de la nouvelle loi fondamentale hongroise par l'ambassade hongroise aux Etats-Unis) :
1e question : le Parlement européen est-il compétent pour débattre sur une constitution nationale ?
Les compétences de l'Union européenne en matière de droit national sont strictement encadrées par les traités et la jurisprudence de la Cour de Justice. Quelques remarques préliminaires s'imposent.
Une assemblée parlementaire est légitime pour discuter de tous les sujets. Cependant, elle ne peut voter que dans les limites de ses compétences. Si elle ne respecte pas cette règle, au minimum la procédure est nulle et au plus cela peut constituer une forfaiture.
Le droit national est autonome par rapport au droit européen pour toutes les questions relevant de la compétence exclusive des Etats. Cependant, il est vrai que depuis l'arrêt de la CJCE du 13 juillet 1972, Commission c/ Italie, il est clairement affirmé que les constitutions nationales ne sont pas un obstacle à la primauté du droit de l'Union. Sans doute, mais cela ne saurait préjuger de la validité d'une norme constitutionnelle dans l'ordre juridique national. En effet L'Union respecte l'égalité des États membres devant les traités ainsi que leur identité nationale, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, y compris en ce qui concerne l'autonomie locale et régionale. ainsi que le stipule le paragraphe 2 de l'article 4 du T.UE.
La seule procédure utilisable pour l'Union européenne contre une constitution nationale serait l'arme ultime de l'article 7 du T.UE qui permet de suspendre certains droits d'un Etat membre en cas de violation par celui-ci des valeurs de l'Union telles qu'énoncées à l'article 2 de ce même traité. Cette éventualité apparaît très peu probable. Il n'existe aucun précédent.
Les rapports entre les constitutions nationales et le droit de l'Union sont très complexes. La récente décision de la Cour constitutionnelle allemande du 30 juin 2009 suffit à le démontrer. De nouvelles batailles jurisprudentielles avec la Cour de Justice sont plus attendues que les débats sans lendemain de l'assemblée des représentants des citoyens européens.
2e question : cette constitution a été élaborée par un parti unique. Est-ce un coup d'Etat ?
Le parti majoritaire Fidesz a obtenu 53% des voix en 2010. Cette position lui a permis d'engager une révision de la Constitution de 1990 selon les règles en vigueur. Ce n'est donc absolument pas un coup d'Etat ! Les partis d'opposition ont été invités à participer aux travaux du pouvoir constituant, ce qu'ils ont refusé. Cet état de fait ne relève donc pas de la volonté du parti majoritaire.
L'absence de référendum n'est pas choquante en soi. Dans l'Union européenne même, le Traité établissant une Constitution pour l'Europe de 2005 a été adopté dans plusieurs Etats membres sans référendum. De plus, dans les pays où le référendum était négatif (France, Pays-Bas, Irlande), la ratification a tout de même été effectuée, sans respecter le résultat du référendum. La participation des citoyens hongrois à l'élaboration de la Constitution a été assurée par de larges consultations publiques. Enfin, il faut rappeler que comme dans toute constitution qui se respecte, la Loi fondamentale de 2011, à l'article S des dispositions préliminaires, prévoit la possibilité d'amender la constitution à une majorité renforcée des membres du Parlement. Lors de la prochaine alternance, le parti d'opposition pourra donc effectuer les modifications qui lui semblent indispensables.
3e question : le Préambule est-il trop nationaliste ?
Le Conseil constitutionnel français fait référence au Préambule de la Constitution de 1958 afin de doter la France d'un catalogue des droits fondamentaux absents de son texte constitutionnel proprement dit. Ce ne devrait pas être nécessaire avec la Constitution hongroise. Le Préambule trouve sa vraie valeur en retraçant les éléments historiques fondamentaux qui ont construit la nation hongroise. C'est son rôle de reconnaître les valeurs et les faits qui marquent l'identité nationale de cet Etat.
4e question : le nouveau droit électoral vise les hongrois étrangers. Est-ce légitime ?
Il y a 2 millions de hongrois non-nationaux en Roumanie, 500.000 en Slovaquie, 300.000 en Serbie, et des minorités hongroises en Autriche et en Croatie. Une Loi cardinale prévue à l'article G de la nouvelle Loi fondamentale hongroise permet à ces populations d'acquérir la nationalité hongroise. Une triple condition existe : les personnes étrangères d'origine hongroise doivent en faire la demande volontaire, elles doivent parler le hongrois et elles doivent avoir une ascendance hongroise.
Que nous dit le droit international public à ce sujet ? Seul l'Etat est compétent pour règlementer sur la dévolution de la nationalité. Un individu peut parfaitement avoir deux nationalités sauf si un des Etats le refuse. Il devra alors choisir. Cependant la Cour internationale de Justice de La Haye le 6 avril 1955 dans l'affaire Nottebohm rappelle que la nationalité doit être effective pour pouvoir être opposable aux autres Etats.
Concernant, le droit électoral qui pose problème pour les commentateurs, il faut donc affirmer que les dispositions constitutionnelles hongroises concernant la nationalité ne portent pas atteintes à la souveraineté des autres Etats. Au vu des faits de l'affaire Nottebohm, la nationalité de ces citoyens devrait être considérée comme effective.
La problématique de cette Loi est donc exclusivement politique. Les relations de la Hongrie avec ses voisins pourraient se détériorer. Sans doute, cela peut être critiqué politiquement, mais cependant il ne peut être considéré comme une infraction contre le droit international.
5e question : cette constitution ne permet pas l'alternance politique avec les révisions législatives à la majorité qualifiée. Est-ce démocratique ?
Toutes les constitutions nationales prévoient la présence de règles particulièrement importantes qui ne peuvent être révisées qu'à une majorité qualifiée. C'est le cas par exemple de la Constitution française avec les lois organiques. La Loi fondamentale hongroise prévoit que 26 lois seront votées à la majorité des 2/3 au lieu de 27 dans l'ancienne constitution. L'alternance politique demeure parfaitement possible mais ces matières, jugées particulièrement importantes pour les hongrois, nécessiteront une coopération des partis politiques au pouvoir afin d'être révisées.
6e question : les discriminations envers les personnes homosexuelles ne sont pas mentionnées. La constitution hongroise est-elle homophobe ?
L'article XV de la Loi fondamentale prévoit l'égalité de toutes les personnes devant la Loi. Toutes les discriminations sont prohibées par l'adjonction du complément en toute circonstance . Si l'orientation sexuelle n'est pas mentionnée, elle est donc sous-entendue et sera protégée devant les tribunaux hongrois au même titre que les prohibitions plus classiques reprises dans cet article. Aucune disposition discriminatoire à l'égard des personnes homosexuelles n'est à relever dans le reste de la Loi fondamentale.
Enfin la Charte des droits fondamentaux de 2001 s'applique en Hongrie. Elle prévoit expressément l'interdiction des discriminations des personnes en raison de leur orientation sexuelle dans son article 21.
7e question : cette constitution donne une définition traditionnelle de la famille. Est-elle discriminatoire ?
Le Préambule mentionne la famille et la nation comme les structures principales de la vie en communauté. Les valeurs fondamentales de cette cohésion sociale sont la fidélité, la foi et l'amour. L'article L des dispositions préliminaires mentionne la famille comme le socle de la survie de la nation. Les hongrois veulent clairement développer une politique familiale et encourager la natalité dans leur Etat. La situation démographique catastrophique actuelle en Europe est certainement une justification suffisante du bien-fondé de cet article. En outre, cet article ne mentionne pas les pactes civils de solidarité qui peuvent s'établir entre personnes du même sexe ce qui ne préjuge pas de cette éventualité en Hongrie.
8e question : La constitution ne garantit pas le droit à l'avortement . Interdit-elle l'avortement ?
Il faut rappeler qu'aucun Etat, aucune déclaration de droits n'affirme un droit à l'avortement. L'avortement est autorisé sous certaines conditions dans certains Etats.
La dignité humaine est inviolable. Tous les êtres humains en devenir ont le droit à la vie et à la dignité humaine ; la vie embryonnaire et la vie du fœtus doit être l'objet de protections dès l'instant de la conception. dispose l'article 2 du catalogue des droits fondamentaux de la Loi fondamentale hongroise. Cet article ne remet pas en cause la loi hongroise en vigueur sur l'avortement comme le rappelle un communiqué du gouvernement hongrois. Il annonce plutôt une politique en faveur de la protection des enfants à naître ce qui passera certainement par la proposition aux femmes enceintes en difficulté d'alternatives à l'avortement.
9e question : les minorités ethniques sont-elles assez protégées ?
L'article XXIX de la Loi fondamentale dispose expressément que la Hongrie respecte les personnes non hongroises vivant sur son territoire. Elles ont le droit d'utiliser leur propre langue, de promouvoir leur propre culture et d'être éduquées dans leur langue maternelle. Elles peuvent en outre s'auto-administrer tant au niveau local que national. Les minorités ethniques n'ont donc rien à craindre de la lettre de la constitution. Il faudra attendre les premières jurisprudences de la Cour constitutionnelle pour connaître le degré de protection qui s'appliquera réellement aux minorités.
10e question : la protection de l'environnement est amoindrie ?
L'article XX de la Loi fondamentale replace la protection de l'environnement dans le droit plus global de chaque personne de vivre dans un environnement sain. La protection de l'environnement est clairement identifiée comme un objectif politique. L'interdiction de principe des OGM est toutefois surprenante.
11e question : les compétences de la Cour constitutionnelle sont-elles suffisantes ?
L'article XXIV de la Loi fondamentale hongroise garantit l'indépendance des juges constitutionnels, leur donne clairement mandat de protéger les droits fondamentaux, d'effectuer les contrôles de légalité et de conventionalité et d'annuler le cas afférent de telles législations.
12e question : la Cour constitutionnel ne serait pas compétente en matière fiscale.
Les commentateurs ont du mal lire le texte.
L'article XXIV n'exclut aucune loi du contrôle de constitutionnalité. Seul l'article XXVIII pourrait encadrer l'appréciation des juges dans l'interprétation de la Loi fondamentale. Il dispose en substance que l'interprétation des juges doit être conforme aux objectifs des lois et de la Loi fondamentale. Cet article privilégie une méthode d'interprétation téléologique fondée sur l'idée que les matières morales et économiques doivent êtres conforme au bon sens et être au service du bien commun.
L'article XXXVII limite effectivement les compétences de la Cour constitutionnelle pour l'adoption du budget mais avec un encadrement particulièrement rigoureux. Cet article ne s'applique que si la dette nationale excède 50% du PIB. Pour mémoire, les traités interdisent en principe d'avoir une dette nationale supérieure à 60% du PIB...
Cet article limite seulement les matières sur lesquelles la Cour pourra exercer son contrôle. Elle reste en permanence compétente pour juger toutes les règles pouvant porter atteinte à la vie et à la dignité de la personne humaine ainsi que les droits fondamentaux de la personne. Toute irrégularité de procédure peut entraîner l'annulation du budget en toute circonstance.
Conclusion
Cette Loi fondamentale donne toutes les garanties nécessaires à la sauvegarde de l'Etat de droit. Il faut attendre bien sûr l'adoption des Lois cardinales pour avoir une vue définitive du nouveau paysage constitutionnel hongrois.
Cette Loi fondamentale prend effectivement des positions conservatrices sur la Nation, la famille et la vie qui ne font pas l'objet d'un consensus au sein des Etats européens. Mais c'est justement cette absence de consensus qui rend surprenante les réactions indignées et souvent mal renseignées de nombreux commentateurs, ainsi que de nombreux députés européens. Le respect des valeurs devrait-il être dans le sens unique du relativisme ? Un Etat n'aurait-il pas le droit d'affirmer des valeurs non partagées à l'unanimité dans son espace géographique ? Les opposants à cette constitution ne semblent pourtant pas tolérer, que la majorité d'un peuple soit d'accord sur le fait que la famille se base sur l'union d'un homme et d'une femme, que la protection de la dignité humaine doit être promue du début jusqu'à la fin de la vie, et que la reconnaissance des valeurs chrétiennes peuvent être un bon fondement pour le bien-être de la société.
Source : European Dignity Watch
***
- Controverse au Vatican (suite)
- Une semaine à l'ombre du gender
- Note du conseil Pontifical Justice et Paix
- François Hollande, déjà la guerre scolaire
- Les amitiés dangereuses
- Xavier Lemoine "un homme politique ne peut igno...
- Livre de SVT : la bataille perdue des deux Luc
- Mal mort à Bayonne
- Rémy Montagne, un démocrate-chrétien dans le si...
- Forces et faiblesses du catholicisme culturel