Le journal La Croix a publié en fin d'année 2009 une vaste analyse de l'IFOP sur le catholicisme en France réalisé en novembre. Celle-ci confirme et amplifie ce que nous savions déjà. Le catholicisme français pratiquant ou cultuel se porte mal, le catholicisme culturel et agnostique un peu mieux. Est-ce une bonne nouvelle ?
L'analyse ne manque pas d'intérêt. Il ne s'agit pas d'un simple sondage, mais d'une analyse synthétisant des données établies à partir de 135 enquêtes sur la période 2005-2009 portant sur un échantillon cumulé de 131.141 personnes. Un travail d'envergure qui donne une image du catholicisme français qui doit être assez proche de sa véritable épaisseur sociologique (cf. l'analyse détaillée de l'enquête par Fr. de Lacoste Lareymondie).
L'analyse de l'IFOP comprend cinq parties :
- L'évolution de l'audience du catholicisme au cours des cinquante dernières années
- La sociologie et la géographie actuelles du catholicisme
- Le rapport des catholiques à leur Église
- L'orientation politique des catholiques
- Nicolas Sarkozy et les catholiques
L'axe de l'analyse est nettement sociologique, culturel et politique. Il nous intéresse donc pour cette raison. Comme le remarque le journaliste Hugues Keraly sur son blog (sedcontra.fr), trois chiffres révélateurs sont particulièrement accablants :
42% des catholiques pratiquants de France ne croient plus au "rôle civilisateur" de leur religion ; 63% se déclarent même d'accord ou plutôt d'accord pour affirmer que "toutes les religions se valent" ; 68 à 75% vont jusqu'à demander à l'Église de revoir d'urgence ses positions morales sur le divorce, la contraception et l'avortement... Force est bien d'en conclure que deux catholiques "pratiquants" sur trois occupent les bancs de leurs paroisses sans aucune conviction sur les exigences individuelles et le rayonnement social de leur propre foi [1].
Ajoutons que nos catholiques français ont des notions très vagues sur le credo et les principaux dogmes de leur Église. La foi des catholiques s'est protestantisée , quand elle ne relève pas du kit sur mesure. Elle se trouve désormais soumise au libre examen de chacun. Comme le remarquait le cardinal Ratzinger il y a quelques années, le nous de la foi est devenu un simple je . Quant à la discipline ecclésiastique (le jeûne, la confession annuelle, l'obligation de la messe dominicale, etc.), les catholiques même pratiquants l'ont jetée aux orties.
Enfin, il faut aussi noter que les chiffres de la pratique sacramentelle sont en chute libre. Le pontificat de Jean Paul II, son appel à une nouvelle évangélisation, n'ont pas en France enrayé leur effondrement, pas plus qu'elle n'a enrayé l'érosion des vocations. En France, depuis l'élection du pape polonais, le poids des messalisants [2] est passé de 14 % à 4, 5 % alors que dans beaucoup de pays, y compris européens, il demeure fort et même progresse.
La raréfaction historique du nombre de prêtres et de paroisses effectivement desservies par un prêtre ne suffit sans doute pas à expliquer cette baisse. L'échec de la pratique pastorale de l'Église de France est patent.
L'effondrement, à cause de quoi et de qui ?
Chacun a son interprétation qu'il est toujours dangereux d'avancer.
Il est tentant de disculper la hiérarchie ecclésiastique et d'accuser l'air du temps qui ne serait plus favorable à la foi. Hélas, ce sont les hommes, y compris d'Église, qui font l'histoire.
On ne peut attribuer ce décrochage à Vatican II écrit le journal La Croix dans son commentaire de l'analyse de l'IFOP. Certes ! ce n'est pas le concile qui est en cause. En revanche, l'interprétation qui en été donné en France en est sans doute un peu responsable. Le Concile n'a évidemment pas vidé les églises, mais la crise conciliaire les a-t-elle remplies ? Cette crise n'est-elle pas la conséquence d'une lecture essentiellement progressiste de Vatican II ?
Si le pontificat de Jean Paul II a favorisé un nouvel élan, il est patent qu'une bonne partie du clergé français a tenté par tous les moyens de l'enrayer et a boudé le renouveau de la nouvelle évangélisation, sous toutes ses formes.
Ceux qui le disent passent pour grincheux. La lucidité n'a pourtant jamais fait de mal à personne et n'est pas le contraire de la charité. La division, le manque de collégialité vraie, en esprit et en vérité, les problèmes personnels, voire les mœurs lamentables et l'hypocrisie d'une trop grande partie du clergé, ont en partie étouffé le nouvel élan missionnaire. Tout cela est connu, même si c'est rarement évoqué publiquement.
Reste, néanmoins, la forte subsistance dans notre pays d'un catholicisme culturel à défaut d'être cultuel , c'est-à-dire imprégné de certaines valeurs universelles portées par le catholicisme sans pour autant être religieux et pratiquant, sauf lorsque la pratique rejoint les grands rites sociaux ou en tient lieu (naissance/baptême, mariage, enterrement). Les Français, toutes catégories confondues, montre l'enquête de l'IFOP, sont majoritairement attachés aux racines chrétiennes de la France et pensent majoritairement que la religion peut contribuer à transmettre aux jeunes des repères et des valeurs positives . Globalement ils sont en phase avec le discours culturel et non confessionnel de Nicolas Sarkozy sur la France.
Un catholique culturel est-il catholique ?
Tout dépend de ce que l'on appelle catholique quand il ne s'agit plus de comportements et de pratiques , mais de convictions .
Les convictions relèvent de ce que l'on appelle le for interne autrement dit de ce qui relève du secret de la conscience de chacun, par opposition au for externe qui correspond au jugement d'un acte selon des critères objectifs.
Entre un paroissien régulier du début du XXe siècle qui vivait dans un milieu structuré et qui connaissait son catéchisme et toutes ses prières en latin, et un chrétien décoloré d'aujourd'hui qui vit dans l'univers du relativisme, il est difficile de dire, au for interne , qui est plus ou moins catholique... L'attachement d'un catho 2010 à ce qui est objectivement de second ordre du point de vue de la foi, comme fleurir les tombes à la Toussaint ou restaurer le clocher de l'Église et son carillon, peut représenter, pour lui, un attachement au for interne de premier ordre. À l'inverse, l'attachement d'un catho 1910 à ce qui est objectivement essentiel, l'Eucharistie dominicale ou la confession publique du credo, pouvait être de second ordre au for interne . Qu'est-ce qui était alors important pour lui : l'eucharistie ou être vu à la messe du dimanche ?
La seule leçon que l'on puisse donc tirer des chiffres de l'IFOP, est la suivante : Les Français sont encore largement culturellement catholiques mais sont très peu cultuels . De plus cet attachement culturel au catholicisme devient de moins en moins dogmatique et plus en plus individuel.
Ainsi la déchristianisation de la pratique religieuse s'accompagne aujourd'hui d'une forme de re-christianisation des valeurs reçues dans la société. Tout se passe, en effet, comme si la sécularisation avait atteint un socle dur de résistance. Ceci n'est point surprenant. L'instinct religieux relève d'un besoin humain primordial. Victor Frankl enseignait que son effacement peut devenir source de névroses. Le sens religieux est connaturel à l'homme ; les grandes idéologies n'ont été que des religions sécularisées. Rien d'étonnant qu'une large majorité de français demeurent culturellement proche de la matrice religieuse de leur identité nationale.
Un espace s'ouvre-t-il pour une politique fondée sur l'Évangile ?
D'un point de vue politique cela signifie qu'un ensemble de principes éthiques et politiques qui appartiennent à la tradition de l'enseignement moral ou social de l'Église peuvent être acceptés par les membres du fameux troisième cercle , ces catholiques non pratiquants et peu croyants, voire agnostiques, mais aptes à entendre le message de l'Église sur certains points.
Il est certain que cela donne un espace à une politique fondé sur le droit naturel et respectueuse de ce que le cardinal Ratzinger appelait dans sa Note doctrinale concernant certaines questions sur l'engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique du 24 novembre 2002, des principes moraux qui n'admettent ni dérogation, ni exception, ni aucun compromis, . Après le naufrage des utopies, force est de constater que pour beaucoup de nos contemporains, même s'ils ne le discernent pas toujours clairement, ne demeure qu'une seule sagesse : celle que contient la Sagesse divine du Christ, vrai Dieu et vrai homme et que l'Église reçoit comme un dépôt sacré.
Il est non moins certain que cela légitime pleinement l'action de l'association pour la Fondation de Service politique : comme catholiques, nos analyses et nos actions sont fondées sur le respect de normes que l'Église nous invite à pratiquer dans notre vie privée et publique. Elles ne s'adressent pas uniquement à des catholiques pratiquants, convaincus, confessionnels , cultuels , mais à tous ceux qui reconnaissent la part de sagesse humaine que contient des choix fondés sur la foi divinement révélée et transmise par l'Église, Sacrement du Christ.
La subsistance de ce catholicisme culturel est-elle une bonne nouvelle ?
Oui dans une certaine mesure ; mais elle peut dégénérer en de dangereuses dérives. La religion lorsqu'elle n'est pas animée par une espérance véritablement surnaturelle, peut rapidement être dévoyée. Benoît XVI appelle ces dévoiements les pathologies de la foi et elles ne sont pas, pour lui, moins dangereuses que les pathologies de la raison .
Lorsque les nations perdent la foi vivante, leur espérance religieuse se sécularise. Or l'histoire en donne de nombreux témoignage : la foi sécularisée conduit souvent aux guerres de religion. Dans les Balkans, en Irlande ou en Afrique de l'Est, les combattants dits de la foi ne sont le plus souvent que des chrétiens culturels qui ont totalement sécularisé et instrumentalisé leurs références religieuses, et rarement des chrétiens cultuels .
La montée en France d'un islam qui ne semble pas devoir être entamé par le relativisme risque de ce point de vue de susciter, à terme, une réaction fortement identitaire chez une majorité de Français demeuré culturellement catholiques.
Il faut se méfier des périodes de grand relativisme, de grande tolérance et de grand pacifisme. En 1914, les syndicats allemands et français s'étaient jurés une paix éternelle. On a vu ce qu'il en est advenu. Face à une population de souche chrétienne qui tient à son identité mais ne pratique plus sa religion, l'islam tend à devenir la religion cultuelle majoritaire et, pour cette raison, peut apparaître soudain intolérable. Cela n'a t-il pas d'ailleurs commencé ?
Lorsque des non pratiquants – détachés du Christ et de la communion de l'Église – demeurent cependant attachés aux racines chrétiennes de la France, faut-il se réjouir ? Ce n'est pas certain. L'hypothèse que l'islam se sécularise — alors qu'il est déjà une religion temporelle — ou se démotive comme le remarque encore Hugues Kéraly, n'est nullement avérée.
Jusqu'ici la perception de la menace de l'islam demeure diffuse, à la marge ; elle ne concerne qu'une minorité. Le jour où les Français de droite comme de gauche demeurés culturellement chrétiens se sentiront menacés dans leur identité et leurs habitudes quotidiennes, que se passera t-il ?
Toutes les formes de tolérance, spéculative ou pratique, ont leurs limites.
Sans doute, dans un vieux peuple comme le nôtre, ces limites sont difficiles à déterminer. Mais quelle que soit l'ampleur du risque actuel, notre responsabilité est immense. Celle de l'Église de France aussi. Cette responsabilité est certes politique, mais en sachant que seul le témoignage de la vraie foi rendue au Christ mort et ressuscité pour notre salut, demeure la seule alternative aux menaces de guerre, et sera toujours la cause profonde de la paix civile.
*Thierry Boutet est porte-parole de l'ass. pour la Fondation de Service politique, a publié L'Engagement des chrétiens en politique (Privat, 2007).
Pour en savoir plus :
L'enquête de L'Ifop-La Croix
François de Lacoste Lareymondie : Le catholicisme en France : une étude statistique insatisfaisante, Libertepolitique.com, 8 janvier 2010
[1] Selon un sondage TNS-Sofres publié par Le Pèlerin en mars, un Français sur dix croit à la résurrection des morts : si 31 % des pratiquants et 57 % des pratiquants réguliers y croient, ils ne sont plus que 13 % pour l'ensemble des catholiques. Ils ne sont que 19 % à la souhaiter, contre 36 % des pratiquants et 61 % des pratiquants réguliers. Par ailleurs, la croyance en la réincarnation progresse parmi les catholiques (21 %), dépassant même la moyenne française (20 %) [Sondage réalisé les 11 et 12 mars 2009, sur un échantillon national de 1.000 personnes représentatif de l'ensemble de la population âgée de 18 ans et plus, interrogées en face-à-face à leur domicile].
Mais ce constat sévère doit tenir compte cependant les réserves méthodologiques exposées par ailleurs.
[2] Messalisant : pour les sondeurs, c'est le catholique qui se rend à la messe chaque semaine (à la différence du pratiquant, qui - en principe - ne se rend à la messe qu'une fois par mois). Cf à se sujet le commentaire de Fr. de Lacoste Lareymondie.
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