Le projet socialiste de légalisation de l’euthanasie constitue une remise en cause radicale de l’ethos des professionnels de santé. En souhaitant mettre en place avant le printemps 2013 une « aide médicale à mourir », le nouveau président de la République s’en prend aux fondements mêmes de la médecine hippocratique.
Nous voudrions dans cet article expliquer brièvement pourquoi l’euthanasie est incompatible avec l’éthique médicale et pourquoi les médecins, concernés au premier chef par ce bouleversement annoncé de leur pratique, doivent prendre en main la bataille politique qui s’engagera dans les prochaines semaines. Pour structurer notre propos, nous nous appuierons sur les conclusions on ne peut plus actuelles d’un rapport parlementaire publié en 2008 sur cette question [1].
Une défaite de la réflexion éthique
L’interdit de tuer est le principe qui structure depuis des siècles la réflexion éthique du médecin et dont l’intériorisation lui permet de déployer son agir dans toute sa complexité. La philosophe Suzanne Rameix en fait la condition sine qua non du raisonnement moral requis dans les choix difficiles qu’ont à prendre les professionnels de santé lorsque le patient est en fin de vie : « Le maintien de cet interdit est fondamental parce que nous allons avoir besoin de tous nos moyens de subtilité morale, d’intelligence morale (…). S’il n’est plus là, il n’y a plus la recherche acharnée, par les personnes de bonne volonté morale, des meilleures solutions, les plus humaines, les plus ajustées, les plus fines, les plus bienveillantes,… [2]». Pourquoi en effet chercher à soulager le malade et à traiter sa douleur, à éviter les attitudes d’acharnement thérapeutique, à se réunir collégialement pour décider des traitements à poursuivre ou à suspendre, à mettre en place des soins palliatifs si l’euthanasie devient légitime ? « Pourquoi chercher des voies complexes quand un chemin direct s’ouvre devant soi ? » (p. 124). L’euthanasie signerait à court terme une défaite de la réflexion éthique car il sera toujours plus aisé de la choisir au détriment des autres solutions qui demandent une analyse morale bien plus complexe. Au final, il ne restera quasiment rien du questionnement éthique dans les situations de fin de vie.
Un coup fatal porté à la déontologie médicale
Légaliser l’aide active à mourir, c’est atteindre au cœur la vocation même du médecin et sa fonction sur lesquelles pèseraient deux types de menaces. En premier lieu, « la simplicité de la solution euthanasique déresponsabiliserait le médecin dans son devoir de tout mettre en œuvre pour procurer au patient le meilleur soin » ; par ailleurs, « pour un corps médical qui pourrait traiter la mort comme une option possible, le choix de l’absolue singularité de la vie d’un homme risquerait de disparaître » (p. 125). Autoriser l’euthanasie reviendrait à détruire instantanément le principe de base régissant depuis plus de deux millénaires l’art médical tel qu’il a été formulé dans l’antique Serment d’Hippocrate et repris dans le Code de déontologie médicale, qui fait obligation au médecin « de ne pas provoquer délibérément la mort ». Le président Hollande et son gouvernement ont-ils mesuré les conséquences qu’implique leur décision de revenir sur ce qui représente le patrimoine moral le plus précieux des professionnels de santé ?
La confiance brisée
En outre, la perspective d’une anticipation intentionnelle de la mort viendrait briser la confiance que le malade place dans le soignant. Faire confiance, pour un malade, c’est se remettre dans les mains du médecin, croire en sa parole et son agir, accepter qu’il exerce son pouvoir pour son propre bien et non à son insu. « C’est risquer certains aspects de son avenir en pariant sur la loyauté de la personne à laquelle on fait confiance » selon la belle définition d’Annette Baier[3]. La mission du médecin se trouve originellement dans cette réponse inconditionnelle à l’appel provenant d’un être fragilisé par l’irruption de la maladie dans son existence. Elle revient pour le professionnel à manifester au malade sa disponibilité et son intention de répondre à l’espérance qu’il place en lui en mettant en œuvre tous les moyens de son art au service de son bien. Comment continuer à faire confiance au soignant si l’euthanasie entre dans le cadre de ses attributions ? Comment ne pas soupçonner qu’il passera à l’acte lorsque la maladie prendra le dessus ? De proche en proche, le soupçon se propagerait inexorablement à l’ensemble d’une société devenue méfiante face au pouvoir exorbitant détenu par un corps médical préposé à la mort.
L’euthanasie traduit une incompétence médicale
Il est primordial de redire qu’aujourd’hui, il n’existe pas de douleur qui ne puisse être apaisée par l’utilisation proportionnée de l’analgésie, voire de la sédation dans les cas qui le nécessitent. Autrement dit, accéder à la demande de mort d’un patient qui ne souhaite plus souffrir, c’est avouer un défaut flagrant de connaissances médicales en matière de traitement de la douleur et donc son incompétence professionnelle. Or, le Code de déontologie médicale impose au médecin non seulement « d’entretenir et perfectionner ses connaissances » mais de délivrer des soins « fondés sur les données acquises de la science en faisant appel, s’il y a lieu, à l’aide de tiers compétents » (art. R. 4127-11 et 4127-32 du Code de la santé publique). Au regard de la multiplication des diplômes universitaires de traitement de la douleur proposés à tous les praticiens dans le cadre de leur formation continue et de la création d’unités ou d’équipes mobiles spécialisées en soins palliatifs dont l’une des missions est de conseiller leurs collègues, le médecin qui ferait passer de vie à trépas un patient qui se plaint d’une « souffrance insupportable » serait inexcusable.
Pour toutes ces raisons, la conclusion du rapport de 2008 est sans appel : « L’euthanasie apparaît comme un geste toujours commis par facilité et ignorance : facilité d’une décision faisant fi de la complexité du questionnement éthique, négligence des rapports de confiance avec le malade, méconnaissance des techniques médicales aptes à alléger les souffrances du malade et ignorance des principes mêmes de l’éthique du soin. L’unique certitude qu’a l’auteur de l’acte d’euthanasie est que son geste entraînera la mort : son pouvoir homicide est son seul savoir » (p. 130).
L’euthanasie est incompatible avec la médecine
Le gouvernement compte-t-il organiser des modules de formation visant à éliminer des êtres humains dans le cursus des études médicales avec des stages pratiques d’exécution ? L’étudiant devra-t-il dorénavant justifier moralement un acte létal lors de ses cours d’éthique médicale ? L’euthanasie fera-t-elle l’objet de questions au concours de l’Internat ?
Aux Etats-Unis, l’Ordre des médecins a catégoriquement refusé de se voir confier l’exécution des peines de mort par injection qui est dés lors mise en œuvre par des non soignants. Si le gouvernement français devait s’obstiner dans le choix de l’administration de la mort, le corps médical pourrait à son tour demander de dédier des fonctionnaires non soignants à un département des affaires euthanasiques géré par les collectivités locales comme d’aucuns l’ont envisagé.
Avant d’envisager cette solution, le projet de légalisation de l’euthanasie porté par la gauche doit faire l’objet d’une condamnation absolue de l’ensemble de l’institution médicale. Les médecins sont détenteurs d’une autorité morale dont ils ne doivent pas douter. Une mobilisation organisée et résolue de leur profession est susceptible de faire échouer une entreprise qui ferait irrémédiablement de la médecine une pratique gestionnaire, utilitariste et inhumaine.
[1] Rapport d’information parlementaire Solidaires devant la fin de vie, n. 1287, tome 1, Assemblée nationale, décembre 2008, p. 124-130.
[2] Audition de Mme Suzanne Rameix, professeur agrégé de philosophie, département d’éthique médicale de la Faculté de médecine de Créteil, procès-verbal de la séance du 7 mai 2008 in Solidaires devant la fin de vie, tome 2, Assemblée nationale, décembre 2008, p. 73.
[3] A. Baier, « Confiance », in M. Canto-Sperber (dir.), Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale, Puf, 2004.
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Le problème, c'est que le corps médical veut conserver la haute main sur le sort des malades - avec les traitements qu'il décide dans son intérêt, entre autre financier - et qu'en même temps il ne veut prendre aucune responsabilité dans cette affaire d'écourtement rapide de la vie. Ce qui revient à dépendre éternellement de son bon vouloir. Alors qu'il l'avoue, et les choses seront plus claires.
Même avec des soins palliatifs qui soulagent parfaitement les souffrances physiques et morales, il y aura toujours des gens qui préfèreront aller jusqu’au bout de leur idéologie mortifère. Faut-il pour autant leur faire une loi légalisant l’euthanasie au risque d’exposer les plus faibles de notre société aux inévitables dérives ? Nos concitoyens n’ont-ils pas le droit d’attendre de leurs dirigeants qu’ils protègent les plus fragiles d’entre eux ?
Voir le commentaire en entierL’analyse des expériences en Belgique et aux Pays-Bas montre qu’il y aura des dérives de 2 types :
1) Dérives dans les termes de la loi : dans un 1er temps la loi fixera des limites qui sembleront acceptables pour l’opinion publique en affirmant que l’euthanasie doit être réservée à des malades vivant des situations exceptionnelles et persévérant dans leur demande d’injection létale. Puis on déplacera progressivement les limites en étendant l’euthanasie à des enfants de plus en plus jeunes ou à des déments qui n’auront plus la possibilité de s’exprimer.
2) Dérives dans l’application de la loi : la loi obligera certainement à déclarer les cas d’euthanasie mais ceux-ci ne seront pas tous déclarés car à quoi bon remplir de la paperasserie alors que l’interdit de tuer est levé. L’accord écrit du patient ne sera pas toujours recueilli et puis on pensera à sa place qu’il était d’accord pour l’euthanasie car on jugera (à sa place) que sa situation était insupportable. Alors, on fera bien des enquêtes officielles qui affirmeront que tout se passe bien mais en oubliant tous les cas non déclarés où on n’aura pas respecté les règles.
Bonjour, je ne suis ni médecin ni dans le domaine médical mais je sais une chose c'est que jusqu'à aujourd'hui j'ai confiance en la médecine et je ne souhaite pas un jour, si je dois rentré à l'hopital pour un cas grave ou dans ma vieillesse, perdre cette confiance et me dire que peut-être ils vont me "piquer" parce que soit c'est trop grave ou bien simplement ils n'ont plus les moyens pour me guérir. Les médecins ont le devoir de faire tout ce qui est dans leurs possibilités pour guérir les malades et je pense que dans la plupart des cas c'est ainsi, fort heureusement, mais donner le droit à ces médecins non seulement d'arrêter les soins mais pire encore de "piquer" les êtres humains comme des animaux c'est effroyable. L'homme aurait-il perdu sa conscience ? De surcroît, cela n'a jamais été et ne devrais jamais être la vocation du corp médical, c'est absurde ! Merci de donner cette possibilité de nous exprimer, cordiales salutations. René