La Cour de cassation vient de se prononcer pour la transcription sur les registres français de l’état civil d’enfants nés de mères porteuses à l’étranger.Au mépris de sa jurisprudence.
Pour les juges de la haute juridiction, « une GPA ne justifie pas, à elle seule, le refus de transcrire à l’état civil français l’acte de naissance étranger d’un enfant ayant un parent français ». Ainsi, c’est par la jurisprudence et non par la loi que la France adopte une forme de reconnaissance de la GPA.
La Cour de cassation était saisie de deux affaires jugées par la cour d’appel de Rennes : « Dans chacune d’elles, explique-t-elle, un Français a reconnu la paternité d’un enfant à naître en Russie : l’acte de naissance établi en Russie mentionne l’homme en tant que père et la femme ayant accouché en tant que mère. L’homme a ensuite demandé la transcription de l’acte de naissance russe à l’état civil français. Mais le procureur de la République s’y est opposé, soupçonnant le recours à une convention de gestation pour le compte d’autrui (GPA). »
Rien n’est dit sur la mère d’intention
C’est bien cet acte de naissance que la Cour de cassation demande d’inscrire, et non une filiation à l’égard des parents demandeurs. Il est vrai que « la question de la transcription de la filiation établie à l'étranger à l'égard de parents d'intention n'étant pas soulevée dans ces deux cas, elle ne s'est pas prononcée sur ce cas de figure ». Les enfants concernés par la décision de la Cour de cassation sont déclarés comme enfants d’un père biologique et de la mère porteuse. Rien n’est dit sur la mère d’intention. Ce qui annonce de nouveaux débats, car les enfants seront privés volontairement de leur mère.
Le 19 juin dernier, sortant de sa réserve, l’avocat général de la Cour de cassation avait annoncé qu’il se prononcerait en faveur de cette transcription, à condition qu’un test établisse une filiation biologique avec l'un des deux parents français. Finalement, ce n’est pas la position retenue.
La CEDH marque une rupture dans l’établissement de la filiation
Depuis que les tribunaux sont saisis des questions liées aux effets de la GPA, la Cour de cassation a toujours adopté une position cohérente entre l’interdiction de la pratique de la maternité de substitution ou GPA et la gestion de ses effets en matière de filiation : ses effets sont « nuls d’une nullité d’ordre public » (articles 16-7 et 16-9 du code civil), et il n’y a pas lieu de transcrire sur les registres français l’état civil de ces enfants qui, par ailleurs, ont été inscrits dans le pays où ils sont nés. Ce qui signifie qu’aucune filiation ne peut être établie en France à l’égard des parents intentionnels ou demandeurs d’une pratique de mère porteuse.
Une rupture s’est opérée depuis la condamnation de la Cour européenne des droits de l’homme le 26 juin 2014. Celle-ci ne regarde plus la fraude à la loi et la cohérence avec le traitement de ses effets (la filiation) mais s’attache aux droits de l’enfant, au regard de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, relatif « au respect de la vie privée et familiale. »
La France a été condamnée pour avoir porté atteinte au « droit à l’identité » des enfants nés par GPA, car la CEDH considère que le droit à l'identité « fait partie intégrale de la notion de vie privée et qu'il y a une relation directe entre la vie privée des enfants nés d'une gestation pour autrui et la détermination juridique de leur filiation ».
En prônant l’intérêt supérieur de l’enfant, la CEDH oblige la France à reconnaître une filiation issue d’une pratique qu’elle interdit.
Au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant
Pour la CEDH, l’intérêt supérieur de l’enfant prévaut sur tout autre aspect de la question, y compris sur la fraude ou le « trouble à l’ordre public » qui caractérise l’interdiction de la GPA. Pourtant la Convention internationale des droits de l'enfant précise que « l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale » (article 3). Elle ne dit pas que l’intérêt de l’enfant est la seule considération. C’est une considération parmi d’autres.
Le doyen Carbonnier, spécialiste du droit de la famille, considérait que l’intérêt supérieur de l’enfant est une notion floue, une notion subjective :
« C'est la notion magique. Rien de plus fuyant, de plus propre à favoriser l'arbitraire judiciaire […] ; l'intérêt de l'enfant est dans la loi, mais ce qui n'y est pas, c'est l'abus qu'on en fait aujourd'hui. À la limite, elle finirait par rendre superflues toutes les institutions de droit familial [1]. »
L’enfant peut faire l’objet d’un contrat
C’est d’ailleurs toute la différence d’appréciation entre le Premier ministre et le ministre de la Justice, Christiane Taubira. Le premier fait le lien entre la fraude et ses effets, la seconde ne regarde que les enfants en prétendant qu’ils n’ont aucun acte d’état civil, ce qui est faux, puisqu’ils sont inscrits à l’état civil dans le pays où ils sont nés. Et que même s’ils ne sont pas retranscrits, les actes de naissance sont reconnus par la France comme ceux de tout enfant né à l’étranger.
Incontestablement, cette décision porte atteinte à l’interdiction de la GPA en France et consacre le fait que l’enfant peut faire l’objet d’un contrat. Est-ce vraiment là l’intérêt supérieur de l’enfant ?
Comme le déclarait Sylviane Agacinski, le 19 juin dernier sur RTL : « Si on transcrit à l'état civil, on ne peut pas faire tenir trente secondes l'interdiction de la GPA en France. » Le « scandale » craint par la philosophe est désormais acquis, car « une personne n'est pas une chose ou un animal. Elle ne peut pas être vendue ou donnée, ses organes ne peuvent être achetés, tout comme les liens de filiation. Une chose indigne ne s'encadre pas. On n'encadre pas l'esclavage ».
Élizabeth Montfort est ancien député européen, président du Nouveau féminisme européen.
Pour aller plus loin :
Etude : GPA, l'escalade entre contradictions et irresponsabilité, par Elizabeth Montfort
OUI, NON, PEUT-ÊTRE : MANUEL VALLS ET LA GPATêtu, 20 avril 2011 : « Je considère que cela doit concerner toutes formes de couples, mais il faut qu’il y ait des règles précises qui encadrent la GPA, car elle soulève de nombreuses interrogations. […] C’est une évolution incontournable. » La Croix, 2 octobre 2014 : « En tout état de cause, le gouvernement exclut totalement d'autoriser la transcription automatique des actes étrangers, car cela équivaudrait à accepter et normaliser la GPA. J'ajoute qu'il est incohérent de désigner comme parents des personnes ayant eu recours à une technique clairement prohibée. » Après l'arrêt de la Cour de cassation À Besançon, 3 juillet 2015, cité par Le Parisien : « Je prends acte de la décision de la Cour de cassation que bien entendu je n'ai pas à commenter. Rien — c'est la position du gouvernement — ne peut justifier la commercialisation des êtres humains et notamment celle du corps des femmes. [Mais] les enfants ne doivent pas être victimes de la manière […] dont ils sont venus au monde. […] Il faut donc poursuivre le travail entrepris par la garde des Sceaux pour consolider le statut des enfants nés par GPA. »
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[1] Jean Carbonnier (1960) Dalloz périodique, p. 675.
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