Source [Atlantico] Aux Etats-Unis, des personnes considérées comme conçues par erreur lors de fécondations in vitro s'en prennent aux docteurs et autres responsables.
Atlantico : Aux Etats-Unis, de nombreuses personnes considérées comme conçues par erreur s'en prennent aux docteurs et autres responsables. En quoi ces situations sont des casses-tête d'un point de vue judiciaire ?
Précision : Ce qui est appelée ici "erreur" relève soit de la fraude, lorsque la FIV est opérée volontairement avec le sperme de la mauvaise personne (celui du Dr Cline dans le procès en question aux USA, qui a inséminé une cinquantaine de femmes avec son propre sperme), soit de l'erreur industrielle. Source (Washington Post)
Aude Mirkovic : Il s’agit de personnes nées par PMA et qui découvrent un beau jour qu’elles sont issues d’une erreur commise au cours du processus de PMA : soit une erreur « volontaire », lorsque le médecin a utilisé son propre sperme, soit une erreur involontaire lorsque les éprouvettes de sperme ont été confondues et que la femme a été inséminée par un autre homme que son conjoint ou concubin.
Il faudrait pouvoir préciser la législation de chacun des Etats américains concernés pour évaluer chaque cas. Au regard de la loi française, de telles situations sont sans doute de véritables drames humains mais, d’un point de vue juridique, il y a une réponse. S’agissant d’une PMA voulue à l’origine sans donneur, la filiation des enfants est établie selon le droit commun : présomption de paternité dans le mariage, reconnaissance de paternité hors mariage ou même action en recherche de paternité si le père néglige de reconnaitre l’enfant. La filiation peut alors être contestée également selon le droit commun si elle est mensongère, c’est-à-dire si elle ne correspond pas à la réalité biologique. La seule condition pour exercer une telle action en contestation est la prescription. Ensuite, un test de paternité suffira à prouver que la paternité du mari ou du concubin de la mère ne correspond pas à la réalité. Notons qu’une telle contestation n’est pas une obligation : si les intéressés se satisfont de la situation et que nul ne conteste la filiation établie, elle demeurera.
Se pose ensuite la question d’une éventuelle paternité du médecin lorsqu’il a utilisé son propre sperme, ou de l’homme dont proviennent les gamètes en cas d’erreur d’éprouvette. En principe, la loi prévoit qu’aucun lien de filiation ne peut être établi entre l’enfant et le donneur. Mais il ne s’agit pas à proprement parler ici d’un donneur, puisque le médecin comme l’homme dont viennent les gamètes n’ont pas fourni leur semence dans le cadre de la procédure du don. Il s’agit d’un apport artisanal, illégal, du médecin, ou d’un don involontaire et lui aussi illégal d’un homme donneur malgré lui : il est fort douteux que de tels apports soient concernés par l’anonymat et l’interdiction de filiation entre l’enfant et le géniteur qui découlent du don proprement dit, encadré par la loi.
En France, lorsque se sont produites des erreurs d’utilisation des gamètes ou même d’attribution des embryons, il y a eu des procès : les couples concernés ont engagé la responsabilité de l’hôpital et demandé réparation en justice pour leur préjudice. Mais aucun litige n’a concerné à ma connaissance la filiation des enfants car il semble que, dans la totalité des cas, les couples préfèrent avorter. La question de la filiation ne s’est donc pas posée.
Ludovine de la Rochère : Plusieurs affaires ont en effet éclaté aux Etats-Unis, des personnes nées de fécondation in vitro (FIV) ayant découvert, souvent par hasard, qu’ils n’étaient pas l’enfant biologique de celui qu’ils avaient toujours considérés comme leur père. Cela peut être par exemple à l’occasion d’un problème de santé dont l’origine génétique est connue et dont la survenue conduit à faire des tests.
C’est très compliqué d’un point de vue judiciaire parce qu’il n’est pas toujours possible d’identifier l’origine de « l’erreur » - c’est-à-dire les circonstances et l’origine réelle des gamètes -, mais aussi parce que la loi, aux Etats-Unis, n’a pas prévu « l’erreur » volontaire en la matière, c’est-à-dire le cas d’un médecin qui, sciemment, utilise ses propres gamètes, ou d’autres, à la place de ceux de l’homme du couple poursuivant un processus de FIV. Ce type de drame est pourtant récurrent depuis les débuts de la FIV, que ce soit aux Etats-Unis ou ailleurs.
En France, la première loi de bioéthique, qui date de 1994, a été votée plusieurs années après les débuts de la pratique de la FIV et l’ouverture des premiers Centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme humain (CECOS) en 1973. Du coup, pendant plusieurs années, les règles en la matière dépendaient un peu de chaque centre d’assistance médicale à la procréation : modalités de recrutement de donneurs, conditions requises pour donner, nombre de naissances possibles à partir des gamètes d’un même donneur, etc. Il semblerait, en conséquence, que des hommes aient largement fourni leur sperme pendant des années. Cependant, ce n’était sans doute pas avec l’idée de s’imposer dans les filiations sans le consentement des couples comme c’est le cas dans les affaires américaines que nous évoquions.
D’un point de vue anthropologique, de telles affaires sont éminemment délicates puisque, évidemment, on ne peut pas « regretter » la naissance des enfants concernés. Néanmoins, eux-mêmes comme leurs parents considèrent qu’ils ont été trompés et lésés et ils veulent que la justice le reconnaisse.
En outre, la crainte d’une remise en cause de l’insémination avec donneur – qui d’ailleurs n’est pas autorisée dans tous les pays, même en Europe - suscite beaucoup d’inquiétude autour de telles affaires, d’où une tendance à éviter au maximum le « buzz » autour de ces cas. Ce sont par conséquent de longues batailles judiciaires pour les victimes de tels actes.
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