Eglise de France : gender non grata

La déprogrammation de la philosophe socialiste Fabienne Brugère[1] à une séance de formation de délégués diocésains a provoqué un scandale, inutile et déplacé. C’est son invitation qui posait problème. Voici pourquoi.

IL NOUS PARAIT FORT REGRETTABLE que certaines personnalités dans l’Église de France — journalistes, évêques, prêtres, laïcs en responsabilité — montent toute une « affaire » autour de l’invitation, annulée finalement, de Mme Brugère au siège de la Conférence des évêques à Paris.

Cette universitaire philosophe — rappelons-le — est disciple de Judith Butler, la créatrice de la théorie du genre, à qui elle a remis les insignes de doctor honoris causa à l’université de Bordeaux en 2011. Invitée dans un premier temps à intervenir dans une formation nationale des délégués diocésains à la pastorale familiale par Mgr Jean-Luc Brunin, son invitation a été finalement retirée devant toute une série de protestations.

Pompiers pyromanes

Ainsi, de nombreuses personnalités se sont déclarées scandalisées par ce qu’elles considèrent comme une reculade devant les traditionalistes, brocardant ainsi le soi-disant refus du dialogue, les positions crispées et irrationnelles de groupe radicaux, l’Église de France otage de minorités identitaires, rétrogrades ou conservatrices… Ne soufflent-t-elles pas ainsi sur les braises d’un effet soi-disant désastreux dans l’opinion publique ? N’est-on pas là dans une attitude de pompier pyromane ?

La moindre des choses aurait été de mieux comprendre et de manière équilibrée l’équation du débat, les raisons du « pour » et du « contre » de l’intervention de Mme Brugère.  

Puisque ce débat existe, nous souhaitons souligner ici deux points pour tenter d’en rééquilibrer la teneur, à notre goût bien trop monopolisé par les détracteurs de cette décision :

Quelle priorité : former ou débattre ?

La journée consacrée à la pastorale familiale par l’épiscopat était l’unique journée de formation annuelle des délégués diocésains : en quoi est-il choquant de ne pas donner une tribune à une personne qui défend des thèses opposées — ou tout cas très distantes — de l’anthropologie chrétienne et des questions morales qui en découlent ? Imagine-t-on la moitié d’une université d’été de l’UMP confiée à un proche de M. Mélenchon, de celle de SOS-Racisme à un collaborateur de Mme Le Pen, de celle de La Manif pour tous à un conseiller de Mme Taubira ? Bien sûr que non !

Il était donc d’une grande évidence que pour cette seule journée, priorité soit donnée à des intervenants en phase avec le magistère et la foi de l’Église, quitte à ce que tel ou tel présente les différents thèses d’un débat complexe. « Affermis tes frères » a commandé le Christ à Pierre, et cela commence par donner aux disciples les raisons de croire et de confesser la foi dans le monde — d’autant plus lorsqu’on manque de temps.

L’épiscopat a donc très bien fait de rectifier une invitation qui était une erreur de simple bon sens élémentaire quand on y regarde bien.

Les conditions du dialogue en vérité

Quant au refus du dialogue, à l’intolérance, à l’esprit obtus ou peureux dont on affuble si facilement ceux qui ont défendu cette décision, face à cette forme nouvelle de condescendance et de subtil mépris dont ils sont l’objet, nous invitons de tels censeurs à se demander si cette affaire n’est pas une nouvelle croisade contre des moulins à vent.

En effet, hormis quelques individus, tous les chrétiens engagés, quelle que soit leur sensibilité, tiennent fermement à nourrir ou être témoins de dialogues vrais, francs et continus avec le monde dans la si grande diversité de ses opinions, même lorsque celles-ci sont contraires à la pensée de de l’Eglise : oui, 100 fois oui à la disputatio ! C’est là bien entendu un des fondements de l’éthique et de la mission évangéliques dont témoignent les apôtres et tant de saints, et aujourd’hui, tant de chrétiens si divers dans leurs opinions et leurs engagements.

Simplement il y a des temps pour tout : des temps ad intra pour l’affermissement du jugement et de la foi ; des temps ad extra pour la mission, le dialogue, l’échange… ; à cette fin tous les médias écrits ou audio-visuels (chrétiens ou non), les colloques et les livres sont des supports beaucoup plus adéquats pour ce temps ad extra.

Les dialogues de cardinaux ou de papes comme ceux tenus avec Habermas ou Mustapha Cherif, Ferry ou Odifreddi, en sont des exemples. Le Collège des Bernardins a été créé dans ce sens, Foi et Culture au Festival d’Avignon voici 50 ans, Le Parvis des Gentils et bien de multiples initiatives nourrissent un tel dialogue indispensable de l’Église avec le monde, l’art, les intellectuels, etc.

Alors de grâce, arrêtons cette non-affaire ! Avec du bon sens et non de l’idéologie, avec du respect et non un esprit partisan, cette affaire Brugère aurait dû faire pschitt !

 

Alex et Maud Lauriot Prévost, délégués épiscopaux à la Nouvelle Évangélisation pour le diocèse d’Avignon.

 

 

Photo Université Bordeaux-Montaigne : Mme Brugère recevant Judith Butler.

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[1] Fabienne Brugère était candidate sur la liste du socialiste Vincent Feltesse aux élections municipales de Bordeaux.

 

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