Semaine de prière pour demander que l'unité entre chrétiens se construise un peu plus en cette nouvelle année 2007 : car si nous ne cessons de dénoncer le scandale de nos divisions, qui ont commencé dès après la Pentecôte de l'an 33, si tant est qu'elles n'ont pas existé du vivant même de Jésus – la trahison de Judas n'en est-elle pas un signe clair ? – il serait temps, pense en lui-même le chrétien convaincu de sa nécessité, qu'elle progresse à pas plus rapides.
Mais comment ? Les divisions, parfois extravagantes, traversent et crucifient chaque Église : que de catholiques déclarés qui ne croient pas en la divinité du Christ, ni en sa résurrection !
Ces fantaisies se retrouvent dans les autres confessions chrétiennes, que ce soit dans l'Église anglicane (aujourd'hui si fragilisée dans sa "communion") ; les orthodoxes (eux-mêmes partagés entre plusieurs patriarches ; les protestants et leurs si nombreuses dénominations : je dis fantaisies, je devrais dire folies [1], ou pire, car enfin la souffrance première du Christ, au temps de sa présence parmi nous, fut de n'avoir pas été reconnu pour Celui qu'"Il est", Lui le Fils du Père, son Envoyé, Verbe éternel incarné en la Vierge Marie par l'action de l'Esprit Saint pour assurer notre salut en passant par la Croix et la Résurrection : également de n'avoir pas été reconnu pour ce qu'Il faisait et en ce qu'Il disait. S'Il n'est pas ressuscité au troisième jour, sa promesse est vaine et sa divinité une prétention : n'est catholique que celui qui prend tout sans restriction, le sensible comme le spirituel, ce qu'il comprend aujourd'hui et ce qu'il ne comprendra que plus tard, demain ou bien outre-vie, quoique ce soit essentiel.
D'abord l'unité en soi
Hier, un journaliste ancien pasteur racontait, sur une radio chrétienne, qu'il lui arrivait d'assister à la messe et d'y communier, provoquant chez le prêtre qui le connaît juste une légère hésitation : sans dire s'il croyait ou non à la présence réelle de son Seigneur qui est aussi le mien : il précisa qu'il fallait oser poser ainsi des actes d'unité par-dessus les barrières érigées par les institutions. Mais, pour le chrétien, le fait de communier à la messe catholique ne suppose-t-il pas la foi en l'efficacité radicale du sacrement, au point que le pain et le vin ne sont plus pour lui que signes sensibles de cette présence parmi nous du Verbe incarné ? Manger alors l'hostie – parfois boire à la coupe – sans croire en cette efficacité-là ne reviendrait-il pas, pour ce chrétien protestant, à nier la foi catholique et à désunir bien plus profondément qu'unifier ? Questions fortes dont un théologien de l'œcuménisme pourrait s'emparer...
Voilà donc une façon de "faire l'unité" qui crée plus de difficultés qu'on ne pense et oblige à tenter de réfléchir sur l'unité que nous désirons tous sans en avoir peut-être la même définition : il me semble urgent de préciser, mieux que cela n'a été fait jusqu'à présent, le but que nous cherchons à atteindre.
Il est possible que je ne fasse ici qu'exprimer mon ignorance : probable en effet que cet effort a été consenti depuis longtemps et que les spécialistes de l'œcuménisme savent parfaitement ce qu'ils cherchent à atteindre.
Est-ce l'unification de la foi ? Entre les orthodoxes et les catholiques, les deux plus anciennes Églises, il y a si peu de divergences qu'on imagine que l'union devrait aller quasi d'elle-même : ce qui n'est pas. L'histoire pèse d'un poids si lourd que nous entendre sur la définition de l'Esprit-Saint ne se fera que lentement à moins d'une pentecôte subite ! Mais il semble que sur la question de la "prééminence" de Pierre et du "supériorat" des patriarches l'on ait fait ces temps derniers des avancées importantes. Mais avec les protestants, je crois que l'unité n'est pas pour ce siècle, même si avec les luthériens le cheminement apparaît comme plus aisé qu'avec les calvinistes ou les évangélistes extrêmes...
Une étude approfondie de l'histoire des commencements de chaque Église permettrait certainement des comparaisons utiles et éclairerait la question de la légitimité de ces naissances passées : une étude qui devrait être confiée à des équipes pluridisciplinaires comportant des membres de toutes les confessions ainsi que des historiens n'appartenant à aucune. Encore faudrait-il que chaque Église accepte le principe d'une telle mise à nu de son surgissement comme de sa fidélité à travers les âges, même si des surgeons très récents [2] s'affirment d'emblée plus authentiquement fidèles au Christ et aux Évangiles que les plus anciens, taxés d'un attachement paralysant à leurs traditions... Mais enfin, un tronc commun pourrait en découler sur lequel s'appuyer pour continuer l'entreprise de rassemblement unitaire...
Désirée dans l'amour
Il est cependant un point qui me désole : il est rare que nous nous aimions entre les diverses confessions chrétiennes. Or sans amour pas d'unité, puisque le premier fruit de l'amour est celui de l'unité. Dans la "binité" qui résulte du sacrement de mariage, les membres sont forts différents l'un de l'autre : pourtant ils sont unis d'un lien indissoluble, justement parce qu'ils s'aiment et ont fait reconnaître et cautionner ce lien par le Seigneur Lui-même.
Que signifierait ici l'amour ? Que personne ne chercherait à imposer à qui que ce soit un renoncement à celui qu'il est : un tel renoncement ne se justifierait et ne pourrait donc être reconnu que s'il est fondé sur une conviction profonde, un approfondissement décisif de la foi à la lumière, non seulement de son Église, mais également à celle des autres. Pas plus ne serait efficace l'exigence d'une quelconque abjuration : on ne renierait rien, on ne ferait que passer à l'étage au-dessus ou d'à côté. Les formules ont leur importance, et parfois dans le passé ne respectaient suffisamment la dignité de chaque être.
Nous catholiques, n'aurions-nous donc rien à apprendre ou retenir de la vision, des raisons et de l'expérience des autres chrétiens ? Et ces autres-là, n'auraient-ils rien à entendre et à reprendre aux catholiques, rien à repenser en fonction de leur si ancienne fidélité, même si elle fut parfois à éclipse quoique toujours ensuite renouvelée ?
L'unité, l'unité ! Suffirait-il de répéter le mot dix mille fois pour qu'elle advienne ? Elle surgira d'elle-même, quoique prenant son temps, si elle est avant tout désirée dans l'amour. Peut-être qu'en vérité cette unité n'est recherchée, vitale pourtant, que pour obtenir une reconnaissance intellectuelle, théologique, plus encore que spirituelle, plus encore qu'amoureuse et/ou mystique ? Elle devrait être ressentie en chaque chrétien comme une sorte de besoin de tout "l'être" qu'il est, ou une faim lui tenaillant l'âme à la façon d'une absence porteuse d'angoisse, comme une souffrance asphyxiante par suite d'un manque destructeur. Nos divisions, à travers notre histoire, furent autant de gouffres ouverts dans notre esprit comme dans notre cœur et nous ne pouvons croire qu'elles soient le fruit ou l'ombre portée de la vérité : seulement d'un ou de plusieurs mensonges qui nous ont été infusés au pied de l'Arbre funeste.
Ces symptômes, les éprouvons-nous ? Et si nous les éprouvons, est-ce avec assez d'acuité, de mordant ? Notre prise de conscience est-elle assez vigoureuse pour nous faire entrer dans une telle démarche antinomique à celle de perte que nous ne cessons d'entretenir depuis si longtemps ? L'unité, si nécessaire et que nous devrions faire passer de l'espérance à l'existence, même s'il faut se dire avec force qu'elle est déjà en chacun de nous puisque nous sommes tous bien persuadés, hors toute folie ou équilibrisme religieux, que Jésus le Christ est notre Sauveur et notre Dieu.
[1] Un sondage récent, que publie le Monde des Religions, laisserait penser que les Français qui se disent catholiques ne seraient plus que 51%, et que sur ces 51% la moitié ne croient ni en la divinité ni en la résurrection de Jésus le Christ : doublé d'ailleurs naturel, car comment croire en la résurrection si l'on ne croit pas à la divinité ? Si au moins les 25,5% de catholiques qui restent fidèles à la foi non-amputée de l'essentiel vivaient de cette foi sans restriction et sans paresse ! (Cf. de G. Leclerc, Une France bien peu catholique, Décryptage, 19 janvier)
[2] Quelques-uns d'entre eux se mettent, il faut en convenir, dans une position excentrique, dans tous les sens du mot.
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