Monsieur le président, Monsieur le garde des Sceaux, Madame le ministre, dans le temps très bref qui m'est imparti, je ne traiterai que des articles qui ont été ajoutés au projet initial de création de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations.

Je ne reviendrai pas sur la méthode qui a consisté à retirer le projet de loi relatif à la lutte contre les propos sexiste ou homophobe de l'ordre du jour de l'Assemblée nationale pour, aussitôt, déposer des amendements reprenant les dispositions essentielles dans le texte qui nous est soumis et qui a été examiné et voté trop rapidement par le Sénat.

Je rappellerai pour mémoire que le projet de loi a été retiré suite à l'avis donné par la commission nationale consultative des droits de l'homme qui a confirmé mon analyse sur l'inutilité du texte et sur sa dangerosité par rapport à la liberté d'expression et à la liberté de la presse.

Présenter ces articles 17 bis, 17 ter et 17 quater nouveaux comme ayant réglé toutes les difficultés soulevées par la Commission nationale n'est, qu'en partie, exact.

Si je partage votre avis, Monsieur le ministre, au sujet de l'article 17 bis qui pénalise les provocations à la haine et à la violence génératrices de discriminations au sens des articles 225-2 et 432-7 du code pénal, je considère toujours que les articles 17 ter et 17 quater sont inutiles et dangereux.

Inutiles car notre majorité, notre gouvernement, ont déjà agi efficacement pour combattre ces discriminations inadmissibles.

Par la loi Sarkozy du 18 mars 2003 sur la sécurité intérieure et par la loi Perben 2 du 9 mars 2004 sur la grande criminalité, dont j'étais le porte-parole du groupe, nous avons déjà prévu toute une série de circonstances aggravantes en cas de propos homophobes ou sexistes qui accompagnent une infraction. Par exemple l'article 132-77 du Code pénal actuellement en vigueur. La possibilité de répression existe donc déjà. La preuve : aucune décision de la jurisprudence : TGI, Cour d'Appel, Cour de Cassation ne fait état d'un vide juridique en la matière.

Ma critique concerne les articles 17 ter et quater nouveaux. Il s'agit des diffamations et injures commises envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur sexe ou de leur orientation sexuelle. Il s'agit également des droits reconnus à des associations de se constituer partie civile.

Le droit pénal doit nécessairement être très précis dans ses incriminations, d'autant plus quand il prévoit des peines privatives de liberté. L'imprécision n'est ni tolérable ni légale.

Il convient tout d'abord de rappeler que la loi N°2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence a supprimé les peines d'emprisonnement pour les délits de diffamation et d'injure. Cette suppression a été dictée par l'incompatibilité existant, au regard de nos engagements européens, entre une telle peine et le droit pénal de la presse. Or les articles proposés renouent avec les peines d'emprisonnement ce qui est manifestement disproportionné en matière de droit pénal de la presse. Et ce principe de proportionnalité entre de telles sanctions et les répercussions sur la liberté de la presse est essentiel.

De plus, ces nouveaux délits paraissent inutiles car nous avons déjà le délit général de l'article 29 de la loi de 1881 qui vise " toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération d'une personne ". Or ce texte s'entend très largement de sorte qu'il peut parfaitement inclure l'imputation d'un fait concernant " l'orientation sexuelle ".

Selon la chambre criminelle de la Cour de cassation, arrêt du 7 novembre 1989 (bulletin criminel N° 403) " les lois qui punissent la diffamation protégent tous les individus sans prévoir aucun cas d'exclusion fondé sur des éléments comme les conceptions personnelles et subjectives ou l'opinion... " Nous disposons donc de tout l'arsenal juridique

Ce qui est particulièrement inquiétant concerne l'incrimination de ces propos diffamatoires à raison du sexe ou de l'orientation sexuelle.

Il faut rappeler que le droit pénal consiste à alléguer des faits précis commis à l'encontre d'une personne ou d'un groupe de personnes. Tout dépendra de ce que la jurisprudence voudra bien mettre dans cette définition s'agissant de la protection des femmes et des homosexuels. On peut donc s'attendre à de nombreux procès car il faudra bien que la jurisprudence s'établisse et ce surtout s'il est permis à de simples associations de se constituer parties civiles, c'est-à-dire mettre en mouvement l'action publique, lancer les poursuites...

Quelles seront alors les limites acceptables à la protection de l'honneur et de la considération pour garantir la liberté d'expression ? Comment réagiront les éditeurs et plus généralement les médias et les journalistes à propos des opinions qui seront émises sur l'homosexualité ou le féminisme ?

Ces nouveaux délits risquent d'autant plus d'entrer en conflit avec la liberté de la presse (article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme) que la " liberté journalistique comprend le recours possible à une certaine dose d'exagération, voire de provocation " (CEDH 24/02/1991). En outre, " la liberté d'expression vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inopportunes ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent " (CEDH 1/07/1997).

Est-ce que les associations revendiquant des droits pour la défense des communautés homosexuelles, transsexuelles et autres feront vraiment la différence entre les propos qui peuvent choquer sans être injurieux, et les propos diffamatoires ? Rien n'est moins sûr puisqu'elles pourront lancer l'action publique et, même si au bout du processus judiciaire, il y a non lieu ou relaxe, la liberté d'expression sera sérieusement malmenée.

Les directeurs de publication, les journalistes prendront-ils le risque de se retrouver mis en examen lorsqu'ils auront déplu en relatant des opinions tranchées au sens de la Cour européenne des droits de l'homme, des opinions tranchées mais pas forcément diffamatoires ? En raison du risque important de poursuite, ne risque-t-on pas d'assister à la naissance de nouvelles formes de censure et d'autocensure ?

L'analogie faite avec les propos racistes renvoie à une catégorie qui a un support constitutionnel (Préambule de la constitution de 1946 et art. 1C de la DDHC, ce qui n'est aucunement le cas de l'homophobie).

Par ailleurs, permettre à de simples associations d'engager l'action publique est particulièrement dangereux à un double titre.

D'abord car certaines sont très procédurières et ensuite parce que donner des droits à un groupe est radicalement contraire à l'universalité des droits de l'homme. Nos droits ne sont pas définis par notre appartenance à telle ou telle communauté mais simplement par notre qualité d'être humain et quelles que soient nos croyances, nos opinions, notre culture, notre langue, nos origines. Il existe donc sur ce texte un véritable problème de constitutionnalité.

En ce sens, une décision essentielle vient d'être rendue par le Conseil constitutionnel le 19 novembre dernier, alors qu'il avait été saisi par le président de la République en application de l'article 54 de la Constitution, à propos de la procédure de ratification du traité établissant une constitution pour l'Europe. Dans cette décision N° 2004-505 DC, le Conseil précise au point N° 16 " que sont dès lors respectés les articles 1er à 3 de la Constitution qui s'opposent à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d'origine, de culture, de langue ou de croyance "

Ce considérant marque la volonté du Conseil de donner la primauté à l'individu et non au groupe afin d'éviter le communautarisme qui est radicalement contraire à l'unité de la Nation et à l'ordre public. Sinon, en effet, la République ne deviendra qu'une mosaïque de communautés aux intérêts catégoriels antagonistes.

Voici, très résumé, le sens de ma démarche dont la seule et unique motivation repose sur ma conviction de défense des libertés fondamentales.

*Jean-Paul Garraud est magistrat, député de la Gironde, membre de la Commission des lois.

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