Pour notre éditorial de cette semaine, nous avons sollicité le spécialiste de géopolitique Antoine de Lacoste qui revient sur la chute de Damas et nous apporte son éclairage sur la situation en cours dans ce pays dévasté. Antoine de Lacoste publie régulièrement sur son site GéoChroniques.
Après des années d’une guerre meurtrière et une victoire chèrement acquise, il n’a fallu que quelques jours aux islamistes précédemment vaincus pour balayer l’armée syrienne.
Que s’est-il passé ? Pour le comprendre, il faut partir d’un constat simple : l’armée syrienne n’a jamais valu grand-chose et beaucoup de ses meilleurs éléments sont morts dans les premiers mois de la guerre. Ce n’est donc pas elle qui avait gagné. Les vainqueurs ont été les Russes dans les airs, le Hezbollah libanais, les gardiens de la révolution iraniens et des milices chiites irakiennes au sol. A ces trois forces, il faut ajouter une multitude de petits groupes chrétiens ou alaouites qui avaient pris l’initiative de défendre leurs villages ou leurs quartiers face aux islamistes venus du monde entier (plus de 100 nationalités représentées). On ne le rappellera jamais assez : ce fut le plus grand jihad international de l’histoire. Nous avons rencontré ces combattants chrétiens de Sqalbieh ou Mhardeh, ils n’ont jamais reculé et ont perdu des centaines d’amis : plus de 800 noms entourent la petite église Saint Sophie construite pour fêter la victoire et remercier la Vierge dont ils ont tous des images chez eux.
Depuis 2017-2018, et après cinq ans de guerre, la situation s’était figée dans une mosaïque complexe. Les islamistes qui s’étaient rendus avaient été regroupés au nord-ouest dans la région d’Idleb. Le plus gros contingent était constitué du Front al-Nosra, dont le nom, associé à de multiples crimes devint encombrant, et il se rebaptisa (si l’on ose dire) Hayat Tharir al-Cham. L’armée turque occupait une partie du nord pour surveiller les Kurdes et les Américains le nord-est pour voler les puits de pétrole et de gaz dont ils confièrent la gestion aux mêmes Kurdes qui se payaient ainsi sur la bête. Déjà écrasée par les sanctions occidentales, la Syrie ne pouvait même plus bénéficier des revenus de ses matières premières.
Les Américains, toujours eux, installèrent de surcroît une vaste base militaire appelée al-Tanf dans le sud du désert syrien, le long de la frontière jordanienne. Le prétexte était de surveiller l’approvisionnement en armes du Hezbollah libanais par l’Iran. Les Américains en avaient profité pour recueillir, armer et entraîner des centaines d’islamistes, requalifiés de rebelles modérés, mensonge relayé à l’infini par les médias occidentaux. Notons que ces islamistes ont quitté le camp il y a quelques jours pour attaquer l’armée syrienne à Palmyre.
Si l’on ajoute à cela l’occupation du plateau du Golan, au sud-ouest, par l’armée israélienne et des restes non négligeables de groupes de l’Etat islamique dans le désert, on mesure le caractère explosif d’un tel chaudron.
Il a fallu deux évènements géopolitiques majeurs pour rompre le fragile équilibre : la guerre en Ukraine qui a accaparé l’effort militaire et stratégique russe et la guerre d’Israël contre le Hezbollah. Les troupes de la milice chiite n’étaient plus en Syrie pour contenir les premiers assauts des islamistes venus d’Idleb à l’instigation d’Erdogan. Les renforts envoyés par l’Irak et l’Iran ont été bloqués à la frontière car Israël avait clairement averti qu’ils seraient détruits par son aviation. Celle-ci a d’ailleurs bombardé les milices chiites ces derniers mois et même l’armée syrienne ces derniers jours dans le sud.
Le chaos s’installe en Syrie, l’axe chiite perd une pièce maîtresse, les sunnites prennent le pouvoir. Chacun à sa façon, Tel Aviv, Washington et Ankara remportent une victoire stratégique.
Antoine de Lacoste
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