[Nouvel Observateur, 4 mai 2005, extraits.]
Vous venez de prendre une décision assez inhabituelle, celle de vous mettre en congé du Conseil Constitutionnel afin de pouvoir intervenir dans le débat sur l'Europe.
On vous critique...
Simone Veil. - Je le sais. Mais j'ai examiné minutieusement les textes du Conseil. Ils sont sans ambiguïté. Ma démarche est tout à fait prévue, légale, possible. Le Conseil m'a donné son accord.
Qu'est ce qui vous y a poussée ?
Mon engagement très ancien pour l'Europe. Et la situation, qui est grave. Il y a en ce moment un risque réel de rupture, pour l'Europe et la France. La France, qui a été à l'origine de la création de l'Europe, qui a porté ce projet et en a retiré des bénéfices non négligeables, peut-elle aujourd'hui dire : Non, je n'en veux plus ? Peut-elle ainsi se renier, s'affaiblir, se marginaliser ? Pour moi, c'était impensable. J'ai donc décidé de faire campagne pour le oui. Et de m'adresser d'abord aux femmes qui, sans l'Europe, n'auraient jamais obtenu les droits et la reconnaissance dont elles bénéficient aujourd'hui.
Pourtant, une majorité de femmes (entre 52 et 58% d'après les sondages) disent qu'elles voteront non. Pas forcément contre l'Europe mais parce qu'elles sont inquiètes. Est-il vrai qu'un article de cette Constitution qui parle du "droit à la vie" pourrait remettre en cause l'IVG ?
Mais non ! C'est complètement faux ! Ceux qui propagent cette contre-vérité sont, dans le meilleur des cas, mal informés. L'article en question (article II-62) dit exactement "toute personne a droit à la vie". Il est fondé sur l'article 2, paragraphe I, de la Convention européenne des droits de l'homme et commenté dans l'article II-112 de la Constitution.
Il suffit de lire ces articles pour constater qu'ils n'apportent aucun changement à la situation juridique actuelle : dans la loi française, l'embryon n'étant pas considéré comme une "personne", le "droit à la vie" ne saurait lui être appliqué.
L'article II-62 ne pourrait donc pas être utilisé par des associations ou des militants anti-IVG ? Vous le confirmez ?
Je vous le prouve. À chaque fois que cette utilisation a été tentée, elle a été repoussée. Un exemple, entre autres, en a été donné à Metz dans un procès récent. Le l0 octobre 2003, une jeune femme enceinte de six mois avait été tuée dans un accident de voiture. Le chauffeur reconnu coupable fut poursuivi pour homicide involontaire et la famille de la victime demanda que soit aussi reconnu l'homicide involontaire de l'enfant à naître. La Cour européenne des droits de l'homme, saisie, a renvoyé à la législation nationale qui a tranché : reconnaître le fœtus comme une personne serait incompatible avec la loi française sur l'IVG. Le chauffard a donc été condamné pour un seul homicide involontaire, celui de la jeune femme.
C'est clair ! Toute la jurisprudence européenne confirme cette interprétation. Et les pressions qui peuvent s'exercer (comme celles des Églises, chrétiennes et musulmanes (sic), lors de la conférence sur la population, au Caire en 1994) n'y changeront rien. Je n'ai aucun doute là-dessus.
Si certaines féministes votent non, c'est parce qu'elles demandent que la loi autorisant l'IVG soit étendue à tous les Etats européens, y compris l'Irlande, la Pologne et le Portugal.
Au Portugal, où la situation des avortements clandestins est catastrophique, une telle loi pourrait être prochainement votée. Mais l'imposer à tous serait une grave erreur. L'Europe est multiple, il faut respecter ses différences culturelles et ses droits nationaux. Ne serait-ce que parce que c'est la meilleure garantie de leur bonne application. Je me souviens d'une jeune Irlandaise de 14 ans, violée et enceinte, qui s'était rendue avec ses parents en Angleterre pour y avorter. Elle a été poursuivie au plan pénal quand elle est rentrée en Irlande.
Mais la Cour européenne, sans s'insérer dans le droit irlandais, a invoqué le principe de libre circulation pour dire qu'elle ne pouvait pas être accusée en Irlande pour un avortement pratiqué en Angleterre où la loi l'autorise. Le droit national était respecté et la justice rendue.
Autre objection : beaucoup de femmes constatent, et elles n'ont pas tort, qu'il y a encore un grand écart entre les principes et la réalité. L'égalité homme/femme, inlassablement répétée dans la Constitution, n'est toujours pas complètement appliquée en matière de salaires, de promotion professionnelle, etc..
Sans doute. Mais est-ce une raison pour bloquer l'Europe et oublier tout ce que celle-ci a apporté aux femmes ? Je n'énumérerai pas tous les droits acquis depuis cinquante ans mais je me souviens qu'en 1960, ce n'est pas si loin, il me fallait l'autorisation de mon mari pour toucher mon premier salaire. Pour faire bref, je dirai que le corpus législatif européen sur les droits des femmes est sans doute le meilleur du monde.
Il impose aux législations nationales l'égalité des rémunérations, de la protection sociale, le congé parental, la reconnaissance du harcèlement sexuel (avec renversement de la charge de la preuve). Nous avons vu large !
Qu'est que la Constitution apportera de plus ?
Il sera plus facile d'engager un recours lorsque la loi sera violée, parce que la Charte des droits fondamentaux est intégrée dans le traité constitutionnel . D'autre part, le Parlement européen aura plus de pouvoir. Les femmes y sont nombreuses, très présentes (bien plus que les hommes) et très déterminées. À travers le Parlement, elles auront donc plus d'influence politique, plus de leviers pour faire bouger les choses.
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