Le conte de Piotr et Févronia : l'amour conjugal à l'honneur

Un dessin animé russe contemporain met à l'honneur la foi et l'amour conjugal : une belle découverte à partager en famille. Une critique de Bruno de Seguins Pazzis.

u 13ème siècle, dans la principauté de Mourom en Russie.

Un méchant sorcier a pris le pouvoir dans la principauté de Mourom. Seul le brave guerrier Piotr, jeune frère du duc Pavel, se livre à un combat avec le grand méchant et prend le dessus. Mais le sang vireux du sorcier empoisonne le sauveur de la principauté. La jeune guérisseuse Fevronia est prête à utiliser son don pour sauver Piotr. Un sentiment vrai et pur naît entre les deux jeunes gens. Ils vont le conserver malgré de nombreux obstacles…

Sainte Russie… En Russie il y a une journée de la famille, de l’amour et de la fidélité ! Cette belle idée, l’inverse de notre Saint Valentin consumériste, a été lancée en 2008 par Svetlana Medvedeva alors que son époux était président de la Russie. Cette idée a été reprise sans délai par les députés qui ont voté favorablement pour l’instauration de cette journée, qui a été fixée au 8 juillet car les orthodoxes commémorent ce jour-là la mort d’un couple princier de saints, Piotr et Fevronia de Mourom.

Mourom est une ville située à 280 kilomètres à l’est de Moscou dans l’oblast de Vladimir. Au 13ème siècle, Mourom est la capitale d’une principauté indépendante. Piotr est le second fils lépreux de Youri Vladimirovitch de Mourom. La jeune paysanne Févronia, vue en rêve par le jeune prince, parvient à le soigner par sa connaissance des plantes et par son amour, avant qu'ils ne se marient. Après la mort de son père et de son frère, le prince doit succéder sur  trône, mais les nobles s'y opposent et lui disent : « Tu dois te séparer de ta femme ou quitter Mourom, car ta femme, par sa condition, est la honte de la noblesse. » Le prince choisit de quitter Mourom et de vivre dans la pauvreté avec son épouse. Mais le trône restant vacant, les luttes intestines se multiplient allant jusqu'aux assassinats. Les nobles décident donc de faire appel au prince Piotr : celui-ci revint avec son épouse Févronia qui sait se faire aimer. Ayant atteint un grand âge, Piotr décide de devenir moine avec le nom de David et  Févronia moniale avec celui de Evfrosinia. Ils prient pour quitter ce monde le même jour et demandent à être enterrés dans le même tombeau séparés par une fine cloison. Ils décèdent en effet le même jour, le 25 juin (8 juillet selon le calendrier civil) 1228. Mais on ne les enterre pas dans le même tombeau, car ils sont religieux, mais dans des monastères différents. À la surprise générale, leurs reliques se retrouvent réunies le lendemain. Ils sont donc finalement enterrés dans l'église de la Nativité de la Vierge à Mourom. Leurs reliques sont ensuite transférées dans le couvent de la Sainte-Trinité de Mourom où l'on peut aujourd'hui les vénérer.

Les moniales du couvent de la Sainte-Trinité recensent depuis les années 1990 les miracles effectués par les prières aux saints Pierre et Févronia : les parents stériles ont la joie de donner naissance à un âge avancé, les couples en instance de divorce se réconcilient… Si le culte s’est sensiblement développé depuis les années 1990, il est déjà mentionné dans l'ouvrage de Fédot Afanassiévitch Kotov de 1624, Itinéraire de Moscou au royaume de Perse. Leur hagiographie est un grand classique de la littérature russe du XVe siècle en même temps qu’ils sont la plus célèbre histoire d’amour de Russie.

Cette journée du 8 juillet revêt une importance particulière et s’inscrit à l’opposé des « valeurs » portées aux nues dans la majorité des pays occidentaux. Ainsi, à l’occasion de la journée du 8 juillet 2015, le député russe, Andreï Lissovenko répondant successivement à un entretien accordé à Francetv info puis au quotidien Izvestia déclarait que la Russie voulait mettre en avant «la famille russe standard» et dire «à la société et au monde entier que ce sont nos valeurs» (…)  et que cette journée du 8 juillet,  «c'est notre réponse au mariage homosexuel, à la parodie du concept même de famille. Nous devons prévenir la fièvre gay dans notre pays et soutenir les valeurs traditionnelles.» Quelques temps avant cet entretien, le député  avait  même écrit en juin à la Douma, le parlement russe, pour demander l'interdiction de l'utilisation du drapeau arc-en-ciel en Russie, y compris sur internet et les réseaux sociaux. Peut-on seulement imaginer en France Brigitte Macron émettre l’idée que le, jour de la fête de Louis et Zélie Martin, soit déclarée journée nationale de la famille, de l’amour et de la fidélité et que son idée soit immédiatement relayée et votée par notre Assemblée Nationale ? Cela se passe de tout commentaire additionnel.

L’adaptation réalisée pour un public jeune prend la forme d’un conte, ce qui implique l’introduction de merveilleux qui convient parfaitement à l’adaptation cinématographique, cette fois-ci réalisée sous la forme d’un film d’animation de Yuri Kulakov, plutôt spécialisé dans les films pour la jeunesse. A des éléments historiques sont ajoutés des personnages et des faits qui rendent cette très belle histoire attractive pour les plus jeunes. L’essentiel est l’ajout d’un méchant qui a la forme d’un dragon à trois têtes et trois vies, qui change d’apparence, et dont le but est de prendre le pouvoir dans la principauté à la place du frère ainé de Piotr, puis à la place de Piotr lui-même. Ce personnage permet à l’évidence le développement de scènes qui font échos à d’autres contes occidentaux, Piotr devant par exemple absolument récupérer l’épée d’Agrikof qui fait irrésistiblement penser à l’épée mythique de Durandal. Mais mieux que l’épée de Durandal, elle sera au moment le plus périlleux donnée à Piotr par le Ciel qui dira au couple: « Votre force est dans votre amour et dans votre foi ». Pédagogiquement, le film n’omet pas de montrer au travers d’autres personnages les travers de la nature humaine qu’il nous faut combattre. Tout ceci est très bien agencé car jamais le fond du récit, l’exemple donné par Piotr et Févronia ne sont occultés. L’imagerie est très vivante, réserve quelques belles planches et de nature à provoquer l’imaginaire des enfants. On regrette seulement le sous-titrage français qui défile trop vite et empêche de saisir quelques éléments des dialogues. Un défaut mineur à côté des qualités d’un film d’animation qu’il faudrait proposer très largement à notre jeunesse souvent gavée de films décadents,  mais que les adultes peuvent largement apprécier et dont ils peuvent aussi tirer profit tant il est l’éloge d’un amour pur.

Le film est visible sur le site de la Maison russe des sciences et de la culture à Paris :

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