Football : une unité nationale en trompe-l’œil

Champions du monde ! Ce matin, c’est avec un sentiment mêlé de joie et d’amertume que le regard se porte sur le dernier match de la Coupe du Monde, et sur la victoire des Bleus. Parcourant hier, avant le match, les rues de Paris, j’avais été agréablement frappée par l’ambiance bon enfant des passants électrisés par une atmosphère qui sentait bon, par avance, la victoire.

Inutile de bouder son plaisir : compte tenu de la morosité dans laquelle nous sommes englués depuis des semaines, tout cela avait quelque chose, malgré les fortes chaleurs, de fichtrement rafraîchissant. Un plaisir aussi, de pouvoir – un peu – s’identifier à des joueurs comme Olivier Giroud et Antoine Griezmann, qui n’ont pas peur de revendiquer leur attachement à la foi chrétienne. Après les frasques d’un Franck Ribéry converti à l’Islam, on pouvait se réjouir de voir des signes de croix furtivement esquissés sur le terrain.

Mgr Rey, depuis le diocèse de Toulon, et d’autres ecclésiastiques, se proposaient de faire sonner les cloches pour saluer le triomphe de l’équipe de France. Initiative incongrue, mais somme toute sympathique : il n’est pas inutile de rappeler qu’il n’y a guère, il n’était pas concevable que l’expression de la liesse populaire se fasse sans l’Eglise, qui lançait volontiers vers le Ciel de glorieux Te Deum. Avec le carillon des cloches de la joie, l’Eglise de France n’est-elle pas la seule à avoir la capacité d’emplir de manière sonore l’espace public ?

Le problème, c’est que l’enthousiasme de la Coupe du Monde est un fusil à un coup.

« On a gagné », mais on ne sait pas très bien ce que l’on a gagné. Aujourd’hui le cours de la vie reprend, avec les mêmes misères, les mêmes médiocrités, les problèmes non résolus, et la décharge d’adrénaline ne peut les masquer très longtemps. Les cloches sonnent faux, car il n’y a pas d’unité, et pas vraiment de communauté à célébrer. L’unanimisme est feint et faussé, car il n’est soutenu par aucun idéal, et l’enthousiasme débordant ne résout rien, car en dehors du foot, il n’a pas de relais social ni politique, chez des gens épuisés de vivre ensemble.

« On a gagné », mais qui a gagné ? Une équipe de 23 joueurs, qui aiment à se dire fiers d’être Français, mais sur le mode de la répétition, de l’incantation. C’est quoi, être Français, au juste ? A l’issue de la coupe du monde, on ne le sait toujours pas, et il ne faudrait surtout pas s’aviser de donner du contenu à tout cela : terrain bien trop glissant. Le mythe du Black-Blanc-Beur ne convainc plus personne ; plus personne ne se risque à le convoquer ouvertement, mais l’on n’a rien trouvé à mettre à la place.

Et puis l’on juge un arbre à ses fruits. Et quels sont-ils ? Hier soir, vandalisme, pillages, vols et destructions étaient au rendez-vous sur tout le territoire. Un cortège de maux qui accompagne un sport gangrené par l’argent, montant à la tête d’une jeunesse qui ne croit pas à grand-chose et qui serait bien en peine de dire ce que c’est que la France. Quelle image donnons-nous de nous-mêmes à l’étranger, incapables que nous sommes de fêter dignement une belle victoire sportive ?

Une amie me confiait hier : j’aime la Coupe du Monde, car pour une fois les gens se parlent, se disent bonjour, s’interpellent dans le métro. Et elle ajoutait : la dernière fois que c’est arrivé, c’était pour le Bataclan. Curieux destin que celui de la France, dont le pouls bat à l’étroit entre les attentats et les pillages.

On juge un arbre à ses fruits, et ceux de la coupe du monde sont malheureusement bien amers.

Constance Prazel