Source [Atlantico] La France va devoir apprendre à penser l'Europe sans le leadership allemand.
Londres qui rit. Berlin qui pleure.
La fin 2019 nous a permis d’assister à un important glissement de terrain en Europe. La Grande-Bretagne, malgré trois ans de psychodrame à propos de la mise en oeuvre du Brexit, dispose désormais d’une majorité politique stable, dotée d’un mandat politique sans ambiguïté. L’Union Européenne, une fois le Brexit définitivement acté, le 31 janvier 2020, va se retrouver face à un Boris Johnson non seulement doté de ses redoutables capacités de négociation mais ayant une position cohérente face à l’Union Européenne, elle-même très désorganisée.
Pourquoi insister sur une telle évidence? Parce que, depuis l’été 2016, nous avons assisté, en fait, à un chassé-croisé en Europe: au lendemain du référendum, la plupart des observateurs ne doutaient pas qu’Angela Merkel ne ferait qu’une bouchée du gouvernement britannique venant négocier le Brexit à Bruxelles. La Chancelière allemande était alors au sommet de son influence, fêtée par les médias et les dirigeants du monde pour avoir ouvert totalement, pendant trois mois, fin 2015, les frontières de l’Allemagne aux réfugiés et aux immigrants affluant du Moyen-Orient et d’Afrique. Trois ans plus tard, le chef du gouvernement allemand est profondément affaibli. Si une élection législative avait lieu ce dimanche, la CDU et le SPD, les deux partis au pouvoir, rassembleraient à peine 40% des voix à eux deux, la moitié de leur score cumulé il y a vingt cinq ans et moins que le seul parti conservateur de Boris Johnson aux élections britanniques du 12 décembre (toutes choses égales par ailleurs en termes de système électoral).
Comment Angela Merkel a donné l’impulsion définitive au Brexit
Le lien entre toutes ces questions est flagrant: lorsqu’elle a ouvert largement les frontières de son pays à l’immigration, au moment où la campagne du Brexit commençait, Angela Merkel a, sans s’en rendre compte, scellé le destin des Britanniques partisans du maintien dans l’UE. Avant cette décision allemande, le « Remain » avait de l’avance dans les sondages; après le spectaculaire coup de tête d’Angela Merkel, l’impossibilité, quand on est membre de l’UE, de contrôler l’immigration devient l’un des deux sujets les plus importants de la campagne, celui qui a sans aucun doute fait passer le vote Brexit en juin 2016. Enorme bévue de la Chancelière, donc, du point de vue des intérêts de l’Union Européenne, mais dont on n’est pas sûr qu’elle s’en soit jamais rendue compte.
Rappelons-nous son optimisme de l’automne 2015, lorsque Madame Merkel répétait à ses compatriotes: « Wir schaffen das! ». Nous y arriverons. L’opinion allemande a d’ailleurs suivi, dans un premier temps. L’enthousiasme est cependant progressivement retombé, au premier semestre 2016: il y avait eu cette nuit de la Saint-Sylvestre à Cologne, où des étrangers nord-africains (pas forcément des migrants de l’automne, d’ailleurs) ont été arrêtés pour tentatives de viol, mais dont les médias avaient refusé de parler durant de nombreuses semaines; et puis il y a eu une lassitude croissante de la société, constatant que le gouvernement ne mettait pas de moyens financiers exceptionnels à disposition malgré l’énorme effort d’accueil engagé par des centaines de milliers d’Allemands, le plus souvent bénévoles; il y a eu enfin la désillusion de l’industrie allemande, bien obligée de constater la contradiction entre la faible qualification des migrants concernés et la stratégie du patronat de ne garder en Allemagne que des emplois à forte valeur ajoutée.
L’agonie politique d’Angela Merkel
De ce côté-ci de la Manche, on s’est gaussé de Theresa May, manquant la majorité absolue lors d’élections législatives anticipées en juin 2017. Mais le résultat de la CDU-CSU aux élections législatives allemandes de septembre a été bien plus mauvais: faisant le score le plus faible de leur histoire, 30% des voix, les chrétiens-démocrates ont dû négocier pendant six mois - du jamais vu depuis la République de Weimar - pour constituer un gouvernement de grande Coalition - exactement ce que les électeurs avaient rejeté, en faisant chuter le SPD encore plus que la CDU. A droite de la CDU, un parti conservateur dur s’est installé, l’AfD, dont les cadres locaux viennent souvent de la droite nationaliste: dans l’ancienne Allemagne de l’Est, la patrie d’Angela Merkel, l’AfD est en passe de devenir le premier parti en nombre de voix. La droite allemande, si puissante et cohérente quand Angela Merkel en avait pris la direction, en 2000, est aujourd’hui affaiblie, divisée. La Chancelière a préféré, depuis qu’elle est arrivée au pouvoir en 2005, installer son parti au centre-gauche, prenant des voix aux sociaux-démocrates mais en perdant sur sa droite. La CDU a encore un socle électoral de 25% et reste le premier parti en termes d’intentions de vote mais la question de la succession d’Angela Merkel s’est posée dès le printemps 2018.
Christian Lindner, le chef des libéraux du FDP, avait fait sensation, fin 2017, en refusant de continuer à négocier pour la constitution d’un nouveau gouvernement tant qu’Angela Merkel resterait chancelière. Au fond, le parti chrétien-démocrate sait bien qu’il s’est privé, après les dernières élections, d’une coalition renouvelée, avec les libéraux et les Verts. Pourtant, une fois la Grande Coalition reconduite, au printemps 2018, personne n’a osé défier Angela Merkel. C’est cette dernière, sentant que son soutien avait sérieusement flanché dans l’opinion, qui a annoncé d’elle-même qu’elle ne se représentait pas à la présidence de son parti et qu’elle ne serait plus candidate à la Chancellerie en septembre 2021. Du coup, Annegret Kramp-Karrrenbauer, qui a pris la présidence du parti, élue avec 53% des suffrages, ce qui est faible dans une élection de ce type, n’a pas réussi, depuis un an, à asseoir sa légitimité.
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