En l'espace de trois semaines, la crise financière aura complètement modifié le rapport des forces dans la campagne électorale américaine. Ce tournant sans doute décisif a surpris tout le monde, à l'exception des Français bien sûr, puisque leur journaux leur vendent Obama gagnant depuis six mois (cf. Élections américaines : pourquoi vous ne saurez pas ce qu'il se passe , Décryptage, 26 septembre).
La raison en est simple : si l'on s'attendait bien à une répercussion de la crise sur le débat présidentiel, on n'avait pas soupçonné à quel point elle allait faire pencher la balance du côté démocrate. Un sondage récent a ainsi montré qu'entre septembre et octobre la part des électeurs faisant confiance au candidat démocrate a augmenté sur ses points faibles que sont l'Irak et les taxes. Or, puisque son discours sur ces sujets est resté quasiment constant, il faut bien en déduire que ce sont les électeurs qui, en regard des prédictions économiques, se sont résignés à ne plus leur accorder beaucoup d'importance. Le dernier débat télévisé a de ce point de vue renforcé l'impression que McCain était dépassé par les événements (mais il convient d'attendre les prochains sondages pour le vérifier).
Comme nous l'écrivions précédemment, le héros sait se battre, mais il lui manque un objectif, un plan face à la crise (on a peine à croire que personne dans le bataillon pléthorique de la campagne républicaine n'a été chargé, lors de l'explosion de la bulle financière, il y a un an, de réfléchir sur un discours de rechange en cas de décrochage de Wall Street). Sans doute le vieux sénateur a-t-il trop étudié la politique sous l'angle des lois qu'il fallait voter au Capitole pour acquérir une vision politique d'ensemble à même de lui ouvrir les portes de la Maison blanche.
Obama, malgré lui
Comme le montrent de nombreuses études Barak Obama n'est pas la cause de cette évolution, si ce n'est par sa hiératique décontraction : un Messie c'est bien, un Messie cool c'est mieux. Il a certes dénoncé les dérégulations républicaines mais, comme Bill Clinton s'est empressé de l'expliquer, la loi de dérégulation à laquelle tout le monde pense n'a que peu à voir avec la crise, sans compter qu'elle a été signée par... Bill Clinton. Il a aussi blâmé les dépenses en Irak mais continue de soutenir une augmentation de la présence militaire en Afghanistan. Il déclare avoir choisi Main Street contre Wall Street, la rue contre les banquiers, mais se garde bien de relever que la bulle financière s'est formée et alimentée parce que des banquiers ont prêté au-delà des moyens de la rue sur pression politique.
Bref, Barak Obama s'est contenté de promettre de relever, sans potion amère, le paralytique qui mettra sa foi en lui (parmi les nombreux moyens pour grandir dans la foi, on peut renvoyer à l'édifiante vidéo ci-dessous, extraite du site officiel de sa campagne mais retirée depuis trois semaines, on comprend pourquoi).
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Et Obama sait remarquablement profiter tant de la crise que de l'absence d'une réaction politique sérieuse dans le camp d'en face. Il est le candidat de l'anxiété économique face à un Parti républicain qui ne s'est pas réformé et en qui la population n'a plus confiance. Il serait donc totalement erroné de croire que l'évolution de ces dernières semaines résulte d'un choix positif. C'est du reste peut-être la bonne nouvelle : entre l'Obama de la gauche radicale (celui qu'il a toujours été, sans que l'on puisse savoir si c'était ou non un simple tremplin pour son ambition politique) et l'Obama Messie (l'idéaliste dénué du sens pratique qui fait l'essentiel de la politique), seul le second devrait s'installer à la Maison blanche parce que la nécessité de gérer la crise ne lui laissera aucune marge de manœuvre.
Il est cependant fort probable que, ne pouvant poursuivre son programme en matière économique et sociale, Barak Obama se réfugiera dans les réformes symboliques pour
donner des gages au camp radical qui l'a soutenu depuis le début. Notamment en matière pro-choice, sur lequel on sait qu'il a des positions extrêmes, mais aussi dans tout un ensemble de domaines où le Parti démocrate s'est, faute d'un autre projet que la haine contre Bush, mis à la remorque des lobbies idéologues. Il n'est pas inutile de rappeler que le parti des Blancs en cols bleus (les ouvriers) n'est pas le Parti démocrate mais le Parti républicain. Comme l'a montré un sondage récent, alors que ce dernier colle à son électorat (36 % se déclarent républicains, 37 % disent être de tempérament conservateur), le Parti démocrate est gouverné par sa frange libérale et déconnecté de son électorat centriste : 43 % se déclarent démocrates, mais ils ne sont plus que 23 % à se dire libéraux.
Reste bien évidemment une inconnue : en un mois, un autre événement pourrait tout à fait repropulser McCain sur l'avant-scène. On se gardera d'oublier qu'on l'a déjà donné pour politiquement mort au moins deux fois depuis un an, qu'à chaque fois il s'en est sorti, et à chaque fois vainqueur.
Voici donc l'extrême ironie : aucun des prétendants n'est en mesure de gagner l'élection sur sa seule candidature parce qu'aucun d'eux ne s'appuie sur un projet politique fort. À n'incarner que des figures, celle du héros et celle du Messie, les candidats américains se sont condamnés à laisser les circonstances décider de leur victoire à leur place.
Du côté des catholiques
Du côté des catholiques, quel est l'impact de la nouvelle donne ? Si les libéraux se réjouissent, la perspective d'une victoire d'Obama ne modifiera pas fondamentalement le paysage de l'Église américaine, déjà profondément clivée, et de manière beaucoup plus radicale qu'en France : entre les catholiques tentés par la sécularisation et ceux qui ont pris le train lancé par Jean-Paul II et Benoît XVI, on a affaire à deux mondes qui s'ignorent, sauf quand ils ne peuvent faire autrement. Et cette division départage toutes les institutions catholiques, depuis les commissions de la conférence épiscopale jusqu'aux mouvements et paroisses en passant par les universités et les congrégations religieuses.
Si la campagne électorale avive les antagonismes, c'est surtout parce que le clivage recoupe parfaitement les camps politiques. Il ne faut cependant pas trop en surestimer l'importance.
D'abord parce que la vie politique américaine reste façonnée par un idéal encore imprégné du protestantisme des origines, avec lequel les catholiques quels qu'ils soient ont toujours été mal à l'aise. Ils sont donc, par nature si l'on peut dire, partagés entre les deux camps.
Ensuite parce que l'élément-clé de répartition politique actuel est et reste la défense de la vie. Or, si elle est contraignante du point de vue de la conscience, cette question ne constitue pas la seule boussole d'une politique chrétienne (et c'est d'ailleurs par là que les catholiques démocrates justifie leur appartenance politique).
Enfin, il y a fort à parier que le pragmatisme américain reprendra vite le dessus : le réseau du catholicisme libéral trouvera sans doute une nouvelle énergie dans l'élection d'Obama, mais les rapports de force dans l'Église américaine dépendent de beaucoup d'autres facteurs, et notamment de ses lieux de vitalité, au rang desquels on trouve les familles et les jeunes, prêtres ou laïcs.