A quelques jours des élections européennes, le Père Burgun nous rappelle que le procès pour la béatification de Robert Schuman est en cours. Retour sur une vie passée au service du bien commun.
L’Église a toujours honoré ses saints ; il suffit pour s’en convaincre de se souvenir de l’émouvante canonisation de Jean XXIII et de Jean-Paul II il y a tout juste quinze jours, à Rome, par le pape François. Mais il est une autre cause de béatification, en marche depuis 20 ans, qui avance lentement mais sûrement : la cause de Robert Schuman, père de l’Europe (célébrée chaque 9 mai) : homme politique français, mort en 1963, après une vie au service DE sa patrie et de l’humanité, comme il aimait à le rappeler : « l’amour de la patrie, c’est une véritable forme de la charité » ; mais aussi, « servir l’humanité est un devoir à l’égal de celui que nous dicte notre fidélité à la nation ».
Et quelle sainteté nous montre Schuman si ce n’est la sainteté d’une vie consacrée au service du bien commun, dans le vécu humble et souvent héroïque des vertus chrétiennes, par une vie exemplaire au sein de l’arène politique ? C’est ainsi qu’en témoignait André Philip parlant de son ami confronté aux luttes parlementaires virulentes de son époque :
"« Ce qui me frappait chez lui c’est le rayonnement de sa vie intérieure. On était devant un homme consacré, sans désirs personnels, sans ambition, d’une totale sincérité et humilité intellectuelle, qui ne cherchait qu’à servir, là et au moment où il se sentait appelé. Dans l’atmosphère enfiévrée des débats parlementaires, il était rafraîchissant de rencontrer un homme toujours prêt à engager le dialogue, cherchant à persuader, tenant compte des objections, toujours avec le même calme et l’entière courtoisie. Pour atteindre son but même le plus courant, il n’a jamais employé un moyen vulgaire, exagéré le poids d’un argument, ni élevé la voix. Mais par-dessus tout il restera comme le type du vrai démocrate imaginatif et créateur, combatif dans sa douceur, toujours respectueux de l’homme, fidèle à une volonté intime qui donnait sens à sa vie. »
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Au cœur de Robert Schuman – et nul ne peut en douter – sa foi chrétienne aura mû toute son existence et toute son action. Vivant de sa foi nourrie de la Parole et de l’enseignement de l’Église, il a demeuré dans une inlassable espérance lui permettant de discerner la présence de Dieu, continuellement présent dans l’histoire : le mal n’a jamais le dernier mot ! Sa charité demeurait le moteur de son agir et l’amour du prochain était pour lui une règle inaliénable :
"« La loi universelle de l’amour et de la charité a fait de tout homme notre prochain et sur elles reposent depuis lors les relations sociales dans le monde chrétien. Tout cet enseignement et les conséquences pratiques qui en découlent ont bouleversé le monde ».
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Les vertus chrétiennes au service du bien commun
À partir de là, les vertus de Schuman deviennent éclatantes : sa prudence, avec laquelle il aura toujours agi, mais qui ne l’empêchait pas d’être audacieux dans ses idées et ses projets ; sa justice aussi, comprise dans son sens chrétien : rendre toutes choses à Dieu, et à son prochain ce qui lui est dû ! Sa vie en est l’exemple le plus illustre. Le service du pauvre et du plus faible était au cœur de ses préoccupations. La force et la tempérance ont résumé en lui sa constance, son courage et sa douceur, en vue du bien commun. Son humilité en était la partie la plus expressive.
René Lejeune, qui a tenté de manifester le premier la sainteté de cet homme, a résumé sa spiritualité dans les cinq branches d’une belle étoile dont la première est « un abandon total à la volonté de Dieu » et à sa providence : c’est lui le Maître et il lui faisait une confiance absolue. La deuxième est une « spiritualité de l’instrument » qui lui faisait dire :
"« Nous sommes les instruments bien imparfaits d’une Providence qui s’en sert pour l’accomplissement de grands desseins qui nous dépassent. Cette certitude nous oblige à beaucoup de modestie, mais nous confère aussi une sérénité que ne justifieraient pas toujours nos expériences personnelles considérées d’un point de vue simplement humain. »
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La troisième branche se résume par un « tout pour Dieu » vécu dans un don de soi totalement désintéressé. La quatrième branche est sa vie de foi vécue « toujours sous le regard de Dieu », particulièrement par la prière, comme l’a souligné François Mitterrand en 1986 : « Homme public, sa vie obéissait à un rythme intérieur qui échappait aux agitations de l’action. Membre de son gouvernement, je l’ai vu tel qu’il était, levé tôt le matin, abordant son travail le bureau vide de tout papier, après une longue méditation quotidienne que nul n’aurait osé troubler. » La dernière branche est sa ferveur mariale : la Vierge Marie était pour lui un modèle de foi et d’espérance transmis par sa mère.
Mais béatifier, canoniser Robert Schuman ne se fera pas du jour au lendemain
Cette cause comporte, me semble-t-il, deux difficultés.
La première concerne son éventuelle sainteté : il faut que les croyants, et même les non-croyants d’ailleurs, passent de l’admiration à l’imitation, comme le disait très justement saint Jean-Paul II (qui était très attaché à cette cause de béatification) : « Les saints ne nous demandent pas de les applaudir mais de les imiter » ; il faut que les croyants passent de l’admiration à la prière.
Passer à la prière, c’est considérer non seulement Schuman comme un grand homme de l’histoire ; mais considérer qu’il peut intercéder pour soi, pour l’Église, pour le monde. C’est le prier pour obtenir le miracle nécessaire à sa béatification ! La positio, comme on dit, qui doit prouver l’héroïcité de ses vertus chrétiennes, est en très bonne voie et a su dépasser toutes les contestations et tous les mensonges historiques le concernant. Mais le miracle n’en demeure pas moins nécessaire. Il faut donc intercéder auprès de lui.
Et pour ce qui est l’imitation – deuxième difficulté – croyant et non-croyant sont concernés et conviés : aujourd’hui, qu’avons-nous fait de l’Europe ? N’est-il pas temps de s’engager résolument à imiter Schuman dans son agir, ses valeurs, ses vertus ? Celles qui ont fait de lui ce qu’il est et ce que l’Église veut voir élevé sur les autels ?
Robert Schuman est donc cet homme politique connu et reconnu pour son engagement en faveur de la paix européenne et une paix construite, organisée, non pas vécue comme un doux rêve ou une belle utopie, mais comme un projet concret et incarné : une réalité du partage et du don de soi, en communauté et en nation, ainsi qu’il a l’exposé clairement le 9 mai 1950 :
"« L’Europe ne se fera pas d’un coup ni dans une construction d’ensemble. Elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord des solidarités de fait. » Et encore : « Il n’y a pour nous d’autre chance de salut que le retour aux principes de solidarité entre les individus et entre les Nations, à la pratique de la fraternité qui doit nous unir dans la coopération et dans le sacrifice. »
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Et Pie XII, déjà, avait exposé cette nécessité :
"« Aussi longtemps que l’idée européenne ne sera pas réalisée effectivement par des institutions communes dotées d’une autorité propre qui doit devenir à un certain degré indépendante des gouvernements nationaux, elle restera sans doute une idée très belle, mais utopique. »
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Quand les chrétiens veulent bien approfondir le concile Vatican II, on ne peut qu’être étonné par la vision prophétique de Schuman, pétrie de l’espérance chrétienne. Plus de vingt-cinq ans avant la chute du mur de Berlin, imprégné de ce que « pardon » et « réconciliation » signifient vraiment, il avait anticipé une Allemagne réunifiée et une Europe apaisée ! Il avait imaginé et compris que cette union d’États autour d’intérêts communs certes, mais aussi par des valeurs humaines communes, devienne un modèle universel de paix.
Certes, il ne s’agit plus aujourd’hui de rêver l’Europe, ni de rêver à la sainteté en politique ; il s’agit d’en vivre ! Selon le bon mot de Vaclav Havel, « l’élément tragique pour l’homme moderne n’est pas qu’il ne connaît pas le sens de la vie, mais que ce sens de la vie le dérange de moins en moins ».
Et l’Europe est aujourd’hui cela : le sens de son existence la dérange de moins en moins. Voilà son drame et, en fait, voilà sa chance : c’est au cœur de nos conversions que l’on trouve toujours l’énergie nécessaire de mieux rebondir ! L’Europe est aujourd’hui à ce carrefour de son existence. Cette ambition est loin d’être réalisée, mais elle continue d’animer encore un certain nombre de parlementaires européens.
La paix, à l’époque de Schuman, était un état précaire entre deux périodes de guerre, employée à préparer la guerre suivante, suivant l’adage bien connu : si vis pacem, para bellum (et avouons même que des théologiens chrétiens y ont longtemps montré une certaine complaisance …).
Aujourd’hui, la paix est toujours un état précaire. Il serait grand temps que nous sortions des rapports de forces qui forgent encore les rapports politiques. Le « non » à l’Europe, tant invoqué par certains extrêmes, n’est qu’une bête illusion, car elle se fonde sur cet impensable désir de confrontation à son voisin, à Bruxelles, et à ceux qui nous dérangent. Ce ne fut jamais la méthode de Schuman ; ce ne pourra jamais être la méthode des chrétiens encore aujourd’hui, et la béatification de Schuman pourrait le signifier à un plus haut degré encore.
Père Cédric Burgun
http://www.cedric.burgun.eu/robert-schuman-bientot-saint/
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