Une « renonciation », pas une démission

Il y a beaucoup de choses établies par le Code de droit canonique de 1983 (actuellement en vigueur), et il y a celles qui ne sont pas vraiment prévues. Même si la décision courageuse du pape Benoît XVI est exceptionnelle par l’effet de surprise qu’elle a provoquée, elle n’en est pas moins inscrite dans le droit et les évènements vont se dérouler comme par le passé.

La renonciation au Siège apostolique, expression consacrée, est prévue par le canon 332 §2 qui stipule que « s’il arrive que le pontife romain renonce à sa charge, il est requis pour la validité que la renonciation soit faite librement et qu’elle soit dûment manifestée, mais non pas qu’elle soit acceptée par qui que ce soit ». En ce sens, il s’agit bien d’une « abdication » (le Code dit « renonciation ») et non d’une démission comme on le dit partout sur les ondes depuis le 11 février.

Une démission doit être acceptée par quelqu’un (un évêque diocésain démissionne de sa charge et demande l’autorisation au pape de se retirer) ; le pape, lui, ne demande à personne. Il renonce personnellement. Ce droit avait été officiellement affirmé par le pape Boniface VIII qui avait déclaré : Romanum Pontificem posse libere resignare (« Le Pontife romain peut librement renoncer ») ; et pour cause,  Boniface VIII fut le successeur immédiat de Célestin V qui, le 24 décembre 1294, avait renoncé à sa charge. Ermite durant toute sa vie, ses six mois de pontificat lui furent suffisamment éprouvants. Boniface VIII confirma donc très vite ce pouvoir de renonciation qui appartient au pape, seul.

Que va-t-il se passer jusqu’au 28 février prochain ?

Rien d’exceptionnel. Le pape Benoit XVI est le pape (à la messe, les prêtres continueront de citer son nom dans la prière eucharistique) et il continuera d’administrer l’Église. Cependant, il faut bien reconnaître que la rapidité de sa renonciation, l’entrée en Carême et la retraite que le pape fait habituellement avec les cardinaux à cette occasion, va sérieusement ralentir cette administration.

Et le canon 335 pose une règle générale pour la vacance du Siège qui dit que, « quand le siège de Rome devient vacant ou totalement empêché, rien ne doit être innové dans le gouvernement de l’Église tout entière ». Si rien n’est donc innové à partir du 28 février, 20h, il ne faut pas s’attendre à de grands bouleversements d’ici là. Je pense même que, par exemple, toutes les nominations qui sont en cours ont soit été réglées soit reportées sine die en attendant le prochain pape.

À partir du 28 février, 20h, donc, le Siège apostolique sera déclaré officiellement vacant par le cardinal camerlingue, c’est-à-dire le cardinal « responsable » de la Chambre apostolique. Son rôle s’exerce uniquement dans ces circonstances. Il s’agit aujourd’hui du cardinal Tarcisio Bertone, désigné par Benoît XVI, le 4 avril 2007, qui « cumulait » donc avec la fonction de secrétaire d’État.

Pendant la vacance du Siège, il agit uniquement comme administrateur des droits et des biens de l’Église, puisque toutes les décisions reviennent de toute manière au collège des cardinaux, d’une manière ou d’une autre. C’est aussi pour cette raison que tous les chefs de dicastères (les ministres du pape) cesseront leurs fonctions (à l’une ou l’autre exception près) au moment de la vacance. Les cardinaux seront alors convoqués officiellement à Rome pour gérer les affaires courantes et organiser le conclave. Normalement, il lui revient de constater le décès du pontife romain (là, il constatera donc uniquement la vacance, par « analogie »), d’en informer le doyen des cardinaux, de mettre les scellés et de prendre possession des palais apostoliques. Sur ce point, il est probable qu’il y ait ce fonctionnement. Benoit XVI a prévenu qu’il se retirerait dès le 28 février à Castel Gondolfo, la résidence d’été des papes. Ayant mis de l’ordre dans ses affaires, la prise de possession du Palais apostolique et les scellés devraient avoir bien lieu, dans un souci de sécurité. À partir du 28 février, 20h, aussi, les prêtres ne citeront plus le nom du pape dans la prière eucharistique.

Pendant cette vacance, c’est donc le Collège des cardinaux qui gouverne l’Église, selon ce que prévoit la constitution apostolique Universi Dominici gregis (qui date de 1996 ; UDG) et qui précise le régime du gouvernement « provisoire ». Les articles 1 à 6, notamment, explicitent les limites du pouvoir du collège des cardinaux : c’est un pouvoir qui se limite à expédier les affaires courantes ou celles qui ne peuvent être différées (selon le jugement de la majorité des cardinaux s’ils devaient trancher). Il s’agit aussi d’interpréter la constitution apostolique qui réglemente l’élection, s’il avait un doute sur la loi, et donc de préparer l’élection.

Le collège des cardinaux exerce ses charges par trois « institutions » : le cardinal camerlingue qui administre et organise ; et deux types de réunions de cardinaux : des congrégations (c’est le terme officiel) générales, réunissant tous les cardinaux déjà présents à Rome, et les congrégations particulières, composées du camerlingue et de trois cardinaux tirés au sort, et renouvelés tous les trois jours. Les congrégations générales préparatoires sont des réunions délibératives qui ont lieu chaque jour sous la présidence du cardinal doyen : on y traite donc des affaires courantes, mais on y fait aussi l’état des lieux général de l’Église : pastoral, organisationnel, financier, politique et diplomatique, etc. Cela permet aussi d’informer tous les cardinaux, et particulièrement les électeurs, de « l’état » précis de l’Église. Ces réunions ont aussi pour but d’organiser le conclave, de prévoir les relations avec la presse ou encore de subvenir aux questions matérielles pour le séjour de tous les cardinaux.

Le conclave est organisé en vue d’élire le prochain pape.

Auparavant réservé aux cardinaux-évêques (les quelques cardinaux proches de Rome) en 1059 et étendu à tous les cardinaux en 1179, le droit d’élire le pape fit l’objet de plusieurs lois. On retient habituellement que les cardinaux sont « enfermés » pour élire le pape : « conclave » vient du latin cum clavis (« avec les clés »), à cause des tentatives d’ingérence extérieures et les luttes de factions internes qui entraînaient des vacances très longues.

Qui peut voter ?

Les électeurs sont les cardinaux âgés de moins de 80 ans (UDG n. 33) et eux seuls. Nous ne nous arrêtons pas ici sur l’histoire qui conduit à cette règle, mais retenons que Paul VI avait lui-même envisagé que des évêques non cardinaux soient associés au corps électoral. Il y renonça, mais cela montre que cela serait de l’ordre du possible : ce n’est pas une loi immuable.

L’âge de 80 ans a été fixé par Paul VI dans une loi de 1970. Dans une loi précédente, l’âge était arrêté au jour de l’entrée du conclave : tous ceux qui n’avaient pas 80 ans à cette date pouvaient voter. Or on s’est aperçu que cette date était susceptible de variation par décision du collège des cardinaux. La loi a donc été changée : la date à prendre en compte est le jour de la vacance du Siège (UDG 33).

Ce sera le cas cette année : le 26 février prochain (deux jours avant la renonciation de Benoît XVI), le cardinal ukrainien Lubomyr Husar aura 80 ans. Il ne sera donc plus électeur. Le Pape renoncera officiellement à sa charge le 28 février et juridiquement, le collège des électeurs sera arrêté à cette date. Certains commentateurs ont évoqué l’anniversaire du cardinal allemand Walter Kasper qui fêtera ses 80 ans le 5 mars. Mais selon la loi, la date à prendre en compte étant la vacance du Siège, le cardinal Kasper devrait bien être électeur au conclave. Le collège comptera donc 117 électeurs. Benoît XVI, qui se sera retiré provisoirement à Castel Gandolfo, n’entend pas intervenir dans le vote des cardinaux.

Pour ce qui concerne le vote, les cardinaux sont tenus au secret le plus total : l’élection se fait à huis clos, en conclave, et ils doivent garder le secret de toutes les délibérations. L’élection se fait à la majorité des deux tiers, par scrutin secret. Il y a habituellement deux scrutins de deux votes par jour, donc quatre votes quotidiens. Pour être élu, il faut obtenir la majorité qualifiée des 2/3 des cardinaux présents. Le chiffre à prendre en compte est le nombre des votants, quand bien même des bulletins seraient blancs ou nuls.

Et en cas de blocage ?

En cas de blocage, c’est-à-dire après trois jours de scrutins sans résultat (soit 12 votes), il est prévu des interruptions avec des temps de prière et des interventions bien précises de cardinaux : on peut aller encore ainsi avec 21 tours de vote, divisés en trois temps (de sept votes à chaque fois).

Il était prévu une autre procédure en cas de blocage persistant : soit un vote à la majorité absolue, soit la mise en ballottage des seuls deux noms ayant recueilli le plus de voix au dernier scrutin, selon la décision des Cardinaux. Jean-Paul II avait prévu cette éventualité dans Universi Dominici Gregis au n.75. Cependant, cette initiative fut critiquée par les canonistes et Benoit XVI l’abrogea lui-même en juin 2007.

La règle actuelle (article 75 modifié de Universi Dominici Gregis) prévoit donc que, après tout ce temps (plus de 30 votes), s’il y a encore sept scrutins vains, il y a donc ballottage entre les deux cardinaux ayant eu le plus grand nombre de votes au dernier scrutin. Ces deux cardinaux ne peuvent plus voter, et l’on n ne peut voter que pour eux. Cependant, dans ce cas de figure, la règle de la majorité des deux tiers des cardinaux votants est maintenue.

Pour être pape, il ne suffit pas d’être élu. Encore faut-il l’accepter, tout en étant évêque. Le canon 332 §1 établit que « le Pontife romain obtient le pouvoir plénier et suprême dans l’Église par l’élection légitime acceptée par lui, conjointement à la consécration épiscopale. C’est pourquoi, l’élu au pontificat suprême revêtu du caractère épiscopal obtient ce pouvoir dès le moment de son acceptation ».

Fumée blanche

Dans la chapelle Sixtine donc, à l’issue du vote, le cardinal doyen, normalement, demande au nouvel élu s’il accepte l’élection et le nom qu’il choisit (mais ici, l’actuel doyen est le cardinal Angelo Sodano ; or comme il est né en 1927 et donc a passé la limite d’âge pour participer au conclave, il devrait être alors remplacé pour cette fonction par celui qui vient après lui dans l’ordre des cardinaux évêques, soit le cardinal Giovanni Battista Re, 79 ans). Le nouveau pape va alors revêtir la soutane blanche dans la chambre des larmes, cette petite pièce attenante à la chapelle Sixtine où des soutanes blanches de différentes tailles auront été préparées à l’avance. Cette pièce porte son nom du fait de la gravité de l’acte qui vient de se passer : un nouveau pape, successeur de Saint Pierre, entre dans l’histoire.

Pendant ce temps, on brûle les bulletins de vote pour qu’il ne reste aucune trace : tous les bulletins étaient tour à tour brûlés : l’ajout d’une substance fait noircir la fumée en cas de scrutin vain ; une substance fait blanchir la fumée en cas d’élection. L’annonce au monde est alors faite par le cardinal protodiacre. Il s’agit actuellement du cardinal français Jean-Louis Tauran : « Habemus papam ! »

Et après, pour Benoît XVI ? rien n’est prévu ! Le Vatican a laissé entendre qu’il habiterait dans l’enceinte de l’État de la Cité du Vatican, dans un monastère. Il paraît logique qu’il garde au moins le titre d’« évêque-émérite de Rome ». Quelle sera sa place dans le protocole ? Continuera-t-il à porter la soutane blanche ? Publiera-t-il des livres sous le titre de Benoît XVI ou de Joseph Ratzinger ? Personne ne le sait. Mais vu la grande humilité de ce Pape, il paraît évident qu’il ne voudra pas gêner son successeur.

En revanche, son intelligence et sa vivacité d’esprit serviront encore à l’Église : j’espère de tout mon coeur que ce cher pape éclaire encore notre foi de ses enseignements. Merci pour tout, cher Benoît XVI !

 

Le père Cédric Burgun est prêtre du diocèse de Metz, membre de la Communauté de l'Emmanuel, enseignant-chercheur à la Faculté de droit canonique de l'Institut catholique de Paris (ICP).

 

Pour en savoir plus :
http://www.cedric.burgun.eu/