N’abandonnons pas le mot « mariage »

Le journal La Vie a repris récemment un débat qui commence à s’installer dans le paysage national et international : faut-il dissocier le mariage civil du mariage religieux ? 

Cela fait écho à une interview donnée par l’auteur à Famille chrétienne et publiée sur son blog. Deux articles ont donc été publiés avec chacun une question : d’une part, Les chrétiens doivent-ils abandonner le mariage civil ? et d’autre part, Faut-il appeler le mariage chrétien « alliance matrimoniale » ?

 FAUT-IL APPELER le mariage chrétien « alliance matrimoniale » ? Cette question est partie d’un prêtre américain, Mgr Charles Pope, qui s’interroge, sur le blog du diocèse de Washington, si nous ne devrions pas nous-mêmes laisser tomber le terme de « mariage » pour utiliser une autre terminologie, celle donc d’« alliance matrimoniale ».

Cette proposition aurait l’avantage, certes indéniable, de distinguer clairement et sans détour l’idéologie du moment et la réalité naturelle et divine de l’union de l’homme et de la femme. Le prêtre américain part du constat qu’aujourd’hui, ce terme ne signifie plus, dans les esprits, ce que nous, chrétiens, y mettons. Sur ce point de constat, je suis d’accord.

Déjà, avec le divorce…

Déjà, si l’on veut bien être honnête, la question aurait dû déjà se poser au moment de la libéralisation du divorce. Ce que l’Église entendait par « indissolubilité », l’État ne l’entendait plus de la même manière ; et les conditions matrimoniales s’apparentaient de moins en moins à celle de l’Église, si bien qu’aujourd’hui, bon nombre de catholiques pratiquants ne reconnaissent au mariage civil qu’une formalité obligatoire à accomplir, mais dont on se passerait bien.

Le prêtre américain fait le même constat que moi : la loi sur le divorce et sa multiplication fulgurante fut la première étape de cette désacralisation du mariage. Le législateur, peu à peu, le vide de son sens. Le mariage dit « pour tous » (de manière fallacieuse, puisqu’il ne l’est pas vraiment…) n’est qu’une étape supplémentaire dans ce processus de déconstruction. Cela donne malheureusement raison à saint Paul quand il disait :

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« L’Esprit dit expressément que, dans les derniers temps, certains renieront la foi pour s’attacher à des esprits trompeurs et à des doctrines diaboliques, séduits par des menteurs hypocrites marqués au fer rouge dans leur conscience : ces gens-là interdisent le mariage et l’usage d’aliments que Dieu a créés pour être pris avec action de grâces par les croyants et ceux qui ont la connaissance de la vérité. » (1 Tm 4, 1-3).

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Le mensonge et la conscience

L’étymologie du mot mariage, en français comme dans d’autres langues, provient du substantif latin matrimonium, issu de mater (la mère) et signifiant également mariage. Et l’usage de ce mot latin matrimonium a largement été répandu en Europe, si bien que des langues comme l’italien, l’espagnol, ou encore l’anglais, connaissent ce terme sous une forme très proche. Le mensonge se situe déjà au niveau linguistique : la désignation de la mère et sa protection juridique, dans l’union matrimoniale, deviennent un leurre dans le mariage pour tous. La mère n’existe plus et elle n’a plus de protection. 

Est-ce bien à nous d’abandonner les terminologies classiques, celles utilisées encore dans bon nombre de pays, au risque d’accentuer la fracture d’incompréhension toujours plus croissante entre les chrétiens et le monde ? Un mot est un mot et sa définition n’est pas qu’une question d’accord ou d’évolutions. Le symbolisme qui se cache derrière le mot « mariage » n’est pas neutre. Peut-on l’abandonner ainsi au risque d’abandonner la réalité même ? Vous me direz que c’est exagéré…

Mgr Pope explique que certains, en Amérique, proposent ou envisagent cet abandon du fait que le clergé agisse comme des magistrats dans les cérémonies de mariage. En effet, pour le moment, agissant de concert avec l’État, le mariage chrétien reçoit effets civils par la célébration du prêtre. Et c’est ce partenariat-là qu’il dénonce, comme posant, au fond, un problème de conscience : avec les interprétations si différentes du mariage, « peut-on vraiment dire que nous sommes des partenaires ? », pose-t-il de manière un peu brutale. Il est vrai que l’union matrimoniale est si diversement comprise, qu’on ne peut plus dire qu’on est partenaire.

Sphère publique

Mais – parce qu’il y a un « mais » – peut-on laisser encore un peu plus la loi naturelle se dissoudre sans rien dire ? À force d’abandonner le langage commun, on retranche de plus en plus les chrétiens dans une vie qui leur serait propre, sans aucun point commun avec le reste du monde. Or les chrétiens sont là, non pour vivre une vie parallèle ou qui leur serait totalement réservée, mais bien pour signifier ce en quoi l’humanité est appelée. Lâcher le terme, c’est lâcher le sens, comme si l’humanité n’avait plus à vivre le mariage. Et cela, peut-on l’accepter ?

Je sais bien que Pierre Bergé et ses amis ont pour but de détruire le mariage. Il l’a dit lui-même (cf. l’info ici) : « Je trouve que le mariage, c’est une institution bourgeoise. Donc je ne suis pas pour le mariage des hétéros, et je ne suis pas pour le mariage des homos. C’est clair, ça, je suis pour une grande union civile. » C’est ce que Frigide Barjot n’avait pas compris en soutenant cette idée de CUC (contrat d’union civile).

Est-ce à nous de leur donner raison ? Est-ce à nous de leur dire, de leur signifier, de leur montrer que l’union entre deux êtres dépendra uniquement de leur volonté privée, la foi même étant renvoyée à la sphère privée ? Est-ce à nous d’abandonner le caractère universel, sociétal, naturel du mariage comme s’il ne concernait plus que certains d’entre nous ? Là, le réflexe « communautariste » reprendra le dessus ; et c’est bien ce que nous ne voulons pas ! Est-ce bien à nous de « détruire » le mariage en le renvoyant totalement à une sphère dans lequel l’État ne dira bientôt plus rien ?

Cette proposition d’abandonner le terme de « mariage » me paraît aussi improbable que celle d’abandonner le terme d’embryon sous prétexte que le terme ne recouvre plus la définition que nous en donnons : un petit d’homme. À force, les chrétiens et le monde ne se comprendront plus… La pente est déjà sérieusement inclinée… ne la savonnons pas nous-mêmes davantage.

Le père Cédric Burgun est enseignant-chercheur à l’Institut catholique de Paris.

 

En savoir plus :
 www.cedric.burgun.eu