Le processus de ratification du projet de traité constitutionnel européen aborde son rythme de croisière. Alors que les Espagnols vont voter le 20 février, les députés français ont adopté le 1er février le projet de révision de la Constitution française, préalable au référendum sur la Constitution européenne.

Mais l'inquiétude point. La mayonnaise de la Constitution peine à prendre.

En France, le vote parlementaire préalable s'est déroulé sans éclat. Le texte qui sera examiné par le Sénat à partir du 15 février, a obtenu 450 voix. Au sein du groupe PS, 90 députés sur 149 l'ont approuvé. Ce projet de révision modifie le titre XV de la Constitution de 1958 afin d'obliger le recours au référendum en cas de demande d'adhésion de nouveaux Etats à l'Union européenne (ce qui s'appliquerait à la Turquie si les négociations d'adhésion de ce pays aboutissent).

Ont voté contre la réforme les 22 députés communistes, 7 UMP (dont Jacques Myard, Philippe Pemezec et Nicolas Dupont-Aignan) et 5 non-inscrits. Il y a eu 64 abstentions : 56 socialistes, 4 UMP (dont Christine Boutin) et un non-inscrit. Enfin, 27 députés (21 UMP, 3 socialistes et 3 non-inscrits) n'ont pas pris part au vote.

Cette victoire parlementaire écrasante ne suffit pas à calmer les inquiétudes des partisans du oui au referendum. Il y a beau temps que l'opinion des députés et des militants ne reflète pas l'opinion des électeurs, quand elle n'est pas en complet décalage. Le risque d'une victoire du non en juin se profile sérieusement à l'horizon.

Dans le Figaro du 24 janvier, le socialiste Pierre Moscovici avoue craindre l'addition des mécontentements de gauche (la critique de l'Europe "libérale") et l'hostilité des rangs souverainistes, en dépit de leurs divisions idéologiques. En outre, la mauvaise humeur des Français ne pourra pas ne pas s'exprimer, notamment pour "dire dans les urnes à Jacques Chirac que dix ans, ça suffit". Les socialistes sont d'autant plus gênés – comme le prouve leur division, et le nombre impressionnant d'abstentions lors du vote du 1er février —, qu'ils savent comme Dominique Strauss-Kahn que "dans notre démocratie, rien n'est acquis d'avance" et la "démocratie punitive" que nous sommes devenus devrait donner de la voix aux Français mécontents.

Les catholiques grondent

Il est vrai que la voix de l'Europe constitutionnelle n'en finit pas de brouiller son message. En martelant que le projet de Constitution n'a rien à voir avec l'adhésion de la Turquie, le chef de l'État en particulier ne trompe personne, mais il contribue à rapprocher les deux sujets. L'accélération des échéances, les pavés du type Directive Bolkenstein jetés dans la mare du débat préélectoral (on ne fait pas mieux comme épouvantail), tout laisse penser que l'Europe politique de Bruxelles est devenu un bateau ivre...

Opinion partagée à droite. Jean-Claude Gaudin, vice-président de l'UMP, a attiré l'attention de ses pairs sur le poids des minorités grandissantes qui ont toutes raisons de se plaindre, et parmi elles, les catholiques dont la colère monte. "Ces derniers temps, on ne leur a envoyé que des signaux négatifs", explique-t-il dans le Figaro, rappelant la loi sur la laïcité, l'absence de référence aux racines chrétiennes dans le préambule du traité constitutionnel, le problème turc. Et l'on pourrait ajouter : les réformes successives relatives au mariage et à la famille (la réforme du divorce), la loi sur l'homophobie, le lundi de Pentecôte, les mesures prises en bioéthique, l'IVG à domicile, etc.

Jacques Chirac serait en effet bien inspiré de se souvenir que ce sont les catholiques (de l'Ouest et de l'Est de la France en particulier) qui ont donné la victoire au oui à Maastricht. Quand on sait en outre, que l'un des principaux vecteurs de la dynamique laïco-libertaire qui sévit en France trouve largement son inspiration, et parfois ses moyens, à Bruxelles au sein des institutions européennes, les militants du oui ont du souci à se faire.

Les Britanniques, eux confirment leur opposition. Un premier sondage, publié samedi 29 janvier par le Daily Telegraph, accorde 45% au "non" contre 24% seulement au "oui". Un deuxième sondage, publié le même jour dans The Sun, indique que le "non" à la Constitution recueillerait même 56% des suffrages contre toujours 24% de "oui". Enfin un troisième sondage, publié par le journal dominical Sunday Telegraph, plus serré, donne 41% de "non" et 39% de "oui".

Et parmi les Vingt-Cinq, selon un sondage Eurobaromètre* réalisé auprès de 24.786 personnes, seulement 49 % des Européens se disent favorables à la Constitution, alors qu'ils étaient 68 % en octobre dernier. Et la donnée la plus sûre d'un sondage, ce n'est pas le chiffre, mais la pente.

Notice technique : L'Eurobaromètre spécial n°214 a été réalisé par TNS Opinion & Social/EOS Gallup Europe entre le 27 octobre et le 29 novembre 2004. 24786 citoyens de l'Union européenne âgés de 15 ans et plus ont été interrogées dans les 25 Etats membres.

Pour en savoir plus : http://eisnet.eis.be/own/graph/2005/fr01/eurf;2933;190.pdf

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