Alors que l'Europe se souvient de la libération des camps de concentration nazis, il y a soixante ans, il est opportun de rappeler la mémoire des résistances allemandes à la folie du "Reich de 1000 ans".

Parmi ses chefs les plus redoutés, et comme Hitler lui-même l'a reconnu, furieux d'ailleurs de son impuissance, Mgr August von Galen, évêque de Münster (photo). Depuis la chaire de sa cathédrale, les prêches tonitruants du futur cardinal contre le régime sont entrés dans l'histoire. Le 20 décembre dernier, un miracle dû à son intercession a été reconnu par la Congrégation pour les causes des saints. Il sera béatifié ce dimanche 9 octobre par son compatriote Benoît XVI.

Implacable ennemi de l'idéologie nationale-socialiste, le prélat condamna notamment les agressions dont les couvents étaient victimes, l'eugénisme à l'égard des handicapés et l'euthanasie pratiquée dans les hôpitaux. En 1938 déjà, Pie XI disait de lui que c'était "un géant, pas seulement par la taille". Sans peur, il invitait sans cesse les évêques allemands à se déclarer plus clairement contre le régime, conscient du risque d'être arrêté et d'y laisser la vie.

Pie XII qui le tenait en grande estime, entretint une correspondance suivie avec lui. Le 24 février 1943, le Saint-Père – dont on fustige aujourd'hui malhonnêtement les prétendus "silences" — le remercie de ses "interventions résolues et courageuses en faveur du droit et de la justice", des interventions publiques qui selon le Pape honorent le peuple allemand. (On trouvera le texte intégral de cette lettre ci-dessous.)

Au passage, il est intéressant de noter que la politique du Saint-Siège à l'égard du régime nazi, qui relevait bien de la logique humanitaire, comme l'a relevé l'historien Édouard Husson (cf. Une culpabilité ordinaire ? Hitler, les Allemands et la shoah, F.-X. de Guibert, 1997), ménageait officiellement son contact avec la diplomatie nazie, comme toute initiative humanitaire s'efforce de le faire à l'égard du pouvoir politique en place, mais soutenait fermement la résistance !

Lors de la fin de la guerre, Mgr von Galen cria son indignation contre les bombardements inconsidérés de l'aviation alliée, puis s'opposa avec autant de véhémence contre les abus des forces d'occupation. Pareillement, il récusa le concept de responsabilité collective du peuple allemand, en dépit des faiblesses de ses concitoyens. Il dut la vie sauve aux ménagements qu'Hitler dut consentir pour ne pas provoquer un soulèvement massif des catholiques d'Allemagne et de Westphalie en particulier.

Sa résistance courageuse et sa lutte contre les persécutions de la communauté juive lui ont valu son surnom de " Lion de Münster ".

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Une lettre de Pie XII à Mgr von Galen : " Merci de t'exprimer clairement et courageusement "

Dans cette lettre à l'évêque de Münster, datée du 23 février 1943, Pie XII remercie et approuve Mgr von Galen pour ses actes de résistance au régime nazi. Jamais dans l'histoire moderne de l'Église, dit le Saint-Père, on a vu une telle "unité de destin entre la dignité humaine, la famille et l'Église". Le pape avoue même sa "consolation" chaque fois qu'il apprend qu'un évêque allemand "s'exprime de manière claire et courageuse". Le pape accusé aujourd'hui de complicité plus ou moins passive avec l'Allemagne nazie élèvera le plus célèbre opposant à Hitler à la dignité cardinalice le 18 février 1946.

LETTRE DE PIE XII À L'ÉVÊQUE DE MÜNSTER

(D'après la traduction proposée par le mensuel 30Giorni)

Du Vatican, 24 février 1943

 

À notre vénérable frère Clemens August von Galen, évêque de Münster

 

Nous recevons avec joie et gratitude les vœux que toi, vénérable frère, tu as voulu nous présenter en ton nom et au nom des fidèles de ton diocèse pour l'anniversaire de notre élection et de notre couronnement. Ces vœux nous viennent assurément d'un pasteur chez lequel, grâce à la tradition catholique de sa famille et, plus encore, grâce à une compréhension pleine de foi de son ministère épiscopal, la conscience du lien avec le vicaire du Christ est particulièrement vive, et d'un troupeau qui s'est toujours distingué par sa fidélité à l'Église.

Nous vous remercions surtout pour vos prières ; pour la prière que vous avez élevée pour nous à Dieu à l'occasion de l'anniversaire de notre consécration épiscopale, comme pour la prière par laquelle vous avez, dimanche, avec l'"Invocabit", imploré la bénédiction de Dieu sur la cinquième année de notre pontificat.

Nous pouvons seulement vous encourager à continuer à intercéder pour le successeur de Pierre, car il est difficile de dire ce qui domine, si ce sont les besoins et les dangers qui menacent et menaceront encore la Sainte Église ou les lourdes tâches et les espoirs du monde qui, dans un avenir proche et dans un autre plus lointain, se présenteront à elle. Il n'est pas nécessaire d'ajouter que, de notre côté, nous rappelons quotidiennement dans la prière et dans le saint sacrifice vos nombreuses, si nombreuses intentions: nous savons combien il y en a et quelle appréhension elles suscitent.

Nous te remercions en outre pour les deux pièces jointes, la lettre pastorale du 22 mars 1942, dont il a été donné lecture, presque partout en même temps, en Allemagne de l'Ouest et en Bavière, et la lettre pastorale pour l'Avent, qui a été lue par vous en Allemagne de l'Ouest et à Berlin. Les deux appels reçoivent notre pleine approbation parce qu'ils défendent avec un grand courage les droits de l'Église, de la famille et des individus.

L'unité de destin qui lie la dignité humaine, la famille et l'Église s'est rarement manifestée, et peut-être jamais comme aujourd'hui, de façon aussi tangible dans l'histoire moderne de l'Église. C'est pour nous une consolation chaque fois que nous apprenons qu'un évêque allemand ou l'épiscopat allemand s'est exprimé de façon claire et courageuse. Une réflexion clairvoyante vous persuadera du fait qu'avec vos interventions résolues et courageuses en faveur de la vérité et du droit et contre l'injustice, vous ne nuisez pas à la réputation de votre peuple à l'étranger, mais qu'au contraire vous la servez, même si d'autres, méconnaissant de façon déplorable l'état des faits, vous accusaient, ne fût-ce que pour un instant, du contraire. Toi, vénérable frère, tu es d'ailleurs le dernier auquel nous avons expressément besoin de dire cela.

Les deux lettres pastorales que tu as voulu nous envoyer ont en quelque sorte préparé chez vous le terrain à notre Message de Noël du 24 décembre 1942. Nous apprenons avec satisfaction que tu as établi que le contenu du Message serait traité dans les conférences des doyens. Cela renforce le lien spirituel entre nous et votre clergé, entre vous et le vaste monde catholique. Nos paroles ont eu dans toute la terre un profond écho parmi les belligérants et parmi les rares pays qui ne sont pas encore directement touchés par la guerre.

Il n'y avait pas sous nos messages, surtout sous les messages de Noël à partir de 1939, l'idée que l'on pouvait, à travers eux, influencer dans une mesure déterminante les événements belliqueux en eux-mêmes. Nous avons seulement, en tant que vicaire du Christ, accompli notre devoir, celui d'aplanir la route au droit naturel et à la loi du Christ face à des réglementations internes et entre les États qui sont soumises aujourd'hui à des réorganisations importantes, et celui de protéger les fidèles contre le danger d'une pensée non chrétienne et d'un nationalisme exaspéré, et, enfin, si cela plaisait à Dieu et s'Il nous donnait sa bénédiction pour ce faire, de préparer et d'indiquer dans une perspective d'éclaircissement et de conciliation la solution des tâches énormes et difficiles qui, en conscience, devront être affrontées avec la fin de la guerre.

Les préoccupations, causes de tant de peine, que tu énumères pour ton diocèse – prêtres envoyés en exil ou enfermés dans des camps de concentration à cause de leur foi (notre bénédiction particulière va aux paroisses et aux familles de ceux qui, parmi eux y ont péri), l'expropriation du Collège épiscopal de Gaesdonck, qui est de tant de mérite pour la formation des prêtres et des laïcs catholiques, et la pénurie des prêtres en raison de la disparition des classes aptes à la guerre et du rappel des jeunes prêtres dans l'armée –, toutes ces préoccupations concernent les besoins généraux de l'Église catholique en Allemagne et nous les partageons avec vous, les évêques, très vivement et du fond du cœur.

La pénurie de prêtres est en passe de devenir un état d'urgence pour l'Église en Europe; de plus, elle aura des répercussions fatales jusque dans les lieux de mission. L'Église acceptera le manque de prêtres comme un mal mineur et peu à peu elle surmontera ce problème avec l'aide de Dieu si, du moins, le clergé qui est resté, spécialement le clergé jeune qui, du front, rentrera dans sa patrie, se montre prêt, soutenu par une force surnaturelle, fidèle à l'Église, uni en son sein, lié à son évêque et au Pape par une confiance sincère, avec mansuétude, esprit de service et ferveur spirituelle, à assumer, les yeux ouverts, deux tâches sacerdotales urgentes: l'annonce et la défense persuasive de la foi catholique et de l'entière vision catholique du monde jusqu'à ses dernières conséquences pour les individus et pour la communauté, et le renouvellement, soit la création renouvelée, de formes de vie chrétienne.

Les mots ne suffisent pas pour exprimer notre souhait que le clergé soit conscient et à la hauteur de ses responsabilités, spécialement en ce qui concerne l'accomplissement fidèle et consciencieux de l'office pastoral de la prédication et de l'administration du sacrement de la confession. Ce qui, au milieu de nos appréhensions, nous donne force et nous réconforte, ce sont les nouvelles comme celles que tu nous donnes dans ton écrit sur la visite des sanctuaires mariaux dans ton diocèse, l'année passée. Tant que les indices de la vie religieuse seront aussi élevés, nous et vous, malgré les tempêtes des années passées et l'obscurité de l'avenir, nous ne devons pas avoir peur. Nous croyons aussi que nous ne devons pas douter du fait que, selon la volonté de Dieu, dans ces jours sombres, le salut, la bénédiction et la paix arriveront au monde à travers, justement, la prière à la Mère de Dieu.

Ton désir, vénérable frère, de venir encore une fois à Rome chez le Saint Père n'est pas moins fort que notre désir de pouvoir te saluer, toi et les autres évêques allemands chez nous, et de discuter avec vous des aspirations de l'Église catholique en Allemagne. Beaucoup de temps a déjà passé depuis le jour où nous avons vu ici les évêques allemands. Malgré cela, nous respectons et approuvons ton projet de différer pour le moment la "visitatio ad liminum apostolorum"; nous espérons seulement que les événements pourront vous ouvrir au plus vite la route qui mène à Rome.

Dis aux fidèles de ton diocèse que nous prions, que nous offrons des sacrifices et que nous travaillons pour une paix qui crée pour tous les peuples, sans exception, une situation supportable; qu'il y a peu de choses qui nous tiennent à cœur comme "la liberté et la gloire" de l'Église catholique et de la vie religieuse tout entière dans votre patrie ; que nous remercions Dieu pour la fermeté dans la foi des catholiques allemands que nous exhortons paternellement à rester fidèles au Christ avec vigueur et courage, patience et ferme confiance dans la Divine Providence.

En gage de Son assistance invincible et de Sa grâce qui l'emporte sur tout, nous te donnons de tout notre cœur à toi, vénérable frère, à ton clergé et à tes fidèles, en particulier à ceux qui se trouvent au front et aux jeunes, la bénédiction apostolique désirée.

Pie pp. XII.

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