Jean-Marie Le Méné : « A quand une politique de santé publique positive pour les trisomiques ? »

La Journée nationale de la trisomie 21, dimanche 17 novembre, est l’occasion de souligner le paradoxe dramatique propre à cette pathologie : la généralisation du dépistage avant la naissance dont elle fait l’objet ne conduit pas à guérir les patients qui en sont atteints mais à éliminer 96% d’entre eux. A quand une politique de santé publique positive pour les trisomiques ? Jean-Marie Le Méné, président de la  Fondation Jérôme-Lejeune répond à nos questions.

Liberté politique. — Le dépistage a généralement bonne presse. Quelle est la particularité de celui concernant la trisomie 21 ?

Jean-Marie Le Méné. —Le dépistage est un outil nécessaire pour poser un diagnostic en vue de guérir un patient. Malheureusement, pour la trisomie 21, le mécanisme du duo gagnant dépistage+traitement est enrayé depuis 30 ans : le diagnostic pendant la grossesse est généralisé, remboursé, promu par les politiques de santé publique quand la recherche thérapeutique est uniquement privée, sous-financée et mal considérée.

Vous estimez qu’il y a un déséquilibre flagrant entre le dépistage et la recherche ?

Parfaitement. Quand on se reporte à un rapport de la Cour des Comptes de 2003, il y a déjà 10 ans, l’Etat dépensait près de 100 millions d’euros chaque année pour le dépistage prénatal (DPN). Un dépistage qui conduit inexorablement à l’élimination de 96% des enfants trisomiques. Certains se demandent même « pourquoi il [des enfants trisomiques, ndlr] en reste 4 % ». Ce sont les propos d’un député PS, Olivier Dussopt, tenus à l’Assemblée Nationale lors des débats autour de la loi de bioéthique le 25 janvier 2011… On comprend bien, du coup pourquoi, en matière de recherche thérapeutique, l’Etat est aux abonnés absents !

Qu’est-ce qui a changé ces derniers temps dans la politique de santé publique ?

Avec la mise sur le marché du nouveau test sanguin de dépistage prénatal de la trisomie 21 (DPNI) par le biais du laboratoire CERBA, et le fichage généralisé des femmes enceintes, la politique de santé publique passe un nouveau cap : celui du recentrage sur la cible.

Qu’est-ce que le dépistage prénatal non-invasif ?

Le principe tient à reconstituer le caryotype de l’enfant à naître à l’aide de l’ADN fœtal circulant dans le sang de la mère à un stade précoce de la grossesse (avant la 10ème semaine). L’intérêt affiché par les promoteurs du DPNI serait de limiter le nombre de recours à l’amniocentèse, test invasif qui conduit à 1% de fausses couches. Pour l’heure, le test est à la charge des femmes enceintes mais des études de fiabilités sont menées en France depuis 2012 ce qui devrait conduire à une prise en charge par l’Assurance Maladie pour un coût estimé par le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) à 1 milliard d’euros par an.

Justement, que dit ce Conseil sur le fond ?

L’étatique comité d’éthique approuve les tests ! En avril 2013, le CCNE rend un avis favorable à l’utilisation de ce diagnostic prénatal non-invasif (DPNI) pour la trisomie 21. Le bien-fondé de l’utilisation des tests n’est pas remis en cause. Les seules barrières posées sont celles de la performance technique et celle du coût.

L’avis fait même une différence entre la réflexion concernant la trisomie 21 et celle relative aux autres pathologies génétiquement détectables. Paradoxalement, pour le CCNE l’eugénisme ne concernerait pas la trisomie 21. Sans doute parce que la société les a définitivement abandonnés à leur triste sort. Le raisonnement des dépisteurs conduit à valoriser la vie d’un enfant sain (épargné grâce au test non invasif) et nier la valeur de la vie d’un enfant trisomique (inévitablement éliminé).

Le recentrage sur la cible est aussi précis que radical : les promoteurs du test disent qu’on ne détruira plus les enfants sains par erreur, seuls les enfants handicapés pourront être éliminés à bon droit. Et ils le seront tous puisque nous sommes déjà à 96 % et que le dépistage vise à l’exhaustivité.

En somme, la femme enceinte est condamnée à l’angoisse pendant la grossesse et à la culpabilisation ensuite : si l’enfant est atteint de  trisomie 21, elle peut l’éliminer ou l’imposer à une société qui le rejette. Elle a le « choix » entre deux formes de culpabilisation. Le jugement de la femme sur l’acte définitif qu’elle commet est finalement le plus sévère.

Vous avez mis en avant la mise en place du DPNI. Qu’en est-il du fichage ?

Cette information est complètement passée inaperçue en mai dernier. Un arrêté pris par la Ministre de la Santé oblige les professionnels de la santé à centraliser les données sur le dépistage prénatal de la trisomie 21 effectué sur les femmes enceintes.

En quoi est-ce dérangeant ?

Ce fichage organisé porte atteinte à la vie privée et stigmatise la trisomie 21. Dans la perspective de l’arrivée du DPNI, tout porte à croire qu’il vise à améliorer sans cesse la « performance » quantitative et rationalisée des tests de détection prénatale. Chaque fœtus trisomique 21 sera enregistré, avec le suivi des tests réalisés et l’issue de la grossesse (naissance, IVG, fausse couche). Tout ceci conforte l’idée que la naissance d’un enfant trisomique 21 résulterait désormais d’une erreur.

Si l’Etat ne finance pas la recherche thérapeutique, c’est peut-être qu’il n’y a aucune piste sérieuse…

La recherche thérapeutique pour la trisomie est un défi à la portée de la communauté scientifique et un objectif réellement médical. Cette année, les progrès réalisés en France et dans le monde, notamment aux Etats-Unis, s’accélèrent. Les équipes françaises qui tentent de trouver des traitements n’obtiennent ni financements publics, ni promotion de leurs travaux. C’est donc seul que le mécénat privé comble le vide.

Dans cette perspective, la Fondation Jérôme-Lejeune consacre une part importante de ses ressources au soutien de la recherche en finançant 40 projets de recherches thérapeutiques par an (soit 3 millions d’euros). Elle sélectionne les programmes qu’elle soutient à travers 2 appels à projet par an et reçoit des candidatures françaises et internationales, d’équipes publiques et privées. Son prochain appel à projet sera d’ailleurs lancé en janvier 2014 et portera sur le lien étroit entre maladie d’Alzheimer et trisomie 21. Un thème qui a le mérite d’être rassembleur et synergique.

 

En savoir plus :
La Fondation Jérôme-Lejeune

 

*