Le message social du pape François au Paraguay a beaucoup fait parler dans le monde… et c’était le but ! Le pape cogne, mais rien de nouveau pourtant dans son enseignement, qui renouvelle à sa manière de pasteur vigoureux et concret l’appel de la doctrine sociale de l’Église à servir une société basée sur la dignité de la personne humaine, attentive au « cri des pauvres ».

Le pape François avait rendez-vous le 11 juillet avec les représentants de la société civile paraguayenne, soit près de 1600 associations regroupant étudiants, entrepreneurs, les populations indigènes ou les paysans. Il a affirmé qu’un autre modèle de développement sociale est possible : « Aimez votre Patrie, vos concitoyens et, surtout aimez les plus pauvres. Ainsi vous serez dans le monde le témoignage qu’un autre modèle de développement est possible. »

Le pape a renouvelé sa lecture des fondamentaux de la doctrine sociale, pour mieux « accueillir le cri des pauvres » : l’unité est supérieure au conflit (le dialogue fondé sur l’identité), le tout est plus grand que la partie (l’économie à sa place, au service du bien commun), le réel est supérieur à l’idée (la critique des idéologies)…

Voici les principaux passages du discours du pape François, tels que repris par l’agence Zenit :

 

Un autre modèle de développement : discours du pape François

Asuncion, 11 juillet 2015.

Dieu continue d’agir au milieu de son peuple

« Un peuple qui ne maintient pas vivantes ses préoccupations, est un peuple qui vit dans l'inertie de l'acceptation passive, c'est un peuple mort. Au contraire, je vois en vous la sève d'une vie qui court et qui veut germer. Cela, Dieu le bénit toujours. Dieu est toujours en faveur de tout ce qui aide à relever, à améliorer la vie de ses enfants. Il y a des choses qui sont mauvaises, certes ! Il y a des situations injustes, certes ! Mais de les voir et de les sentir, cela m'aide à renouveler l'espérance dans le Seigneur qui continue d'agir au milieu de son peuple. »

« Vous venez de divers horizons, situations et recherches, tous ensemble vous formez la culture paraguayenne. Vous êtes tous nécessaires dans la recherche du bien commun. Dans les conditions actuelles de la société mondiale, où il y a tant d’inégalités et où sont toujours plus nombreuses les personnes marginalisées, vous voir ici est un cadeau. »

La jeunesse, pas anesthésiée

« Cela m'a plu d'écouter de la bouche d'un jeune la préoccupation de faire en sorte que la société soit un espace de fraternité, de justice, de paix et de dignité pour tous. La jeunesse est le temps de grands idéaux. Comme c’est important que vous les jeunes, vous compreniez que le vrai bonheur passe par la lutte pour un monde plus fraternel ! »

« Comme il est bon que vous les jeunes, vous voyiez que bonheur et plaisir ne sont pas synonymes — une chose est le bonheur, une chose est le plaisir —, mais que le bonheur exige l'engagement et le dévouement. Vous êtes trop précieux pour parcourir le chemin de la vie comme des anesthésiés ! »

« Le Paraguay a une population très jeune et c’est une grande richesse. C’est pourquoi je pense que la première chose à faire est d'éviter que cette force, cette lumière, s'éteigne dans vos cœurs et de contrecarrer la mentalité croissante qui considère qu’il est inutile et absurde d'aspirer à des choses qui valent la peine, d’aspirer à jouer pour quelque chose, à jouer pour quelqu’un. N’ayez pas peur de tout donner sur le terrain de jeu. […] N’ayez pas peur de donner le meilleur de vous-mêmes. »

« Mais ne le faites pas seuls. Cherchez à échanger, profitez-en pour écouter la vie, les histoires, les contes de vos aînés, de vos grands-parents (il y a de la sagesse là). Passez beaucoup de temps à écouter tout ce qu’ils ont de bon à enseigner. Ils sont les gardiens de ce patrimoine spirituel de foi et de valeurs qui définissent un peuple et éclairent son chemin. »

« Trouvez aussi une consolation dans la force de la prière, en Jésus, dans sa présence quotidienne et constante. Il ne déçoit pas. Jésus, à travers la mémoire de votre peuple, est le secret pour que votre cœur se maintienne toujours en joie dans la recherche de fraternité, de justice, de paix et de dignité pour tous. »

Puis le pape a ajouté un passage sur le « concret » : « Si on n’est pas concret, c’est inutile » ! Le pape a confié son « allergie » à l’écoute de « discours grandiloquents avec toutes ces paroles, quand on connaît la personne on se dit : quel menteur ! » « Les paroles seules ne servent pas [...] : sacrifiez-vous, engagez-vous ! »

Il a souhaité que « Dieu soit reconnu comme la garantie de notre dignité d’hommes ».

Dialogue, identité

« Le dialogue n'est pas facile (il y a aussi le dialogue de théâtre, on joue au dialogue). Mais la patrie d’abord, et ensuite ma boutique. C’est mon identité. Sans identité, le dialogue ne sert à rien [...]. Elles sont nombreuses, les difficultés qu'il faut vaincre et, parfois, il semble que nous nous entêtions à rendre les choses plus difficiles encore. Pour qu'il y ait dialogue il faut une base fondamentale (une identité… chacun parle depuis son identité, ne négocie pas son identité). Le dialogue présuppose, exige de nous la culture de la rencontre. Une rencontre qui sache reconnaître que la diversité n’est pas seulement bonne, mais qu’elle est nécessaire. »

Le pape avertit : « Le point de départ ne peut pas être que l’autre est dans l’erreur. […] Le bien commun se recherche à partir de nos différences en laissant toujours des possibilités à de nouvelles alternatives. C'est-à-dire qu’il cherche quelque chose de nouveau. [...] Ne pas tirer chacun “son épingle du jeu”, mais ensemble, discuter, penser une meilleure solution pour tous. Bien souvent, cette culture de la rencontre se trouve prise dans un conflit. C’est logique et pas surprenant. Nous ne devons pas le craindre ou l’ignorer, tout au contraire, nous sommes invités à l’assumer. Cela signifie « accepter de souffrir le conflit, ... le résoudre et... le transformer en un maillon d’un nouveau processus ».

Car « l’unité est supérieure au conflit. Une unité qui ne rompt pas les différences, mais les vit en communion à travers la solidarité et la compréhension. En essayant de comprendre les raisons de l'autre, son expérience, ses désirs ardents, nous pourrons voir qu'en grande partie ce sont des aspirations communes. C'est la base de la rencontre : tous nous sommes frères, enfants du même Père céleste, et chacun avec sa culture, sa langue, ses traditions, a beaucoup à apporter à la communauté ».

« Les vraies cultures ne se replient pas sur elles-mêmes, mais elles sont appelées à rencontrer d'autres cultures et à créer de nouvelles réalités. Sans cette condition essentielle, sans cette base de fraternité, il sera très difficile d’arriver au dialogue. Si quelqu'un considère qu'il y a des personnes, des cultures, des situations de deuxième, de troisième ou quatrième catégorie... pour sûr, quelque chose ira mal parce qu’il manque simplement le minimum, la reconnaissance de la dignité de l’autre. »

Accueillir le cri des pauvres, sans idéologie

« Pour construire une société plus inclusive », il faut « accueillir le cri des pauvres ».

« Un élément fondamental pour promouvoir les pauvres réside dans la manière dont nous les voyons. Un regard idéologique, qui finit par les utiliser au service d'autres intérêts politiques ou personnels, ne sert pas. Les idéologies finissent mal, elles ne servent pas, elles ont un rapport mauvais avec le peuple, elles n’assument pas le peuple. Pensez comment ont fini les idéologies du siècle passé, pensez aux peuples, ou comme disait ce critique aigu des idéologies : “Si, si, si, tout pour le peuple ! Mais rien avec le peuple !” C’est cela les idéologies. » Pour le pape, « les idéologies finissent toutes en dictatures ».

« Pour chercher effectivement leur bien, la première chose est d'avoir une vraie préoccupation pour leur personne, de les valoriser dans ce qu’ils ont de bon eux-mêmes. Mais une évaluation réelle exige d’être disposé à apprendre d’eux. Les pauvres ont beaucoup à nous enseigner en humanité, en bonté, en sacrifice. Nous les chrétiens, nous avons un plus grand motif pour aimer et servir les pauvres : en ceux-ci nous voyons le visage et la chair du Christ, qui est devenu pauvre pour nous enrichir de sa pauvreté. »

« Les pauvres sont la chair du Christ », a insisté le pape en citant ce qu’il demandait souvent en confession : « Quand vous donnez l’aumône, ce sont des attitudes, vous le regardez dans les yeux ? Ou vous regardez d’un autre côté ? » Il recommande de penser : « Je pourrais être à sa place ». Il invite à « respecter le pauvre », et « ne pas l’utiliser comme objet pour laver nos fautes ».

Personne exclu du progrès

« Certainement, pour un pays, la croissance économique et la création de richesse sont très nécessaires, et il faut que celles-ci arrivent à tous les citoyens sans que personne ne soit exclu : cela est nécessaire. La création de cette richesse doit toujours être en fonction du bien commun, et non d’une minorité. Et en cela il faut être très clair : “L’adoration de l’antique veau d’or a trouvé une nouvelle et impitoyable version dans le fétichisme de l’argent et dans la dictature de l’économie sans visage”. »

« Les personnes dont la vocation est d'aider au développement économique ont la tâche de veiller à ce qu’il ait toujours un visage humain », a insisté le pape en disant « non à l’économie sans visage ».

Il a encouragé à « offrir du travail à beaucoup de personnes » et « donner ainsi de l'espérance à tant de familles » : « Le travail est un droit et rend les personnes dignes. »

« Apporter le pain à la maison, offrir aux enfants un toit, la santé et l’éducation, ce sont des aspects essentiels de la dignité humaine, et les entrepreneurs, les hommes politiques, les économistes, doivent se laisser interpeller par cela. Je leur demande de ne pas céder au modèle économique idolâtre qui a besoin de sacrifier des vies humaines sur l'autel de l'argent et de la rentabilité. Dans l'économie, dans l'entreprise, en politique, la priorité est la personne et l'environnement où elle vit. »

Les “Réductions” jésuites comme modèle

« Avec raison, le Paraguay est connu dans le monde pour avoir été la terre où ont commencé les Réductions, l'une des expériences d'évangélisation et d’organisation sociale les plus intéressantes de l'histoire. Dans celles-ci, l'Évangile a été l’âme et la vie de communautés où il n'y avait pas de faim, ni de chômage, ni d'analphabétisme, ni d'oppression. Cette expérience historique nous montre qu'une société plus humaine est possible aujourd'hui aussi. (Vous le voyez, c’est possible !). »

« Quand il y a l'amour de l'homme et une volonté de le servir, c’est possible de créer les conditions pour que tous aient accès aux biens nécessaires, sans que personne ne soit écarté. »

Le pape a épinglé le « le populisme sans effet » et la corruption sous la forme d’une « méthode qui ne donne pas de liberté » : c’est « Le chantage, toujours corruption ! La corruption, c’est la gangrène d’un peuple ! “Donne-moi cela, sinon… !” » Et François avertit qu’il ne parlait pas seulement pour le Paraguay : cela existe « dans tous les peuples du monde », car « ce dont je parle est quelque chose d’universel ».

 

 

Source :
© Innovative Media Inc. Zenit, 2 juillet 2015.

 

 

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