Politique : les années « Insoumis »

La France Insoumise n’est pas seulement un mouvement politique, c’est une méthode d’action, un état d’esprit. De sa création en 2016 au Nouveau Front Populaire, cette machine trotsko-indigéniste a fait du chemin et pourrait déjà avoir connu son âge d’or.

A chaque jour suffit sa polémique : drapeau étranger brandi à l’Assemblée, provocations, propos chocs, les Insoumis vivent de la polémique en permanence. A la manière d’une émission de télévision reposant sur le « buzz » comme « Touche pas à mon poste », les troupes de Mélenchon n’existent que par la polémique.

L’ascension du parti a été fulgurante. En 2017, un an après sa création Jean-Luc Mélenchon obtenait plus de 7 millions de voix à la présidentielle et frôlait les 20 % des suffrages, talonnant François Fillon à une très honorable troisième place. Le Parti Socialiste qu’il avait quitté une décennie plus tôt s’écrasait quant à lui à 6 % des voix, après le quinquennat décevant, pour tout le monde, de François Hollande.

 

Les raisons d’un succès

 

Cette arrivée en fanfare sur la scène électorale s’explique par de nombreux facteurs. La démonétisation de la gauche socialiste d’une part, complètement dépassée par le centre gauche macroniste et épuisée par cinq années de présidence Hollande. D’autre part, le talent du fondateur Jean-Luc Mélenchon est un élément central de cette réussite. Orateur de qualité, cultivé, vif, Jean-Luc Mélenchon surnage dans le paysage politique français. Oscillant dans un premier temps entre une sorte de souverainisme de gauche et des penchants indigénistes, Jean-Luc Mélenchon a finalement choisi la seconde option, plus cohérente avec son internationalisme.

A travers un conglomérat électoral de « minoritaires », LFI entend brasser large électoralement quitte à faire le grand écart fédérant des barbus de banlieues aux cheveux bleus LGBT de centre ville. La méthode de communication, elle, est efficace et porte la marque du populisme : SMIC à 1600 euros, 6ème République, retraite à 60 ans, création d’un Etat palestinien. Parmi ce cortège de propositions en forme de slogan, plusieurs sont irréalisables par LFI - relevons notamment la création d’un Etat palestinien qui ne dépend pas de la France. Quant à la 6ème République, elle n’est soutenue que par LFI, soit 72 députés et aucun sénateur.

Aujourd’hui, la France Insoumise est devenue incontournable à gauche. En 2022, c’est à son initiative que s’est constituée la Nupes pour « Nouvelle Union populaire écologique et sociale », qui a rassemblé les principales forces de gauche. En 2024, c’est encore un ancien proche de LFI, François Ruffin, qui a eu l’idée de lancer un « Nouveau Front Populaire », le NFP. C’est finalement LFI qui semble imposer son rythme à cette coalition de gauche la tirant toujours plus à gauche tout en se plaçant en position de force et n’hésitant pas à se dire prête à ne pas avoir de ministres pour que le programme de ce « NFP » soit appliqué. L’ensemble de la gauche doit en permanence se justifier des sorties médiatiques de LFI, se trouvant dans une situation bien délicate. En effet, si LFI seule perdrait beaucoup d’élus, les autres forces de gauche savent que leurs succès électoraux lors des deux dernières législatives sont en partie dus à la dynamique Insoumise.

 

Le plafond de verre de la gauche radicale

 

Dépendant des autres composantes de la gauche : essentiellement les Ecologistes et le Parti Socialiste et dans une moindre mesure par les communistes, les Insoumis doivent aussi composer avec une partie d’élus socialistes hostiles, essentiellement des élus locaux. Le parti a connu plusieurs mélodrames internes avant d’en venir à des petites purges en 2024. Les scories souverainistes ont été évacuées rapidement puis les éléments un brin contestataires ont fait les frais de la machine.

Paradoxalement, LFI, formation d’essence trotskiste, pratique des épurations qui font plus penser au stalinisme. Au besoin, le déviant est pris à partie publiquement ou les Insoumis tirent de manière groupée sur les réseaux sociaux. Le récent affrontement entre François Ruffin et des cadres Insoumis sur la stratégie indigéniste du parti en témoigne. A l’occasion des élections législatives la non-investiture de députés sortants aura constitué la plus lourde hémorragie de l’histoire du parti : Clémentine Autain, Alexis Corbière, Danielle Simonnet ou encore Raquel Garrido ont quitté le navire. LFI perd des éléments autrement plus formés que la jeune garde faite de personnages burlesques comme le militant antifasciste parachuté en Avignon Raphaël Arnault, le député Delogu ou encore Louis Boyard.

Entre 2017 et 2022, Jean-Luc Mélenchon n’a progressé que d’un demi-million de voix. Aux élections législatives le parti a su bien manœuvrer avec ses alliés et est passé de 17 élus en 2017 à 74 en 2022, mais intégré dans un bloc plus large de partis de gauche. C’est pour l’heure la force de la gauche mélenchoniste : ne pas encore être tout à fait infréquentable et pouvoir compter sur des alliances.

D’un point de vue numérique, le tour de force de la gauche Insoumise est remarquable. Loin derrière le Rassemblement national en nombre d’électeurs, le parti ne dispose ni de sénateurs ni d’élus locaux. Tout en verticalité et tout en jacobinisme, le mélenchonisme s’en tient à sa rente électorale et semble incapable aujourd’hui d’élargir sa base, d’où la volonté du chef d’essorer le vote communautaire.

 

L’inévitable chute de la casbah Mélenchon ?

 

Les promesses sans lendemain peuvent entraîner des mobilisations dans un premier temps ; elles sont ensuite suivies de démobilisations. C’est le risque majeur pour les troupes mélenchonistes. L’épisode de la nomination d’un Premier ministre NFP en a été un avant-goût. Les Insoumis ont réclamé un chef de gouvernement sans conditions pour un bloc des gauches représentant moins d’un tiers des députés, demandant même aux centristes sortant de s’abstenir de voter des motions de censure…

La « destitution » du président sera un nouvel échec. Les Insoumis jouent au plus disant à gauche au risque de fâcher leurs partenaires. Seule une poignée de députés de gauche voteront pour parmi lesquels l’écologiste Sandrine Rousseau. Ce spectacle sans lendemain permettra aux Insoumis de dire que ceux qui n’ont pas voté la destitution sont coupables. Arme à double tranchant puisque cela implique leurs alliés à gauche. Pire, les LFIstes jouent les cadors de l’antimacronisme alors qu’ils ont appelé à faire élire ce dernier à deux reprises aux seconds tours des présidentielles en 2017 et en 2022. Il convient aussi de rappeler que LFI comme l’ensemble de la gauche a passé un accord avec le centre macroniste pour le second tour des législatives de 2024…

A la lassitude des électeurs pour des spectacles sans lendemain devrait s’ajouter le problème de l’anthropophagie qui guette. Avec l’éviction de la vieille garde citée plus haut au profit de jeunes inégalement formés s’ajoutent d’autres problèmes en matière de ressources humaines.

LFI qui prône la créolisation est essentiellement un parti de blancs. Des contestations sur cette contradiction ont pris forme à l’occasion de rencontres entre jeunes du parti. Les minorités pourraient bientôt demander leur part du gâteau et ne pas se satisfaire de quelques symboles comme Rima Hassan et Rachel Keke.

La stratégie du conglomérat de minorités pourrait aussi connaître des limites. Les populations « racisées » comme les nomme LFI, ne sont pas un bloc homogène. Les populations maghrébines et africaines ne répondent pas nécessairement aux mêmes stimuli électoraux et séduire un public d’origine algérienne pourra, demain, couper d’un électorat d’origine marocaine…

 

Minoritaire et provocateur, le parti de Jean-Luc Mélenchon a réussi une ascension exceptionnelle en l’espace de quelques années. Comme le parti macroniste et le Rassemblement National, il s’appuie sur un fonctionnement tout en verticalité, débarrassé des courants d’idées et de la démocratie interne. Cette formule marche comme au niveau national pour le RN et le centre présidentiel mais pourrait s’effondrer très rapidement faute de victoires et d’ancrage local.

 

Olivier Frèrejacques

Président de Liberté politique