Nos coups de coeur
Lagarde et Michard, revenez, ils ont de nos jours le vin bien triste ! Et nous, des regrets, nourris de la lecture des portraits littéraires de cette cinquantaine de distingués stylistes. Regrets, en Troisième et plus, de ne pas nous être suffisamment appesanti sur la grâce dont dépendaient nombre de ces littérateurs et qui, à notre insu, nous était dispensée. Alors, en 2011, an de peu de grâce cette fois-là, l’écrivain et journaliste Bruno de Cessole nous donna l’occasion de nous rattraper,- enfin, de nous racheter. Car c’était une faute, à l’instant où on nous l’offrait, de ne goûter non à la Beauté, mais à la Vérité du Beau et à la Beauté du Vrai.
A travers cette galerie d’esquisses appuyées sur l’expérience de celui qui doit bien se savoir, pour le moins se sentir véritable écrivain (c’est-à-dire écrivain de la vérité, l’adjectif étant, comme il se doit en l’espèce, à valeur de génitif à la fois objectif et subjectif), nous retrouvons la pesanteur des mots quand, matérialité du papier aidant, ils aspirent à l’éternité et élèvent l’Homme. Simone Weil, entraperçue, est au reste citée, sans que nous la retrouvions d’ailleurs, Gustave Thibon ne figurant pas dans cette anthologie, mais Albert Thibaudet. Sans que nous en prenions alors conscience, Cessole, tout au long de ces portraits pour traits redessinés tantôt au fusain, tantôt à l’encre sèche du cœur tendre de celui qui sait qu’un journaliste qui se respecte est avant tout un «écrivain rapide» (Dominique Jamet) répond à la question implicite qui justifie leur réunion dans ce volume : la littérature, par essence ou par instinct, est de droite puisque l’écrit fixe la pensée. Elle la conserve (serait-elle tendancieuse). Certes, rappelant un terme fameux, notre confrère souligne que ‘‘conservateur’’ est un mot qui commence mal. Mais, c’est ainsi : la parole, la parlotte sont de gauche. Elles volent, dans les deux sens, sont susceptibles de se reprendre, de se méprendre. La réflexion, quand elle se sait, quand elle se pense vouée à la captation du vrai, se pose et s’impose par l’esprit coulé dans la matière, couché sur le papier. C’est là l’écrit, l’éclat du livre (et, dans sa version souple, la gazette destinée aux archives.)
Mais voilà qu’on s’éloigne. Avant, de ce pas, de se consacrer, n’est-ce pas, à ceux qui mériteraient d’y concourir, remarquons que Bruno de Cessole n’a pas écrit un essai sur la littérature de droite, mais rassemblé de vives études consacrant à nouveau, pour mémoire en quelque sorte, des écrivains français dont, si le décompte est bon, et sans parler des quelques toujours en quarantaine, moins d’une dizaine, sur la cinquantaine, sont encore de ce monde : le monde des lettres, le monde de l’être, même si, suçant leur pouce, plus d’un a du se dire que le monde de l’avoir a quand même du bon. En attendant, ceux-là vivraient d’amours le plus souvent en minuscules (la liste, ici, va de Chateaubriand à Sartre en passant par Stendhal, Catherine Pozzi, Paul Valéry et Colette) et d’eau fraîche. On fait l’aveu que, sous ces termes, on se voit en berne. Non que l’alcool soit nécessairement l’adjuvant favori du créateur (il synthétise lui-même son phosphore), mais la source où s’abreuvent les idées mises en forme à ceci de paradoxal chez les écrivains qu’elle est toujours impure, que c’est en suivant son cours qu’elle se débarrasse de ses calculs, de ses scories avant de se livrer. Chacun des cinquante-cinq diagnostics établis par Cessole mériterait de se voir disséqué. D’une dizaine de pages en moyenne, nous n’en établirons pas le classement et, en fin de compte de thuriféraire balancé d’un sicaire des lettres, n’en dirons rien.
Cependant, qu’ils s’attachent, qu’ils s’attaquent (c’est tout un n’est-ce pas, qui aime bien, châtie bien) à Malraux, Sartre ou Tillinac, Berl, Dupré ou Aragon, à tous ces méta-contemporains qui, vrais Classiques, recyclent pour notre plus grand bien les griefs des Anciens, sachez qu’à leur lecture, tel, à Alger, de Gaulle du haut de son balcon, vous pourrez sous-entendre Cessole, encenseur des belles lettres et du gai savoir, vous dire : je les ai compris.