Au titre des manifestations de dévotion ostentatoires, peu habituelles dans notre république laïque, on se souvient de la présence à Rome du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, lors de la béatification de Mère Teresa.
Une présence que rien, sur le plan protocolaire ne justifiait (1) ; quel que soit en effet son importance historique, bien réelle, la nouvelle sainte, albanaise née en Macédoine et ayant réalisé l'essentiel de son œuvre en Inde, n'avait aucun lien particulier avec la France. La presse anticléricale ne manqua d'ailleurs pas pour l'occasion de se gausser.
Il s'en faut pourtant de beaucoup que les réalisations du gouvernement Raffarin aient été en conformité avec ce geste. Jamais en effet, même avec la gauche, un gouvernement n'aura pris autant de mesures contraires à ce que les uns appelleront les valeurs chrétiennes, les autres la loi naturelle.
Divorce. Passée inaperçue, la loi du 26 mai 2004 réformant le divorce constitue, les avocats le savent bien, une véritable catastrophe pour les femmes, aujourd'hui si nombreuses, abandonnées par leur mari. Avec l'extension du divorce sans faute et l'invention d'un nouveau motif de séparation, la "rupture irrémédiable du lien conjugal", elles se trouveront désormais désarmées face à l'époux volage et certaines même sans ressources. Ce ne sont pas les associations familiales mais les ligues féministes qui auraient du protester contre cette instauration d'un véritable droit de répudiation ! En fait personne n'a rien dit. Cette révolution du droit de la famille, qui, en affaiblissant la protection contractuelle des époux, consacre le droit du plus fort, est passée comme une lettre à la poste.
En parallèle toute une série d'avantages familiaux ont été rognés : droit à la retraite des femmes fonctionnaires n'ayant pas une carrière complète, bonus familial des personnes ayant élevé des enfants, etc. (2).
Respect de la vie ? La loi sur la bioéthique officialise l'expérimentation sur les embryons vis-à-vis de laquelle la société française avait été jusque là réticente. Pour tenter de banaliser un peu plus l'interruption de grossesse, le ministre de la santé vient d'autoriser par simple circulaire l'absorption du RU 486 à domicile.
Homosexualité. Non seulement la droite n'est pas revenue sur le Pacs, qu'elle n'avait pourtant pas, dans sa majorité, votée, mais elle étend les avantages fiscaux qui s'y rattachent et vient de faire voter par le Parlement une loi contre les discriminations, créant une Haute-Autorité destinée à les combattre et renforçant les dispositions de la loi de 1881 sur la presse, projet qui fait la part belle à la répression des propos dits " homophobes ", que la loi suffisait pourtant à punir (3). Seule une fronde des parlementaires et un avis défavorable du Conseil consultatif des droits de l'homme ont évité que cette loi n'aboutisse à museler définitivement toute liberté d'expression sur la question homosexuelle. On dira que Raffarin n'est pas partisan du mariage dit " gay " ; certes, mais Lionel Jospin ne l'est pas non plus !
Pentecôte. Pour couronner le tout, ce gouvernement a supprimé du calendrier le jour férié du lundi de Pentecôte, traditionnel dans les pays catholiques et où étaient organisés beaucoup de pèlerinages, au motif, à l'hypocrisie un peu écœurante, de la " solidarité " avec les personnes âgées : il s'agit en fait d'un expédient destiné à remédier au déficit de la Sécurité sociale et d'une revanche, aussi sournoise qu'homéopathique, contre les trente-cinq heures sur lesquelles on n'a pas le courage de revenir.
Héritage chrétien. N'oublions pas enfin que la France a été pendant la même période, le gouvernement d'Europe le plus acharné à s'opposer à l'inscription des valeurs chrétiennes dans la constitution européenne, comme si l'anticléricalisme obtus des années 1900 résumait à lui seul l'identité française. Alors même qu'une moitié des Français trouvait normale cette inscription, cette opposition a, comme on sait, abouti. Même si les catholiques assez convaincus pour s'en offusquer ne sont qu'une minorité, on doute que cette option favorise la ratification de la dite constitution.
On ne sait quelles forces sont à l'œuvre dans cette politique dont la continuité perverse ne laisse pas d'être troublante. Même François Mitterrand fut, tous comptes faits, plus respectueux des valeurs morales fondamentales et de la tradition chrétienne, dont il était il est vrai mieux instruit.
Ceux qui ont pris ce parti se trompent lourdement. Ils semblent ignorer que, même si ses dirigeants furent souvent indifférents sur le plan religieux, le terreau historique de la droite française, c'est d'abord l'Église catholique. C'est elle qui, au cours des deux derniers siècles a apporté aux partis conservateurs les masses électorales lui permettant d'être autre chose qu'un parti de la bourgeoisie.
Même si cette droite a, au fil des ans, mis beaucoup d'eau dans son vin — votant par exemple la loi Veil de 1974 —, on pouvait penser jusqu'à une date récente que, sur le plan des mœurs ou à l'encontre des valeurs chrétiennes, elle n'irait bon an mal an pas aussi loin que la gauche. À part une minorité de socialistes chrétiens, chrétiens généralement de plus en plus décolorés, la majorité de l'électorat catholique se retrouvait au centre-droit (4). Encore aujourd'hui, dans combien de villages de la France profonde, l'unique militant de l'UMP est aussi l'unique catholique pratiquant !
Quelle différence ? Mais comment désormais, empêcher cet électorat de penser qu'entre l'UMP et le Parti socialiste, sur le plan du respect de l'héritage chrétien et de la loi naturelle, droite et gauche sont bonnet blanc et blanc bonnet et d'en tirer dès lors les conséquences politiques ? Au besoin en votant pour les candidats socialistes. Le temps des pesanteurs sociologiques est révolu.
Le facteur religieux écarté, la politique risque de connaître ainsi ce qu'un éditorialiste appelle le " retour de la lutte des classes ", la droite représentant les riches et la gauche les moins riches (mais pas toujours les moins privilégiés !). Comme les riches sont malgré tout moins nombreux que ceux qui ne le sont pas, on devine le résultat.
À trop bafouer l'héritage religieux et culturel sur lesquels est fondée historiquement la droite française, l'UMP risque fort de ne rallier aux prochaines élections que ceux qui, à tort ou à raison, trouvent que l'impôt sur les grandes fortunes pèse trop lourd sur leur budget, ce qui ne fera tout de même pas une majorité (5) !
Notes
(1) À la différence de celle de Mme Chirac qui pouvait légitimement associer une représentation discrète de la France et la dévotion personnelle.
(2) Parmi les mesures antifamiliales prises par le gouvernement Raffarin, outre la réforme du divorce, on peut mentionner l'instauration de la décote sur les retraites des fonctionnaires, la pérennisation du prélèvement de 2Md€ sur la branche famille de la Sécurité sociale, la réduction de la bonification d'un an de retraite des femmes fonctionnaires, un durcissement des conditions d'accès au complément " libre choix du mode de garde ", qui pénalise les femmes au foyer, la réforme en cours de l'imposition des successions, le durcissement des conditions de ressources des allocations de logement, etc.
(3) Rien n'est fait en revanche pour protéger les femmes enceintes dont les sondages montrent qu'elles subissent plus de préjudice que quiconque dans leur milieu de travail.
(4) Et non à l'extrême-droite, comme on l'a parfois supposé à tort.
(5) Et encore ! Comme une droite sans principes est aussi une droite lâche, il y a de fortes chances qu'elle ne touche pas non plus à l'IGF...
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