Jupiter, dit-on, rend fou ceux qu'il veut perdre. Il semble que la droite française soit aujourd'hui dans son collimateur. L'affaire Clearstream a tellement enflé qu'elle apparaît aux yeux de l'opinion comme une crise de régime.
Y a-t-il vraiment matière ?
L'accusation centrale est dirigée vers le Premier ministre : on lui reproche d'avoir demandé au général Rondot début 2004, alors qu'il était ministre des Affaires étrangères, d'enquêter sur la prétendue liste de comptes bancaires de la banque luxembourgeoise ou figuraient les noms d'un certain nombre de personnalités françaises du monde de la politique, de l'administration et de l'industrie.
Dans toute organisation, il est normal que, si des soupçons viennent à peser sur un ou plusieurs membres de l'équipe de direction, le patron fasse une enquête discrète pour savoir ce qu'il en est, ne serait-ce que pour que les intéressés puissent être mis clairement hors de cause. Et bien évidemment ce n'est pas le collaborateur soupçonné que l'on chargera de l'enquête. Dans des affaires aussi délicates, il est habituel, sinon normal, que les hiérarchies habituelles soient contournées. L'esprit de la Ve République eut certes voulu que le Premier ministre soit en première ligne. Mais du Rainbow Warrior à Clearstream, on commence à s'habituer à ce que le chef du gouvernement ne soit au courant de rien !
Au gré de certains, le ministre des Affaires étrangères aurait dû adresser immédiatement les listes, au nom de l'article 40 du code de procédure pénale, au procureur de la République... Mais qui ne voit qu'envoyer des tuyaux crevés au parquet sans un minimum de vérification préalable ferait perdre sa crédibilité à un homme public de ce niveau ? Il était donc normal que M. de Villepin fasse une enquête sur les hommes publics mentionnés sur les dites listes, et, si c'était, comme cela est probable, à la demande du président de la République, qu'il ne le dise pas. On peut seulement regretter qu'il n'ait pas adopté d'emblée cette posture de bon sens !
Les actes et les arrière-pensées
On pourra certes lui faire grief de ne pas avoir reçu ces documents avec la consternation d'un homme soucieux de la République, mais avec la schadenfreude que peut susciter la perspective d'éliminer un rival. Peut-être : nous n'étions pas une petite souris dans son cabinet. Mais la République, jusqu'à preuve du contraire, juge les actes et non les sentiments ou les arrière-pensées.
Il est vrai qu'en arrière plan de l'affaire, ont plané d'autres suppositions, plus graves, elles, aujourd'hui dissipées. La première est que le Premier ministre aurait pu être complice de la falsification des listes. Mais pourquoi les aurait-il alors fait vérifier ? La seconde serait que les listes soient vraies. Mais si demeurait à cet égard le moindre soupçon, comment un homme aussi avisé que Nicolas Sarkozy aurait-il risqué de le relancer en se constituant partie civile contre les fabricants du document ? Ceux qui sont attachés à la moralité publique ne peuvent que se réjouir que deux accusations, sérieuses elles, aient été clairement écartées.
En arrière plan toujours, subsiste l'affaire, qui pourrait être bien infiniment plus grave, des commissions (et peut-être de rétrocommissions) versées à l'occasion de la vente de frégates à Taïwan. Un milliard d'euros murmure-t-on, somme considérable. Mais l'affaire date de 1991 : c'était il y a bien longtemps et la gauche tenait alors tous les leviers de commande !
Que cette l'affaire Clearstream ait monté comme une fièvre quarte témoigne sans doute du déficit de légitimité liée à toutes les fins de règne. On ne sera pas étonné qu'une presse avide de scandale et globalement peu favorable au gouvernement y ait contribué.
On est plus surpris du rôle joué dans cette affaire par la justice. Qu'une enquête soit menée sur plainte des victimes est normal. Il est même nécessaire que toute la vérité soit faire sur cette machination. Que l'on aille pour cela jusqu'à perquisitionner le bureau du ministre de la Défense et soumettre à la question un officier général aux états de service respectables est plus contestable. De tels procédés, concevables en cas d'atteinte à la sûreté de l'État, de crime de sang ou de grave affaire de corruption, le sont moins s'il ne s'agit que d'éclaircir une dénonciation calomnieuse, qui n'est que de l'ordre du délit.
En agissant ainsi les protagonistes ont envoyé le message subliminal qu'il s'agissait d'une affaire bien plus grave, sans que le plaignant ait besoin de cela pour être pleinement blanchi. Ils ont, sciemment ou non, contribué à discréditer l'État à un moment où ce n'était vraiment pas nécessaire. Moins que la crise de celui-ci, l'affaire révèle une perte de repères générale à une société où l'on ne sait plus bien distinguer le bien du mal, les affaires vraiment graves de celles qui le sont infiniment moins.
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