Source [Institut pour la justice] Bouchra a quarante-quatre ans. Elle a deux filles, âgées de cinq et quatorze ans, et elle tient un petit magasin de prêt-à-porter dans le dixième arrondissement de Paris.
Ce vendredi 27 novembre, elle rentre chez elle, à Épinay-sur-Seine, après avoir refermé sa boutique.
Cela pourrait être la fin d’une journée de travail ordinaire, mais, depuis quelque temps, Bouchra vit dans la peur.
La peur de Khalid, son ex-mari.
Khalid est violent. Depuis plusieurs années, il fait vivre un calvaire à Bouchra. Le 27 juillet, la justice l’a d’ailleurs condamné à un an de prison dont six mois avec sursis probatoire pour violences, violation de domicile et menaces de mort.
Khalid a l’interdiction de rentrer en contact avec Bouchra. Et, pour s’assurer qu’il respecte bien cette interdiction, Bouchra est équipée du téléphone « grave danger », un portable avec une touche d’appel rapide des secours.
Mais Khalid n’est pas vraiment décidé à respecter ses obligations.
Dès sa sortie de prison, début octobre, Bouchra le voit au pied de son immeuble. Elle déclenche immédiatement son téléphone grave danger. Khalid s’enfuit avant que les policiers n’arrivent, mais il est à nouveau incarcéré pour deux mois, le 8 octobre.
Hélas, avec le jeu des remises de peine, il ressort un mois plus tard.
Ce vendredi 27 novembre, alors qu’elle rentre chez elle, Bouchra ignore que Khalid est déjà sorti de prison. Et pour cause, elle n’a pas été informée par la Justice. Elle se croit en sécurité (puisqu’il est censé être en prison!), elle a d’ailleurs laissé son téléphone grave danger chez elle.
Mais, arrivée devant son immeuble, elle se fige, terrifiée : Khalid est là, un couteau de cuisine avec une lame de vingt centimètres dans la main.
Bouchra hurle mais Khalid se jette sur elle et lui assène plusieurs coups de couteau. Elle s’effondre, mortellement blessée.
Khalid vocifère : « C’est ma femme, elle m’a trompé ! ». Puis il abandonne le corps sans vie de Bouchra, baignant dans son sang, et va se rendre au commissariat.
Une femme est morte, assassinée par un ex-conjoint jaloux et violent. Une de plus. Et une fois encore cette tragédie aurait pu être évitée.
Une fois encore, tout ce qu’il était possible de faire n’a pas été fait.
Depuis peu, il existe pourtant des bracelets anti-rapprochement, qui alertent automatiquement les forces de l’ordre lorsque le conjoint violent entre dans un périmètre défini.
Pourquoi Khalid, qui avait démontré sa dangerosité, n’en a-t-il pas été équipé ?
Et surtout, pourquoi Bouchra n’a-t-elle pas été avertie que son ex-mari était sorti de prison ?
C’est parce qu’elle se croyait protégée par la justice qu’elle avait laissé chez elle son téléphone grave danger. Et c’est sans doute à cause de cela que Khalid a pu la tuer.
Pourtant il existe des dispositifs qui ont fait leur preuve à l’étranger. Aux États-Unis, par exemple, il existe depuis plus de vingt ans un système appelé VINE qui permet à une victime de crime de connaître le statut carcéral de son agresseur pratiquement en temps réel : s’il est incarcéré, s’il est transféré dans une autre prison, s’il s’est évadé, s’il doit être libéré, s’il est décédé, etc.
Les autorités s’efforcent de combiner ces notifications instantanées avec des mesures de protection prédéfinies, que les victimes sont invitées à suivre lorsqu’elles sont informées que leur agresseur s’est évadé, ou bien a violé les conditions de sa probation, et qu’elles sont donc potentiellement en danger.
Aujourd’hui VINE permet de suivre plus de 90% de la population carcérale américaine (soit près de 2 millions de personnes).
Chaque année, ce dispositif sauve des vies aux États-Unis.
À l’Institut pour la Justice, cela fait des années que nous plaidons pour qu’un dispositif semblable soit mis en place en France !
Les Sénateurs ont d’ailleurs été très intéressés par notre proposition. Un amendement de l’IPJ a même été adopté par le Sénat, début octobre 2018.
Une grande victoire pour les victimes, mais hélas…
Lorsque le projet de loi sur la justice est arrivé à l’Assemblée nationale, notre amendement a été supprimé par les députés.
Pourquoi cette obstination à refuser des solutions à l’efficacité prouvée ?
Pourquoi cette obstination à refuser de protéger les victimes ?
Pourquoi cette sollicitude perverse pour les agresseurs, les violents, les délinquants avérés ?
La lutte contre les violences conjugales est, paraît-il, une cause prioritaire du gouvernement. Mais, comme trop souvent en matière de justice et de sécurité, il y a un gouffre entre les paroles et les actes.
Le vendredi 27 novembre, une femme a été tuée, laissant derrière elles deux petites filles orphelines, et personne ne pourra dire que c’était la faute à la fatalité.