Sans surprise, les déclarations de Gilles de Robien annonçant l'abandon de la méthode globale au profit des méthodes syllabiques a suscité des réactions hostiles et ironiques. Le 8 décembre, le ministre demandait au doyen de l'inspection générale de l'Éducation nationale de rédiger une circulaire enterrant la méthode globale pour application en janvier 2006.

Immédiatement, les principaux syndicats d'enseignants et de parents contre-attaquaient, avec un même discours, extrêmement critique. Et alarmant pour les enfants victimes de l'échec scolaire...

Pour Gilles Moindrot, président du SNUipp-FSU, syndicat des professeurs des écoles, "les propos du ministre manifestent une méconnaissance totale des pratiques du terrain", les manuels de lecture les plus utilisés, "Ratus et Gafi [étant] très très syllabiques". Il s'est dit très étonné par les déclarations de M. de Robien selon lesquelles les inspecteurs sanctionneraient les enseignants utilisant une méthode syllabique. "Il faudrait en sanctionner plus des trois-quarts" a-t-il ironisé. Quant à Georges Dupon-Lahitte, président de la fédération des parents d'élèves de l'enseignement public, la FCPE, les critiques du ministre relèvent d'un "discours aussi faux qu'éculé" : "cette méthode (Ndlr : la globale) n'est plus utilisée du tout et partir en guerre contre elle témoigne d'un amateurisme inquiétant".

Le moins qu'on puisse dire à la lecture de ces prises de positions, c'est qu'il y a lieu d'être inquiet sur la suite des événements.

Certes le ministre est tout à fait dans son rôle, et c'est à son honneur, lorsque, constatant la faillite de l'école, tant publique que privée sous contrat, dans l'apprentissage du langage écrit (lecture, écriture et orthographe), il exprime cette grave préoccupation et affirme la volonté d'y mettre fin. En revanche, il est évident que la voie qu'il a choisie n'a aucune chance d'aboutir : ce n'est pas une circulaire ministérielle abolissant la méthode globale ou assimilée, c'est-à-dire pratiquement toutes les méthodes utilisées actuellement, qui va modifier des dizaines d'années de pratique au niveau des enseignants et de leur hiérarchie.

Comment peut-on imaginer dans une institution de la taille de l'Éducation nationale, que l'on puisse changer les manières de faire sans aucune information, formation et adhésion préalable suffisante à tous les niveaux ? Et en supposant même que la question précédente soit résolue, comment peut on doter d'un coup de baguette magique et du jour au lendemain toutes les écoles de France de nouveaux manuels... qui n'existent pas ?

De leur côté, les représentants institutionnels des enseignants et des parents qui se sont exprimés, n'ont pas contesté le diagnostic de base (la faillite). Mais d'après ce qu'on a pu lire, ils réfutent purement et simplement le fait qu'il y ait une corrélation avec le choix des méthodes qui, selon eux, seraient "très, très syllabiques" ! Ils disqualifient les propos du ministre, "idéologiques" et "mensongers" et ne se privent pas de pointer sa préface, en septembre dernier, de la nouvelle édition des programmes des écoles élémentaires élaborés en 2002 (qui ne prône pas, loin de là, les méthodes alphabétiques). On fait même semblant de s'étonner que les enseignants utilisant d'authentiques méthodes alphabétiques soient sanctionnés, ce qui est pourtant avéré comme le prouvent de nombreux témoignages.

On est en plein dialogue de sourds !

Que peut donc faire le ministre dans ce contexte ? D'une part prendre une mesure immédiate et d'autre part favoriser un examen approfondi et serein de cette question.

1/ Une mesure immédiate. Prendre au mot le président du SNUipp-FSU Gilles Moindrot et donner formellement, à ceux des enseignants qui le demandent, la liberté d'utiliser des méthodes alphabétiques authentiques avec pour seule contrainte une obligation de résultats prouvés. Ceci constituerait pour eux la protection de leur liberté pédagogique face à certains inspecteurs.

2/ Favoriser un examen approfondi et serein. Dans l'esprit de la loi d'orientation sur l'école, il peut demander explicitement au Conseil supérieur de l'éducation, d'examiner la question de la pédagogie du langage écrit.

Pour que ce travail ait une chance d'aboutir sur des conclusions pertinentes, il est indispensable que le Conseil prenne en compte l'aspect pluridisciplinaire de cette question (sciences fondamentales, point de la connaissance et des expériences en France et à l'étranger, témoignages de praticiens, etc.) et ne se limite pas, comme ce fut le cas lors de la Conférence de consensus des 4 et 5 décembre 2003 sur le sujet, aux seuls spécialistes des " sciences de l'éducation " ou presque...

Pour ma part, j'estime qu'à une époque où nous avons la chance de disposer d'assez de données scientifiques pour comprendre comment le cerveau, organe qui génère toutes les possibilités d'apprentissage, accède à la langue écrite, il est surréaliste d'entendre développer des théories d'un autre âge en totale contradiction avec les certitudes qu'apportent aujourd'hui les neurosciences en ce domaine. Celles-ci permettent en effet de définir les principes à respecter pour que la presque totalité des enfants, qu'ils soient ou non dyslexiques, apprennent à lire et à comprendre ce qu'ils lisent.

Considérerait-on comme normal aujourd'hui de débattre de la manière dont il faut soigner un cancer en refusant les techniques actuelles d'exploration médicale (scanner, IRM, ..) pour dépister et contrôler les résultats obtenus et en utilisant des thérapeutiques vieilles de trente ans ? Un médecin qui agirait ainsi serait condamné pour avoir privé son patient de toutes ses chances de survie !

Pourquoi l'Éducation nationale refuserait-elle aux élèves les bénéfices de la science contemporaine pour optimiser leurs résultats ?

* Ghislaine Wettstein-Badour est médecin, accompagnatrice d'enfants d'âge scolaire en difficulté. Dernier ouvrage paru : Bien parler, bien lire, bien écrire – Donnez toutes leurs chances à vos enfants, Eyrolles, novembre 2005, 188 p., 13,30 € (en vente avec notre partenaire Amazon.fr : cliquez ici)

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