Deux semaines après le début de l'intervention militaire aérienne engagée, avec l'aval de l'ONU, par une coalition menée par la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis puis récupérée par l'OTAN le 31 mars, son caractère aléatoire ne peut plus être dissimulé. Les rebelles libyens continuent de ne pas faire le poids face aux forces de Kadhafi. Dès que l'aviation alliée interrompt ses raids contre les kadhafistes, les insurgés perdent le terrain conquis. Loin d'avoir pris le contrôle de Syrte, ville natale du dirigeant libyen, comme ils l'affirmaient, ceux-ci ont été stoppés dans leur progression à 140 kilomètres de la ville dès le 28 mars.
Le 30 mars, poursuivant leur contre-offensive, les forces kadhafistes reprenaient le site pétrolier de Ras Lanouf qui était tombé le 27 mars aux mains des insurgés. Le 31, les soldats kadhafistes auraient repris Brega et son terminal pétrolier.
Pilotage dans le brouillard
Face à ces revers qualifiés par les insurgés de replis tactiques , on ne peut pas dire que la conduite à tenir soit clairement définie. Le 29 mars, le groupe de contact chargé du pilotage politique de l'opération onusienne, envisageait d'armer les insurgés ce qui n'était nullement au programme humanitaire de la résolution 1973 de l'ONU, comme l'a reconnu le ministre des Affaires étrangères français, Alain Juppé.
Mais cette éventualité évoquée également par le Premier ministre David Cameron et, sans conviction, par le président américain Barak Obama, n'a manifestement pas l'agrément du secrétaire général de l'OTAN, Anders Fogh Rasmussen. Interrogé par Sky News, celui-ci a en effet répondu que la résolution du Conseil de sécurité [de l'ONU] est très claire : elle exige l'imposition d'un embargo sur les armes. Nous sommes donc là pour protéger les populations et pas pour les armer . Surtout, si des militants d'Al-Qaida ou du Hezbollah présents dans les rangs rebelles devaient profiter de l'aubaine, comme l'a envisagé l'amiral James Stavridis, commandant des forces américaines en Europe...
Un autre objectif qui ne figurait pas dans les résolutions 1970 et 1973 de l'ONU semble en revanche rencontrer une certaine unanimité : le départ de Kadhafi. Celui-ci a subi un sérieux revers avec la défection de son ministre des Affaires étrangères Moussa Koussa. Il est possible que ce soit le début d'un sauve qui peut généralisé chez les collaborateurs de Kadhafi, du moins de ceux qui auront la possibilité d'échapper, eux et leurs familles, au colonel. Mais celui-ci, faute d'échappatoire, s'accroche avec acharnement à ce qui lui reste de pouvoir et peut compter pour cela sur les tribus de Tripolitaine qui lui sont fidèles. Car si rien ne permet de douter de la réalité des massacres d'insurgés commis par les forces du colonel en Cyrénaïque, la légende d'un peuple libyen entièrement dressé contre son dictateur n'aura pas résisté longtemps aux faits.
Une guerre tribale
Contrairement à la Tunisie et à l'Égypte, la Libye ne constitue pas une nation mais un assemblage de tribus comme le Yémen ou le Bahreïn. Un antagonisme séculaire oppose la Tripolitaine, majoritairement fidèle à Kadhafi, et la Cyrénaïque, majoritairement rebelle. Les soldats qui repassent à l'offensive dès qu'ils ne sont plus écrasés par les bombes alliées ne sont pas tous des mercenaires. C'est donc bien une guerre tribale entre l'Est et l'Ouest dans laquelle nous sommes intervenus, nous Français les premiers, au nom de l'urgence humanitaire.
La France s'est aussitôt empressée de reconnaître la représentativité du nébuleux Conseil national de transition (CNT), organe de direction de la rébellion libyenne où se côtoient démocrates, monarchistes et islamistes, plus quelques agents secrets expédiés d'urgence par la CIA américaine et le MSI britannique. Mais seul le Qatar a emboîté le pas à la France. Même la Grande-Bretagne, notre première et principale alliée, pratique le wait and see , sans doute pour miser sur le bon cheval. Pas moins que Total, le pétrole de Cyrénaïque ne laisse indifférent British Petroleum sévèrement touchée par la marée noire que la compagnie a provoquée l'an dernier dans le Golfe du Mexique (comme l'a souligné Aymeric Chauprade directeur du site Realpolitik lors de l'émission de Radio Notre-Dame, La voix est libre, du 30 mars).
Quelles que soient les calculs géostratégiques des uns et des autres, les risques d'une partition de la Libye et d'une guerre civile généralisée, comme en Somalie ou en Irak, sont dans tous les esprits. À l'est comme à l'ouest, les armes ont été massivement disséminées entre les tribus, et les terroristes d'al-Qaida au Magreb islamique (AQMI) n'auront pas manqué de se servir au passage. Comme en Irak et en Afghanistan, les islamistes peuvent en outre miser sur l'émotion suscitée par les inévitables dégâts collatéraux des frappes aériennes, dont les reporters occidentaux ont pu constater la réalité à l'hôpital de Mizdah, en plein milieu du désert libyen (Le Figaro du 31 mars).
Vous avez dit : communauté internationale ?
Dans leur ensemble, les pays arabes sont apparus en retrait à la conférence de Londres où seuls sept des vingt-quatre pays de la Ligue arabe étaient présents. Encore n'avaient-ils délégué que leurs ambassadeurs, à l'exception du Qatar et des Émirats arabes unis qui s'étaient fendus de leurs ministres des Affaires étrangères. Quant à l'Union africaine, très critique sur l'intervention militaire et sur l'absence de feuille de route , elle a purement et simplement préféré ne pas répondre à l'invitation ! Si l'on se souvient en outre que cinq poids lourds, l'Allemagne, la Russie, le Brésil, l'Inde et la Chine, s'étaient abstenus de voter la résolution du Conseil de sécurité de l'Onu (10 voix pour, 5 abstentions), il paraît abusif de prétendre que la guerre en Libye ait le soutien de la communauté internationale.
Mais l'appel le plus vibrant au cessez-le-feu vient du pape lui-même à l'angélus du 27 mars. Bien qu'ayant reconnu naguère dans son principe le droit d'ingérence humanitaire, Benoît XVI estime manifestement que la poursuite des bombardements ne fait qu'enfoncer les belligérants dans cette meurtrière aventure sans retour qu'avait déjà dénoncée son prédécesseur Jean-Paul II au moment de la première guerre contre l'Irak. Une aventure tout aussi incontrôlable que l'explosion d'un réacteur nucléaire, a renchéri la Conférence épiscopale d'Afrique du Nord (CERNA-Conférence épiscopale d'Afrique du Nord).
Mais incontrôlable n'est pas synonyme d'imprévisible. Faisons un peu d'histoire et posons-nous la question : au cours du dernier demi-siècle, depuis l'intervention militaire franco-britannique (déjà !) contre l'Égypte, en 1956, en poursuivant par le Vietnam, le Liban, l'Irak, l'Afghanistan, combien d'interventions militaires occidentales réputées vertueuses ont-elles été couronnées de succès ?
[Sources : Imedia, Zénit, Apic, Libération.fr, Le Monde.fr, La Croix.fr, Le Figaro, Radio Notre-Dame, Radio Vatican]
Photo : ministère de la Défense
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