L’été semble, chez certains esprits, propice à la méditation stratégique et à l’élaboration de concepts, mais assez peu à l’analyse et à la prise en compte des réalités.
Tout change-t-il vraiment ?
C’est ainsi que, pour certains esprits, le retrait de nos forces d’Afghanistan marque la fin d’une époque et impose à la France de revoir radicalement sa stratégie militaire et ses capacités pour les années à venir. Mais affirmer n’est pas démontrer ; c’est oublier que, si chaque fin de conflit marque naturellement une étape dans la vie d’un pays, la stratégie d’un Etat ne peut être radicalement remise en question par la fin d’une intervention extérieure somme toute limitée. Les crises arrivent souvent quand on ne les attend pas, et les adversaires agissent de manière parfois surprenante quels que soient les moyens de renseignement dont on dispose ; le secret et l’imagination des hommes sont sans limite.
Le danger de la doctrine a priori
Dans ces conditions, affirmer, comme le fait le contrôleur général des armées* André Yché dans « Le Point », que la France n’interviendra que pour des actions courtes de quelques mois est sans doute un souhait, un vœu pieux, mais n’est le résultat d’aucune démonstration. Les conditions de l’engagement seront dictées d’abord par le lieu de la crise et la nature de l’adversaire. Il faudra comme toujours engager au mieux les moyens les plus adaptés dont on dispose, sauf à décider de ne rien faire et de laisser la situation évoluer y compris au détriment de nos intérêts voire de nos ressortissants. Par ailleurs, assener que la relève des forces terrestres est une opération lourde est une contre vérité. Ce qui est contraignant, c’est la mise en place initiale des matériels et leur retrait en fin d’opération. A cet égard la présence de forces prépositionnées facilite grandement la projection de forces et leur soutien.
Retour en Afrique: coopération, formation, soutien et appui militaire
Ce qui est contestable dans le raisonnement d’André Yché, c’est de définir des modes d’action a priori sans s’appuyer sur des réalités géopolitiques. L’exemple de l’Afrique subsaharienne comprenant l’Afrique sahélienne, mais aussi l’Afrique tropicale et équatoriale, est à cet égard très révélateur. Comment ne pas être frappé par l’extrême fragilité de ces Etats, leur vulnérabilité et l’insécurité croissante qui freine leur développement économique alors que leur démographie explose ? Qui peut croire que les pays africains résoudront seuls les conflits intra étatiques et interétatiques qui les menacent ? Penser que la France ne devra ou ne voudra s’y engager que par des opérations « coups de poing » ou avec des missiles, à distance de sécurité, est une illusion. Abandonner ces pays amis dans le cycle de la violence, c’est accepter de voir déferler très vite une immigration massive en France et en Europe. Or la maîtrise des flux migratoires, vitale pour notre continent, n’est possible que si les pays origines sont suffisamment stables et sécurisés pour permettre un développement économique durable susceptible de fixer localement les populations..Dans ce contexte et ces perspectives hautement probables, la France et l’Europe doivent réinvestir en hommes dans le temps long. Les forces armées françaises, logistiques mais également de coopération, de formation et d’appui, ont une place essentielle dans cette stratégie africaine. Refuser de jouer cette carte voue à l’échec notre politique en Afrique.
Faire comme les Britanniques
Enfin, l’argument ultime développé dans cet article est de dire que nous devons copier le modèle britannique d’autant plus vite que nous avons deux siècles de retard sur eux ! Lire de tels propos est proprement stupéfiant comme si le Royaume Uni et la France avaient la même géographie, la même histoire, les mêmes intérêts et les mêmes contraintes. En fait, André Yché vise un objectif : proposer une réduction du format des armées permettant au gouvernement de réaliser des économies sur le budget de la Défense en élaborant une pseudo stratégie qui donnerait l’apparence d’être mieux adaptée aux nouveaux défis. Cette démarche est biaisée. C’est une construction intellectuelle qui néglige les réalités.
En guise de conclusion
En fait, les seules questions qui vaillent sont les suivantes : Quels sont le projet, l’ambition de la France ? Veut-elle rester maîtresse de sa politique et de son destin ? Quel effort accepte-t-elle de consentir pour sa Défense ? Et donc, quelle part de son PIB veut-elle consacrer pour faire face aux menaces de demain?
Rédaction de l’ASAF - (www.asafrance.fr)
*actuellement président du directoire du groupe Société Nationale Immobilière
Je souscris entièrement à cette analyse : le général Yché tente de coller à la nouvelle politique de défense qui est uniquement basée sur des considérations budgétaires. L'expérience des trente dernières années nous montre que les surprises sont plus fréquentes que les plans préétablis.
Monsieur est sur le bon chemin. Voici un raccourci : u-p-.fr