Source [Politique Magazine] L'Union européenne et la France n'ont ni su ni voulu voir l'émergence de l'Inde, ni raisonner la volonté hégémonique chinoise. Sommes-nous capables d'agir ou même simplement d'exister dans ce “nouvel” économico-politique ?
Le centre du monde se déplace : ce n’est plus l’espace atlantique, qui avait succédé à l’espace méditerranéen, ce n’est pas le Pacifique, contrairement à ce que l’on avait pu penser, c’est l’ensemble indopacifique, comprenant les grandes puissances du XXIe siècle, la Chine et l’Inde mais bien sûr également les États-Unis et le Japon. Tous les autres pays de la région, de l’Australie à l’Indonésie et à Singapour, doivent s’organiser en fonction de cette réalité. Et les puissances extérieures, la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne, s’interrogent sur le rôle qu’elles doivent et peuvent y jouer.
Les premiers à prendre conscience de cette réalité géopolitique furent les États-Unis. Déjà la Deuxième Guerre mondiale, même si on parlait de la « guerre du Pacifique », montrait les liens stratégiques étroits entre l’océan Pacifique et l’océan Indien pour les belligérants, et aussi toute l’importance de la charnière de l’Asie du Sud-Est (Indochine, Birmanie, Malaisie, Indonésie, Philippines), passage obligé et difficile entre les deux océans. Deux commandements supérieurs américains furent établis en 1941 : l’un pour le Pacifique, l’autre pour l’Asie du Sud-Est. En 1946, la structure fut rationalisée : un commandement pour l’Extrême-Orient (Asie du Sud-Est Japon et Corée), un autre pour le Pacifique, un troisième pour l’Alaska. À partir de 1971, des réorganisations successives prirent davantage en compte le facteur indien (d’autant plus qu’en 1968 les Britanniques avaient décidé de se retirer « à l’est de Suez »).
Finalement, en 2018, un nouveau « commandement indopacifique » réunissait les trois commandements précédents. Il manifestait l’unité du théâtre et traduisait le « pivot vers l’Asie » proclamé par l’Administration Obama en 2011, et en particulier une amélioration des rapports avec l’Inde et une meilleure compréhension de son importance, tandis que New Delhi rééquilibrait une politique extérieure très tournée vers Moscou depuis les années 1960.
Les Européens et en particulier les Français voyaient clairement les perspectives d’ascension de la Chine depuis les années 60, mais pas celles de l’Inde, pour des raisons largement idéologiques. Son système de castes ne pouvait que révulser des Européens séduits par l’égalitarisme (prétendu !) de la Chine communiste, supposée pure et vertueuse, tandis que l’économie indienne, incontestablement brouillonne, ne paraissait pas pouvoir un jour se développer autant que l’économie planifiée de la Chine, selon les préjugés dirigistes des Français de l’époque. Que l’Inde disposât d’une presse libre, d’un établissement scientifique important, et d’un régime politique aussi démocratique que possible dans un pays aussi peuplé et complexe, n’était guère perçu que par les Britanniques.
En même temps l’idéologie dominante depuis les années 1990, celle de la mondialisation heureuse et du dépérissement des États, ne permettait pas de voir l’évolution des rapports de force et le glissement des plaques tectoniques. En effet nous sommes au cœur de la dialectique entre mondialisation et « grands espaces » : les forces à l’œuvre conduisent davantage à la constitution d’espaces économico-politiques autour de la Chine, du Japon ou des États-Unis, qu’à une mondialisation qui marque le pas depuis 2015.
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