La Curie romaine (administration centrale de l'Église) a été formée traditionnellement d'un organisme de coordination, la Secrétairerie d'État, et de ministères, appelés congrégations. À la suite de la création en 1960 du Secrétariat pour la promotion de l'unité des chrétiens, est apparu un ensemble de services nouveaux qui furent dénommés d'abord secrétariats puis conseils.
Parmi ceux-ci se trouvèrent ceux pour le dialogue interreligieux, c'est-à-dire avec les religions non chrétiennes (1964) ; pour le dialogue avec les non-croyants (1965) ; pour les questions de justice et de paix (1967) ; pour la pastorale des migrants (migrants proprement dits, mais aussi gitans, pèlerins, travailleurs dans la marine ou l'aviation...1970) ; pour la promotion humaine et chrétienne dit "Cor Unum" (1971), pour la culture (1982).
Le chevauchement de compétences que laisse apparaître le simple énuméré de ces secrétariats montre qu'une certaine incertitude entoura leur création ; elle s'explique par le fait que leur première mission fut d'identifier les problèmes qu'ils auraient à traiter, ceux posés par les relations nouvelles que l'Église entendait établir avec les religions de la Bible (protestantisme et judaïsme), les religions non-chrétiennes (notamment celles d'Afrique, d'Asie et l'islam), les non-croyants c'est-à-dire l'athéisme. Déjà Jean-Paul II avait réalisé une première simplification en réunissant ce dernier conseil avec celui pour la culture qu'il avait lui-même créé (1993).
Une récente décision de Benoît XVI procède à une nouvelle rationalisation de la géographie des conseils qui viennent d'être nommés en regroupant les migrations avec Justice et Paix sous la direction du cardinal Martino ; de même le Conseil pontifical pour la culture qui avait déjà absorbé celui pour les relations avec les incroyants a vu étendre sa compétence aux rapports avec les religions non chrétiennes ; le cardinal Poupard (photo) a été confirmé à la tête de cette nouvelle unité. Le fait que celle-ci soit devenue responsable des relations avec les religions non-chrétiennes souligne la volonté du Pape de donner une importance accrue au dialogue de l'Église avec le monde qui lui est extérieur ; mais la question reste posée de savoir si de tels regroupements répondent davantage à de simples préoccupations administratives ou si elles donnent une indication sur l'orientation que le Pape entend donner à son pontificat.
Simplification ou réorientation ?
Le regroupement du Conseil pour les migrations avec celui pour la Justice et la Paix semble pouvoir s'expliquer aisément. La justice ne doit pas rester une notion abstraite ; elle demande d'intervenir dans les affaires du monde et le Conseil Justice et Paix a suivi depuis toujours les questions de désarmement, de guerre ou de droits de l'homme. L'évolution du monde a fait que la pastorale des migrants ne peut plus être traitée indépendamment des questions de justice liées à leur condition. La décision du Pape n'a donc rien d'étonnant ; elle montre son désir d'engager le Saint-Siège dans les questions de société avec réalisme.
Les raisons pour lesquelles il a été décidé d'aborder les relations avec les religions non chrétiennes sous l'angle de la culture peuvent ne pas sembler aussi claires que celles qui ont conduit à l'intégration des questions de migration dans les compétences du Conseil Justice et Paix. La décision qui vient d'être prise est cependant l'aboutissement d'une histoire à l'intérieur de laquelle le cardinal Ratzinger a joué un rôle important.
La création des secrétariats et conseils qui a accompagné le déroulement de Vatican II ou en a été la conséquence, est le résultat d'une mutation, et non d'une volte-face, dans les rapports de l'Église avec le monde ; mutation, car son comportement nouveau dans la société n'opère pas une rupture avec ce qu'elle avait dit d'elle-même jusqu'alors. La politique mise en œuvre procède, pour reprendre une expression de Pie XII dans son allocution de Noël 1956, à la "réévaluation" nécessaire de son mode traditionnel de présence dans le monde en fonction des conditions nouvelles imposées par ce qu'on appelle la Modernité. En y procédant, Vatican II marque la sortie de l'Église d'une conception territoriale et monolithique de son universalité ; il ne perd pas de vue sa mission à l'égard de "tous les hommes et de tout l'homme"; mais il affirme que le moment est venu de la concevoir en fonction du pluralisme qui caractérise les sociétés dans lesquelles les chrétiens doivent vivre désormais.
Dans un premier temps, les secrétariats créés par Paul VI durent persuader les autres mouvements religieux ou humanistes de ce qu'il y avait de définitif dans la détermination de l'Église de contribuer à la solution des questions de justice, de paix ou de mondialisation en travaillant à leur solution en union avec tous les hommes de bonne volonté. Il apparut rapidement que la diversité des cultures constituait un obstacle majeur à la compréhension mutuelle et à l'accueil de l'Évangile puisque chacune d'elles considérait son expérience de la condition humaine comme incommunicable et non négociable. Jean-Paul II fit alors un pas de plus en créant le Secrétariat (Conseil) pour la culture, se rendant compte que la question des relations avec les autres courants de pensée ne se limitait pas à des éclaircissements doctrinaux comme si on pouvait espérer arriver à un dénominateur commun avec eux.
Mission et droit des cultures
Convaincu que l'activité missionnaire ne portait pas atteinte au droit des cultures à protéger leur identité, Jean-Paul II affirma la "valeur permanente du précepte missionnaire" dans l'encyclique Redemptoris Missio (1990). Tel est précisément le thème que traita le cardinal Ratzinger lors d'une conférence aux conférences épiscopales des pays d'Asie réunies à Hong Kong en 1993 [1]. Il y indiqua pourquoi et comment le dialogue des cultures était nécessaire à l'annonce de la foi dans les civilisations dont les principes justificatifs proviennent de religions non chrétiennes.
Une thèse centrale parcourt le discours du cardinal Ratzinger, à savoir que si chaque culture est un tout qui tire son identité propre de la religion ou des principes qui en assurent la cohérence, il n'est pas moins certain qu'"une même nature humaine est à l'œuvre" en chacune d'elles et lui confère une "universalité potentielle" que peut libérer l'Évangile. Trois propositions peuvent résumer cette position :
• Chaque culture forme un tout dont "la religion détermine la structure des valeurs et leur logique interne" ; étant "un essai de compréhension du monde et de l'existence de l'homme dans le monde", chacune se distingue de toutes les autres par des caractères qui la rendent spécifique et font obstacle à la communication interculturelle : "Si vous retirez d'une culture cette religion qui l'engendre, vous lui volez son cœur" et "si vous lui implantez un nouveau cœur, le cœur chrétien, il semble inévitable que l'organisme qui n'est pas ordonné à cela rejette le corps étranger".
• La barrière de l'incommunicabilité des cultures peut être surmontée. L'histoire humaine est marquée par la "convergence" des divers courants culturels vers une plus grande unité. Les cultures sont les expressions diverses d'une même humanité à la recherche de son unité. "La convergence de l'humanité vers une seule communauté de vie et de destin ne peut être arrêtée". "Par conséquent, ce qui dans une culture exclut cette ouverture et cet échange indique ce qui est déficient dans cette culture." L'histoire montre que les cultures survivent en acceptant une "interculturalité" avec celles qu'elles rencontrent.
• L'évangélisation contribue à la rencontre et à la compréhension des cultures. Elle les aide à "se rencontrer et à s'unir". Les croyants forment le Peuple de Dieu qui est lui-même un "sujet culturel" original car il est constitué par le regroupement d'hommes et de femmes appartenant à des nations différentes : "Il diffère (en cela) des cultures classiques qui se définissent par tribus, peuples ou par frontières d'une région commune", il ne détruit pas pour autant celles qu'il rencontre mais il y introduit des ferments qui élargissent leur vision et leur permettent de dépasser leurs limites.
On peut donc dire en conclusion que le Conseil pontifical pour la culture est appelé à prendre une importance grandissante dans le développement des relations de l'Église avec le monde.
Texte mis à jour le 20/03/06.
[1] Documentation catholique 1995 n. 2I20, p. 689-708.
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