C'est la mobilisation générale. La mobilisation pour l'emploi, décrétée par le président de la République. "Aucune solution ne doit être écartée par préjugé", sauf, bien entendu, les solutions anglo-saxonnes. Nous respecterons "notre modèle français".

Voilà pourquoi le chômage ne sera pas vaincu. Pourtant, le Président disposait d'une bonne base de départ pour une analyse de la situation : le jour même où il présentait la feuille de route de son gouvernement, le ministère du Travail publiait les chiffres de l'emploi pour le mois d'avril. Édifiant.

10,2 % de chômeurs

Quelle est la situation du marché du travail en France ? Fin avril 2005, le nombre de demandeurs d'emplois s'élève à 2.486.400. Mais il faut savoir qu'il s'agit de la seule catégorie 1 (personnes sans emplois, ayant travaillé moins de 78 heures dans le mois, cherchant un travail à temps plein et à durée indéterminée). Si l'on ajoute les seules personnes qui ont exercé une activité réduite de plus de 78 heures au cours du mois (catégorie 6), on passe d'un coup à 2.939.500 personnes : 450 000 de plus. A fortiori si on ajoute les autres catégories (par exemple ceux qui cherchent un emploi à temps partiel), on dépasse très largement les 3 millions de chômeurs. La situation - et le Président a raison sur ce point - est gravissime. On s'en aperçoit bien tard !

Si on s'en tient à la catégorie la plus étroite (catégorie 1), le nombre de demandeurs d'emplois a diminué de 1.400 en un mois, soit de 0,1 %. Cela avait paru tellement miraculeux au gouvernement que l'information avait filtré juste avant le référendum, pour rassurer les électeurs, avec le succès que l'on sait. Mais on avait oublié de préciser, ce qui a été fait ensuite, que sur un an, la situation se dégradait encore avec une augmentation du chômage de 2,1 %, alors que J.-P. Raffarin avait promis bien imprudemment une baisse de 10 % !

Dans ces conditions, le taux de chômage a atteint 10,2 % de la population active. Il est intéressant de comparer ce chiffre à celui de nos partenaires de l'OCDE. En moyenne, le chômage y atteint 6,7 % de la population active : 3,5 points de moins que chez nous. Ce taux est de 5,2 % aux États-Unis et de 4,5 % au Japon. Moitié moins de chez nous. Sans doute les effets " néfastes " du modèle anglo-saxon ?

Deux fois moins de chômeurs à l'étranger

Mais qu'en est-il en Europe ? 4,7 % au Royaume-Uni (et même à peine 2 % selon les sources britanniques, mais gardons les sources homogènes de l'OCDE). 5,0 % aux Pays-Bas, 4,3 % en Irlande, 4,9 % au Danemark, 4,6 % en Autriche : il est donc possible, même dans la vieille Europe, de combattre le chômage, pourvu qu'on s'en donne les moyens. Même l'Italie, que l'on dit bien malade, est à 8,0 % : 2,5 points de moins que nous.

Il est vrai que si l'on regarde de prés les statistiques, on trouve deux pays qui ont un chômage du même ordre que la France : l'Espagne (10,2 %), mais ce pays revient de loin avec plus de 15 % de chômeurs, et le chômage ne cesse d'y diminuer, grâce à la politique qu'avait menée J.-M. Aznar et dont bénéficie son successeur : demain l'Espagne aura moins de chômeurs que nous. Et l'Allemagne, si l'on tient compte de l'Est et de l'Ouest. Mais c'est à l'Est que le chômage est élevé, à cause de l'héritage communiste ; si l'on ne tient compte que de l'Ouest de l'Allemagne, le taux de chômage est plus faible que chez nous. Et les Allemands ont pris des mesures dans le domaine de l'indemnisation comme dans celui des impôts. D'ailleurs, depuis trois mois, le chômage recule sensiblement dans ce pays.

Mais les statistiques du ministère du Travail nous apprennent autre chose sur le " modèle social français ". Il y a un sur-chômage des jeunes de moins de 25 ans : désormais, le taux de chômage atteint 23,3 % chez les jeunes actifs. Soit plus du double du taux de chômage national. De quoi décourager toute la jeunesse et lui offrir une totale absence de perspective. Or on dit qu'il est normal que le taux de chômage des jeunes soit élevé, puisqu'ils n'ont pas d'expérience. Mais pourquoi alors n'y a-t-il pas de sur-chômage des jeunes en Allemagne ou en Angleterre ? N'y a-t-il pas des explications à trouver à ce faible chômage des jeunes dans ces deux pays, du cöté de la formation (en alternance en Allemagne) ou du coté de la rémunération (salaire minimum pour débutants à un niveau très bas en Angleterre).

Gardons le modèle social français et les chômeurs qui vont avec

De même, on observe qu'en France la durée moyenne du chômage est très longue : prés de dix mois. N'est-ce pas le signe que le modèle social français est une machine visant à protéger ceux qui ont un emploi et à exclure durablement ceux qui n'en n'ont pas ? En particulier, le chômage de très longue durée (plusieurs années) a continué à progresser. Pourquoi ce chômage de longue durée est-il quasi-inexistant aux États-Unis où l'on est en moyenne au chômage pour quelques semaines, tout au plus quelques mois ? Sans doute parce que les entreprises américaines peuvent facilement licencier et donc n'hésitent pas un instant à embaucher. Chez nous, rien de tel : on ne peut licencier facilement, donc on préfère ne pas embaucher.

Notons enfin qu'au cours du seul mois d'avril, le nombre de nouvelles inscriptions à l'ANPE a augmenté de 378.200. Comme le nombre net de chômeurs a progressé de 1.400, c'est que 376.800 demandeurs d'emplois du mois précédent ont quitté les statistiques de l'ANPE : l'analyse des flux permet d'abandonner la fausse vision statique du marché du travail que donne celle des stocks. Cela permet d'abandonner les illusions malthusiennes du type partage du travail ou création d'emplois publics : seul le marché peut créer les centaines de milliers d'emplois nécessaires.

Mais nous avons peur de nous être laissé entraîner vers le côté obscur de la force, nous voulons dire vers le modèle anglo-saxon. Tout ce que nous venons de constater dans ces statistiques n'est pas politiquement correct. Il nous faut donc rester avec le modèle social français. Et avec nos trois millions de chômeurs.

*Jean-Yves Naudet est professeur à l'université Paul-Cézanne (Aix-Marseille III) et président de l'Association française des économistes catholiques.

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