Le dimanche 18 novembre s'est tenue, place de la République, une grande contre-manifestation rassemblant les usagers des transports en commun, victimes de la paralysie des lignes RATP et SNCF, ainsi que les étudiants opposés au blocage des universités.
Je ne suis pas inquiète , assure le ministre de l'Enseignement supérieur Valérie Pécresse, alors que la coordination nationale étudiante est réunie ce week-end à Tours pour décider de la suite à donner à la contestation contre la loi d'autonomie des universités. Qui sont ces enfants immatures qui jouent à faire la grève ?
Les étudiants opposés à la loi Pécresse, qui bloquent actuellement de nombreuses universités françaises, sont intéressants à observer et à écouter. Il faut les scruter en tournant le bouton de son poste de télévision, mais aussi en descendant sur le terrain, dans les rues de Saint-Michel, à même les dalles bétonnées des campus de banlieue ou sur les bancs des amphis transformés en tribunes politiques. Ces groupes d'étudiants ressemblent à des bandes d'amis un peu turbulents, sympathiques et rigolards.
On pense aux Pieds Nickelés, à Quick & Flupke et surtout à l'univers du Petit Nicolas de René Goscinny, avec la belle Marie-Edwige de l'UNEF, Elle est chouette, elle a des cheveux jaunes, des yeux bleus, et elle est toute rose... je crois qu'on va se marier plus tard... ; avec Clotaire de la LCR, C'est le dernier de la classe. Quand la maîtresse l'interroge il est toujours privé de récré ; avec Alceste de la CNT, qui possède une batte à clous C'est mon meilleur copain, un gros qui mange tout le temps ... et puis avec Agnan de l'UNI, qui est quand même un bon copain parce qu'il a une voiture, mais que l'on tabasse à la sortie du campus parce qu'il est de droite. Sans parler du Bouillon, le surgé, un appariteur musclé, qui râle tout le temps quand on fume de l'Afghan dans les couloirs. Des gosses un peu trop criards, mais indubitablement jeunes et beaux . On a l'impression, d'AG en AG, qu'ils font l'école buissonnière ou qu'ils vivent une fête ininterrompue... On a l'impression qu'ils travaillent à vivre une expérience...
À travers la France, il est à craindre que les campus restent bloqués durant quelques jours ou quelques semaines encore. Une insidieuse concurrence médiatique s'est d'ailleurs installée entre les revendications des agitateurs étudiants (opposés à la loi Pécresse sur la modernisation de l'Université) et celles des cheminots de la RATP et de la SNCF (opposés à la modernisation de leur régime de retraite). Communauté d'intérêt dans la lutte contre le président Sarkozy ? Certainement. Mais les étudiants attirent particulièrement l'attention...
Relire La Bruyère
On ne relit pas assez Jean de La Bruyère (1645-1696), surtout en temps de grève. Je le dis comme ça, au passage, mais c'est une réalité. Demandez à des jeunes gens sortis des lycées publics : ils ont étudié des textes de Pierre Perret, de Pascal Sevran, de Jean Daniel et de MC Solaar, en classe de français, peut-être de Victor Hugo ou de Emile Zola, au mieux, mais certainement pas de La Bruyère... Ok, ok, on me dira qu'ils ont suivi un stage de slam sponsorisé par la mairie, mais bon... ! Cependant, on devrait relire La Bruyère... car il s'est longuement penché dans ses Caractères sur la situation de l'enfant. L'enfant contestataire. L'enfant révolté. L'enfant qui réclame son dû imaginaire. L'enfant colérique. L'enfant insupportable. L'enfant qui – telle une Salomé mythologique – réclame à son papa la tête de Jean-Baptiste sur un plateau... on extrapole, on extrapole... on voit bien Bruno Julliard réclamer à Sarkozy la tête de Valérie Pécresse sur un plateau (de télévision ?) ! Sa tête sur un plateau ! Sa tête sur un plateau ! L'enfant colérique et gâté par la vie... le chenapan ! On voit moins bien la danse des sept voiles, mais bon...
On ne relit pas assez Jean de La Bruyère (1645-1696), surtout en temps de grève. Le moraliste du XVIIe siècle a réservé aux enfants (dans son chapitre De l'homme , au sein de son œuvre unique, les Caractères) une place significative. Lucide, La Bruyère résumait ainsi l'homme : Il n'y a pour l'homme que trois événements : naître, vivre et mourir. Évoquant la prime-enfance des hommes, La Bruyère écrit : Il y a un temps où la raison n'est pas encore, où l'on ne vit que par instinct, à la manière des animaux, et dont il ne reste dans la mémoire aucun vestige.
En voyant les étudiants révoltés, réclamant la tête de Valérie/Jean-Baptiste, sur un plateau (de télévision ?), on ne peut s'empêcher de repenser à La Bruyère : Les enfants sont hautains, dédaigneux, colériques, envieux, curieux, intéressés, paresseux, volages, timides, intempérants, menteurs, dissimulés.... Reposant un temps le volume sur ses genoux on pense, ému, aux interventions télévisées du leader estudiantin, et militant socialiste rentré, Bruno Julliard. Mais on poursuit : Ils (les enfants) rient et pleurent facilement ; ils ont des joies immodérées et des afflictions amères sur de très petits sujets... Reposant à nouveau le volume de La Bruyère on pense, ému, au contenu de la loi Pécresse... Mais on poursuit : Ils ne veulent point souffrir de mal, mais aiment à en faire : ils sont déjà des hommes. Les enfants n'ont ni passé ni avenir, et, ce qui nous arrive guère, ils jouissent du présent.
On sait que l'actuel mouvement étudiant, opposé à la loi Pécresse, se nourrit de la récente mythologie anti-CPE. On se replonge dans le volume de La Bruyère : Les enfant ont déjà de leur âme l'imagination et la mémoire [...] et ils en tirent un merveilleux usage pour leurs petits jeux et pour tous leurs amusements . On revoit les bandes de copains étudiants, soudés aux portes des facultés... Et la Bruyère tance : L'unique soin des enfants est de trouver l'endroit faible de leurs maîtres, comme de tous ceux à qui ils sont soumis : dès qu'ils ont pu les entamer, ils gagnent le dessus et prennent sur eux un ascendant qu'ils ne perdent plus.
On revoit en boucle les images de ces étudiants portant des pancartes contestataires, refusant en bloc le capitalisme, l'occident, la France, le coca à 1€ au distributeur, Valérie Pécresse, l'impérialisme américain, la situation des indiens du Chiapas, les suicidés de chez Renault, Chirac, Sarkozy, Cécilia, la télé poubelle, les courants d'air, Adolf Hitler, Ivan le Terrible et même René Bousquet. La Bruyère me répond : Aux enfant tout paraît grand, les cours, les jardins, les édifices, les meubles, les hommes, les animaux...
On songe toujours à Bruno Julliard et à la ravissante Sophie Binet, leaders syndicaux étudiants plébiscités par les médias, et on lit chez La Bruyère : Les enfants commencent entre eux par l'état populaire ; chacun y est le maître, et, ce qui est bien naturel, ils ne s'en accommodent pas longtemps, et passent au monarchique : quelqu'un se distingue, ou par une grande vivacité, ou par une meilleure disposition du corps, ou par une connaissance plus exacte des jeux différents et des petites lois qui les composent. Nous voilà donc au mode monarchique...
Les raisonneurs
Et puis on songe, finalement à la gauche, et notamment au Parti socialiste, qui instrumentalise au quotidien le mouvement étudiant, et l'on entend résonner en soi les mots de l'auteur des Caractères : Qui doute que les enfants ne conçoivent, qu'ils ne jugent, qu'ils ne raisonnent conséquemment ? Si c'est seulement sur de petites choses, c'est qu'ils sont enfants et sans une longue expérience, et, si c'est en mauvais termes, c'est moins leur faute que celle de leurs parents ou de leurs maîtres.
On me dira : encore le clash entre les vingtenaires et les trentenaires... encore le clash entre de pseudo-jeunes, agités, passablement instables et de pseudo-vieux, trop intégrés, déjà trop immergés dans la vraie vie, engrenés dans les miasmes de l'indépendance... encore le clash entre les 18-24 ans (qui ont massivement voté contre Nicolas Sarkozy à l'élection présidentielle) et les 25-35 ans (qui ont massivement voté pour le président qui est en place)... Balivernes ! La rupture est entre certains étudiants immatures (ceux qui ne veulent pas quitter un monde enfantin et infantile), et ceux qui veulent (se) grandir, et étudier...
On ne relit pas assez Jean de La Bruyère (1645-1696), surtout en temps de grève. À travers la France, le mouvement de contestation étudiante risque de tenir... un peu. Les minots opposés à la loi Pécresse, qui bloquent actuellement de nombreuses universités françaises, sont intéressants à observer et à écouter. Il faut les scruter en tournant le bouton de son poste de télévision, mais aussi en descendant sur le pavé... En les voyant on songe aussi aux mots de La Bruyère : Il y a une espèce de honte à être heureux à la vue de certaines misères ... En les voyant, on se demande : et si le Supérieur était malade de ses enfants ?
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