Nous sommes enfin devant un grand événement, un événement qui balaie les arguments néoconservateurs sur la fin de l'histoire, et qui bien plus que les attentats du 11 septembre...
Nous sommes enfin devant un grand événement, un événement qui balaie les arguments néoconservateurs sur la fin de l'histoire, et qui bien plus que les attentats du 11 septembre, nous pose face à la vraie question géopolitique : que faire de l'exception russe qui fascine depuis Ivan ou Pierre le Grand, et qui est venue à bout de Hitler et de Napoléon, les deux dictateurs visionnaires qui avaient voulu fonder un empire comme la Russie ?
Le général de Gaulle l'avait dit à Tournoux, à l'époque de la décolonisation : la Russie boira le communisme comme le buvard boit l'encre.
Le résultat est qu'aujourd'hui l'empire russe est beaucoup plus puissant qu'au temps de l‘Union soviétique. Le communisme que nous avons fait mine de combattre nous a épargnés durant cinquante ans, nous petit cap de l'Asie, de la confrontation avec la réalité de la Chine, de la Russie et même de l'Inde, qui avait quasi collectivisé son industrie en s'inspirant des modèles fabiens britanniques. Maintenant nous nous retrouvons tout nus devant des puissances formidables qui n'ont pas abjuré leur passé, leurs racines ou même leur nationalisme.
De Gaulle avait dit aussi qu'il faudrait faire l'Europe de l'Atlantique à l'Oural. Le rideau de fer créé par les alliés et défini par Churchill empêchait toute unification continentale, rendue pourtant évidente dès le congrès de Vienne en 1815. Il nous fallait, dès les années 1990, nous rapprocher de la Russie et l'intégrer à l'Europe. Nous ne l'avons pas fait, préférant vendre la peau de l'ours russe avant de l'avoir tué.
Lorsqu'ils bombardaient la Serbie, les Américains se moquaient des Russes, et de leur PNB hollandais... Aujourd'hui la moitié de leurs villes sont tiers-mondisées (voir le classement de l'agence Mercer) et ils sont incapables de se dépêtrer de l'Irak ou de l'Afghanistan. Et c'est eux qui s'entêtent à encercler la Russie en l'accusant, elle, d'agressivité déplacée...
C'est que l'Occident s'est séparé de l'idée européenne ; pire, il la combat. Il veut une rupture entre l'est et l'ouest de l'Europe. Il veut déchristianiser l'Europe en y faisant entrer la Turquie et la moitié de l'Afrique, et désire provoquer la Russie à n'importe quelle occasion en pavant ses frontières de lance-missiles et autres gracieusetés.
Le choc des civilisations dont on nous a rebattu les oreilles n'oppose pas les chrétiens aux musulmans, qu'on laisse prospérer en Méditerranée (voir l'humiliation de l'Italie devant la Libye), en France ou en Angleterre, et bientôt peut-être aux États-Unis. Le choc des civilisations n'opposerait-il pas plutôt les post-chrétiens de l'Occident drouadlhommiste aux orthodoxes ?
Relire Dostoïevski
Et ce choc était prévu depuis longtemps par Dostoïevski. Le grand écrivain était un fervent partisan du panslavisme et il disait que l'Occident avait corrompu l'idée chrétienne que les russes illustraient. C'est Chatov, un des personnages des Possédés, qui illustre ce panslavisme et ce messianisme russe. On sait que Dostoïevski aimait le peuple, les moujiks, tout ce tissu vivant et organique, qui allait être dévoré par le développement industriel. Mais à l'époque, la Russie est encore préservée. À l'époque, on put parler d'un volksgeist, pour reprendre un terme toujours à la mode, qui perdure en Russie depuis l'arrivée au pouvoir de Poutine.
Pour Dostoïevski, il n'y a pas un déclin global de l'Occident chrétien, mais un effondrement du monde germano-romain, et même catholique, qui a en quelque sorte épuisé ses cartouches. Mais pour lui, la Russie est le nouveau peuple élu prêt pour les combats spirituels du XXIe siècle. En 1917, sur son lit de mort, Bloy lance la phrase fameuse : J'attends les cosaques et le Saint-Esprit. Un siècle plus tard, cette phrase étrange garde son pouvoir de fascination, plus que l'argument ressassé des gazoducs azéris. La Russie messianique est de retour et veut le faire savoir à l'Occident déboussolé qui envoie ses soldats se faire tuer pour rien aux quatre coins du monde.
Un film a célébré cette résurrection russe : l'Arche russe de Sokourov. Et l'on voit une ambassade perse demander pardon à l'empereur russe pour une vétille. On rapprochera cette allusion ignorée à l'époque de la vente présumée par les Russes du système de défense S-300 aux Iraniens. L'ours irrité a en tout cas prévenu son monde. Et l'Europe n'a qu'à s'en prendre à elle-même d'avoir préféré un destin atlantéen de plus en plus aléatoire ou ubuesque à son destin continental.
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