Dominique Perben vient de se prononcer pour l'abandon de l'amendement Garraud pénalisant les fautes ayant entraîné la perte involontaire d'un fœtus, laissant toutefois au Sénat le soin d'en décider. " Interruption Involontaire de Grossesse " (IIG), le libellé choisi par le député UMP Jean-Paul Garraud pour combler ce qu'il considérait comme un " vide juridique sidéral " avait tout pour ouvrir la polémique.
Comment ne pas avouer que l'IIG fait écho à l'IVG ? Et que, de fait, la coexistence entre une loi qui réprime l'avortement fautif involontaire et celle qui permet, protège et rembourse l'avortement volontaire mettait en relief l'incohérence de notre société ? Cependant, les félicitations reçues par M. Garraud de la part de certains mouvements anti-avortement ne sont peut-être pas aussi méritées qu'il y paraît au premier abord. En sens inverse, l'inquiétude affichée par les militants de l'avortement pourrait bien ne pas être tout à fait sincère... Il fallait voir, sur France 5, dans l'émission " C'est dans l'air " du 2 décembre la présidente du Planning familial déployer sa dialectique pro-IVG, aussi outrancière à nos yeux qu'efficace pour le grand public, pour être en droit de s'interroger.
Certes lorsque l'amendement est jugé " inutile " par le Planning, et pas seulement " dangereux pour le droit des femmes ", il doit bien se trouver des téléspectateurs pour s'indigner. Mais l'unanimité règne sur le plateau pour reconnaître le " droit à l'IVG ".
À qui ou à quoi sert donc ce débat ? C'est une sorte de grand-messe médiatique où le " droit d'avorter " est sacralisé d'une façon jusqu'ici inédite, dans la bouche des leaders de l'opposition comme de la majorité ; alors même que ce " droit " n'est que relatif dans notre pays. Car, jusqu'à preuve du contraire, l'avortement reste encadré par la loi. Le principe du respect de la vie est affirmé par la loi. L'avortement illégal est même susceptible d'être pénalisé.
M. Garraud est-il, délibérément, en train de porter une brèche dans le " droit d'avorter " alors qu'il s'en défend en affirmant soutenir personnellement ce droit ? Sa dénégation peut suffire à générer un malaise. Car, à l'arrivée, dans la tempête médiatique provoquée par son amendement, et consacrée pour l'essentiel à discourir sur la question " Le droit à l'IVG est-il menacé ? ", nous n'avons pas entendu ou lu une seule fois ce qui se joue réellement pour les 220.000 femmes qui expérimentent l'avortement dans notre pays chaque année.
On a entendu la dialectique du Planning éprouvée depuis 30 ans : liberté, choix, droit... Droit " fondamental " a précisé le ministre déléguée à la Parité, Nicole Ameline, parlant à propos de la loi de 1975 d'" un acquis irréversible ". De son côté, Jean-François Mattei s'est employé à " rassurer " les médecins échographistes et gynécologues-obstétriciens inquiets de se voir attaqués en justice pour leur pratique du dépistage des anomalies fœtales. L'eugénisme (qui ne dit pas son nom) est protégé, voire consolidé.
Certes, on découvre, au fil du débat, que 1.000 avortements involontaires sont provoqués chaque année par l'amniocentèse. On entend même tel médecin avouer que, pour certaines pathologie, 10 % des bébés éliminés ne sont pas porteurs de l'anomalie dont les parents ont été alertés du risque. Et que, par conséquent, ce dépistage fait également des victimes parmi les fœtus " sains "... On voudrait espérer une prise de conscience. Certains l'annoncent.
L'illogisme qui fait dire, dans la même phrase, au représentant du Syndicat des gynécologues obstétriciens qu'il considère le fœtus comme " un patient " et qu'il lui dénie " ce statut juridique " pour se protéger est évident. Mais il n'est pas capable d'ébranler un système aussi marqué par " la structure de péché " : mensonges, aveuglement, complicité, éparpillement de la responsabilité, justifications fallacieuses... N'est-ce pas justement tout cet arsenal qui s'est étalé pendant une semaine aux yeux des Français, consolidant l'idée d'un droit, politiquement encore plus intégré qu'il ne l'est dans notre législation ? Il faut dire que la dialectique a l'art de s'inventer des épouvantails pour faire avancer ses revendications. J.-P. Garraud a-t-il malgré lui jouer ce rôle ? Le Planning a usé de la technique du ressentiment qui prétend parler " au nom des femmes qui ont toujours tant de difficulté à avorter ". Et, de Françoise de Panafieu (UMP) fustigeant " les vieux démons masculins " pour affirmer son refus de voter l'amendement Garraud, à Eric Fottorino chroniqueur du Monde regrettant Simone Veil : " Peut-être faut-il une femme pour défendre le ventre des femmes ", on constate que cette dialectique féministe mal comprise reste efficace. Surtout quand, en face, on ne trouve pas une voix autorisée pour prendre réellement la défense des femmes.
Loin de toute dialectique, il faudrait pour cela revenir aux réalités. Pour contrer l'idéologie qui veut faire de la femme la maîtresse de la vie et de la mort de son enfant déjà conçu, il n'est d'ailleurs pas certain que le rappel " théorique " du caractère sacré de la vie soit efficace. Encore moins suffisant. Il faut pouvoir montrer que c'est une responsabilité injuste et écrasante qu'on prétend donner aux mères. Car les femmes qui l'ont vécu savent et sentent le véritable sens de l'acte qu'est l'avortement, légal ou non. Elles portent son poids. Souvent seules. Personne ne voit les terribles conséquences de ce qu'elles ont vécu, pour elles-mêmes, leur couple, leur entourage : divorce, dépression, frigidité... Personne ne les entend, ou presque. Tout est fait pour étouffer et interdire leur voix, y compris celle de leur conscience.
Le respect de la vie se démontre par a + b. Cela n'est cependant pas propre à convaincre. Il faut que des femmes, victimes de l'IVG, et qui s'en sentent également coupables alors que la société leur en dénie le droit, puissent s'exprimer. Rien de tout cela dans le débat. Il a même, à nos yeux, quelque chose de régressif. Et, d'une certaine façon il renforce l'illusion de toute puissance du désir maternel comme pourvoyeur de vie.
Cependant, il faut se réjouir de l'amendement Garraud. Si nous nous réjouissons, c'est en raison de son intention directe : il vient au secours de femmes ou de couples qui ont été endeuillés par la perte de leur bébé (c'est ainsi que les femmes enceintes, qu'on le veuille ou non, nomment ce que les débatteurs ont pris soin de toujours désigner " fœtus "). Ils ont le droit de se voir reconnu cette perte, pour en faire le deuil. Lorsque Jean-Paul Garraud explique qu'un chien accidentellement tué par un chauffard lui fait encourir une condamnation pénale alors que " la perte d'un fœtus humain " ne lui fait rien risquer, on le suit. Sa logique juridique est d'autant plus implacable que la France pourrait bien être condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme saisie d'un tel déni de justice...
Relevons tout de même le risque d'une tendance à la judiciarisation à outrance, signe d'une société où la vengeance est érigée en règle de consolation. Nous aimerions que d'autres voies soient explorées pour aider les personnes en deuil et reconnaître leur préjudice. Car les échographistes, dont la profession est éthiquement sinistrée et, dont la pratique est devenue, dans bien des cas, " meurtrière " ont raison de s'inquiéter d'une tendance à rechercher la moindre faute lorsque le malheur ou le destin frappe. La confiance, comme le pardon semblent s'éloigner.
Nous pouvons cependant remercier Jean-Paul Garraud d'avoir tenté de réparer une injustice sans être certains que le Sénat saura résister à la cabale idéologique. À constater le revirement de Dominique Perben, rien n'est moins sûr.
Tugdual Derville est délégué général de l'Alliance pour les droits de la vie.
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