Le délégué général de l'Alliance pour les droits de la vie est un amoureux de la Création. Jusque là, pas de surprise. Mais ce défenseur de la vie humaine est aussi un passionné de la vie animale. Tugdual Derville publie Animaux dans l'Évangile (Ecclesia), un bestiaire illustré qui se lit comme un guide spirituel.
De l'Âne (A) à la vipère (V), ce cantique des créatures plein d'esprit et superbement illustré, est une leçon de sagesse pour tous, petits et grands. À offrir devant la crèche, entre le bœuf et l'âne. Entretien.
Liberté politique. — Vous avez relevé une trentaine d'espèces d'animaux citées dans les Évangiles. Que nous dit Dieu dans la nature ?
Tugdual Derville. — Je pense rejoindre l'expérience de beaucoup qui profitent des vacances d'été pour se ressourcer : en pleine nature, nous rencontrons davantage Dieu le Père, en tant que Créateur. Jésus avait régulièrement besoin de méditer à l'écart de l'agitation des hommes, pour mieux les aimer. Les paysages, la montagne, la campagne ou la mer sont propices à la contemplation, à la paix du cœur... Mais les oiseaux et les animaux de toutes sortes disent quelque chose de plus de la profusion bienveillante du Père : en raison de leur animation (animale) qui est merveilleuse, et aussi à cause de leur organisation extraordinairement élaborée.
Même les bestioles injustement méprisées méritent d'être observée de près : je pense par exemple aux carabes de nos contrées, qui sont des coléoptères forestiers nocturnes, mangeurs d'escargots et de limaces. Comme ils sont dépourvus d'ailes, chaque forêt conserve des espèces différenciées ; quant à leur magnificence, comme dirait saint Thomas, il faut la voir pour la croire ! À mes yeux, la biodiversité est une preuve de l'existence de Dieu.
Par ailleurs, le Christ, dans cette nature de Palestine où il s'est incarné, nous incite à observer la nature, lui qui avait vécu quarante jours, au désert parmi les bêtes sauvages : Regardez les corbeaux ! (Luc 12, 24) Pareille exhortation réveille l'ornithologue qui sommeille en nous... Et nous découvrons, c'est un peu le bilan de mon livre, que Jésus utilise toujours l'animal pour aider l'homme à être lui-même, dans son statut incomparable, au-dessus des animaux, tout près de Dieu.
Les animaux se dévorent entre eux. Les Écritures nous montrent des animaux bons (la colombe) et des mauvais (le loup), des doux (l'agneau) et des cruels (le scorpion), certains sont insignifiants (la sauterelle), d'autres malins (le corbeau), il y a des peureux et des forts... L'inégalité animale a-t-elle un sens ?
Il me semble qu'on ne peut pas vraiment attribuer aux animaux les qualificatifs de bon et de mauvais . Dans les paraboles, les oiseaux du ciel figurent tour à tour Satan (dans celle du Semeur) et les hôtes du paradis (dans celle du grain de sènevé) !
Prenons la sauterelle : elle fait épisodiquement des ravages quand elle se rassemble en immenses nuages, dévorant toute la végétation sur son passage... et elle nourrit Jean-Baptiste ! Les entomologistes du siècle dernier ont même découvert que c'était exactement la même espèce qui vit tour à tour solitaire et en bande ! Est-ce anodin que l'insecte qui occasionna l'une des plus terribles des plaies d'Égypte, affamant ses habitants, soit celui qui évita au cousin du Seigneur de mourir de faim ? Peut-être un scorpion lui-même pourrait-il nous sauver la vie. J'en ai récupéré quelques-uns (dans du formol) dont le venin était étudié par un laboratoire pharmaceutique. Quant au loup, il n'est ni mauvais, ni cruel... Il est simplement dangereux, et doit être régulé.
C'est notre anthropomorphisme bien naturel qui attribue aux animaux nos sentiments, jusqu'à les juger moralement. Jésus utilise d'ailleurs cet anthropomorphisme, au second degré, comme La Fontaine le fera aussi : Ils sont comme des loups déguisés en brebis dit-Il des faux prophètes, afin qu'on ne juge pas sur l'apparence, mais sur les fruits. Et s'Il nous compare aux brebis dont Il est le Pasteur, c'est que les ovins sont peureux et très dépendants de leurs bergers, contrairement aux caprins.
S'Il désigne effectivement le corbeau opportuniste, c'est pour nous inciter à faire confiance à la Providence. Il traite Hérode de renard, quand Il apprend le martyre de son cousin, car Il sait ce prédateur meurtrier.
Mieux observer les animaux dont Jésus parle (la candeur de l'agneau, le caractère rebelle des chèvres, la voracité du loup, la tendresse protectrice de la poule pour ses poussins etc.) nous aide d'abord à prendre la mesure de son incarnation, et ensuite à mieux comprendre son enseignement. Savoir qu'en se rapprochant de la nature, on comprend plus finement la Bonne Nouvelle, c'est, pour moi, gagner sur les deux tableaux ! Finalement, pour répondre à votre question, j'insisterai davantage sur la magnifique diversité que sur l'inégalité.
Nnous sommes des animaux, mais on n'est pas des bêtes , a écrit le philosophe Jean-Marie Meyer [1]. L'homme a-t-il sa place dans la "SPA" de l'écologie moderne ?
Étant passionné de nature depuis ma plus tendre enfance, sans avoir eu l'idée de déifier l'animal, j'avoue avoir été un peu surpris par quelques questions des journalistes qui m'ont involontairement confirmé que ce travail de Jean-Marie Meyer est essentiel. Car, pour un peu, certains me demandent s'il est juste de faire aux animaux ce que nous n'aimerions pas qu'ils nous fassent. Par exemple les mettre en barquettes ou se chausser de leur cuir...
Je crois que tout se passe comme si l'homme, quand il a oublié Dieu, se croyait soudain ravalé au rang de bête, au point de se culpabiliser davantage du meurtre accidentel d'une ourse pyrénéenne par un chasseur que de la mort de faim de millions d'hommes. Certains vont jusqu'à affirmer que les hommes devraient restreindre leur population pour laisser la place aux autres espèces animales !
Il faut lire la position très équilibrée que propose le Catéchisme de l'Église catholique sur les animaux (n. 2416 à 2418) : leur utilisation est légitime, sans cruauté gratuite mais avec bienveillance , à cause de la dignité... humaine (et non pas animale) ! L'homme urbain a peut-être oublié ce que les paysans savent parfaitement : aucune raison d'accorder à l'animal un statut humain , de s'y attacher comme à une personne. Même si nous pouvons être attendri par un animal familier, et l'aimer d'une façon adaptée à son statut de bête. Attention d'ailleurs ! En traitant l'animal comme une personne, nous légitimons l'euthanasie. Cette mort administrée est parfaitement appropriée pour un cheval blessé, pas pour un être humain.
C'est pourquoi la juste écologie doit effectivement rester ancrée dans une perspective humaine. La première des écologies devrait préserver l'espèce humaine des manipulations génétiques qui, sous couvert de bioéthique, risquent de la dénaturer. Je pense en particulier aux chimères homme-animal déjà fabriquées légalement en Grande-Bretagne... C'est finalement pour les générations futures, et aucunement pour la déesse terre, qu'on doit préserver, dans la mesure du possible, la biodiversité. Sans excès de conservatisme nostalgique, car on finirait par pleurer les dinosaures ! Si la charité nous incite à protéger la nature, ce n'est pas par faveur pour les éléphants, mais par égard pour nos descendants.
Animaux dans l'Évangile
Par Tugdual Derville
Illustrations de Didier Tiphaine
Préface du cardinal Philippe Barbarin
Ecclésia, novembre 2010, 91 pages, 195x195,19 €
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[1] Jean-Marie Meyer, Nous sommes des animaux mais on n'est pas des bêtes, Entretien avec Patrick de Plunkett, Presses de la renaissance, 2007.
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