CLINTON LA GUERRE

Si beaucoup d'observateurs s’alarment des foucades apparemment hasardeuses de Donald Trump et  redoutent  son accession à la présidence des Etats-Unis, il y a de quoi être au moins aussi inquiet de celle de Hillary Clinton.

Certains vont jusqu'à dire que l’élection de la sénatrice de New York nous entraînerait dans une  guerre mondiale.

Dire que l'ancienne première dame, puis secrétaire d'Etat est, selon la terminologie américaine, un faucon (hawk) est faible. Il n'y a pas eu de crise  au cours des  dernières années où elle n'ait pris le parti de la guerre avec une particulière frénésie. Elle a toujours été, comme disent  les  Américains,  du côté des  warmongers.

Toujours du côté de la guerre 

Passons vite sur les entreprises militaires de son  mari -Bill Clinton- indirectes comme l'invasion  du  Rwanda (1994) par ses protégés, cause première de tragédies en chaîne,  ou  directes  comme la guerre de Yougoslavie (1999). De ces entreprises, Hillary n'est pas formellement responsable quoiqu'elle se soit vantée d'avoir poussé le président, qui hésitait,  à bombarder la  Yougoslavie.  Passée dans l'opposition et élue au Sénat, elle a voté pour  les expéditions militaires lancées  par  George Bush Jr en Afghanistan  et  en  Irak.

Secrétaire d'Etat de 2009 à 2013, elle a été une enthousiaste des printemps arabes, dont elle ne pouvait ignorer que les services secrets américains s'étaient évertués, sinon à les déclencher, du moins à les attiser, ni que les révoltés étaient presque tous islamistes. Elle a eu l'initiative, sous Obama,  de la malheureuse  expédition en Libye dont on sait combien les effets ont été catastrophiques,  et des  manœuvres  pour renverser le président Assad en Syrie, à l'origine d'une guerre qui a déjà fait 250 000 morts. Quoique de manière occulte,  les Etats-Unis  ont soutenu  le développement du  radicalisme islamique en Syrie et en Irak  qui a abouti  à  l'émergence de Daesh et donc  encouragé  les réseaux  terroristes.

Au  total, Mme Clinton s'est trouvée  directement  impliquée dans les manœuvres qui ont plongé dans la guerre civile trois pays : Lybie, Yemen, Syrie,  et qui s'ajoutent à deux autres qu'avait opéré son prédécesseur avec son approbation, l'Afghanistan  et la l'Irak  soit cinq pays  toujours en guerre. Ont été en outre ruinés l'Égypte et la Tunisie. Ca fait beaucoup pour une seule femme.

Les relations de la secrétaire d'Etat  avec les présidents Morsi et Erdogan,   tous  deux frères musulmans, furent particulièrement étroites et elle ne cache guère aujourd'hui qu'elle verrait d'un bon œil le renversement du régime du maréchal Sissi en Égypte qui pourtant a stabilisé le pays et ramené  la tolérance entre  les communautés religieuses. On peut craindre que, si elle était élue présidente, elle ne cherche à nouveau à répandre la démocratie par la force dans le monde arabe avec l'effet presque assuré de  ramener au pouvoir les islamistes. Compte tenu de  la situation incertaine qui est aujourd'hui celle de l'Algérie, dont le président est à l'agonie, on peut redouter qu'une telle politique y ait des effets gravement déstabilisants où la France serait en première ligne. 

Le rapprochement des Etats-Unis avec l'Iran et Cuba a été opéré par Barack Obama avec son successur John Kerry. Tout laisse penser qu’elle n'y était pas favorable.

Son agressivité face à  la Russie ne fait pas de doute  non plus. Bill Clinton avait favorisé l'extension de l'OTAN à l'Est de l'Europe contraire aux engagements pris  en 1989 par Bush père à l'égard de Gorbatchev, dans le but d'encercler au plus près la Russie. Une politique que George Kennan, vétéran de la guerre froide, avait qualifiée de "tragique erreur". Hillary Clinton a soutenu le travail de sape antirusse opéré par les ONG américaines (au premier chef la Fondation Soros) en Ukraine.  Leur l'aboutissement  fut le coup d'état de la place Maidan en 2013,  fomenté  par sa protégée Victoria Nuland, femme de Robert Kagan, l'idéologue néo-con qu'elle avait chargée auprès d'elle des affaires européennes. Elle est allée jusqu'à comparer Poutine à Hitler, ce qui  n'a pas peu contribué au retour de la guerre froide.

Lors d'une récente soirée de fund-raising, elle s'est laissée aller à déclarer que si Israël devait tuer encore  200 000 habitants de Gaza pour avoir la paix, elle l'y aiderait. Devant le tollé soulevé, elle a déclaré ensuite qu'elle voulait dire 20 000,  ce qui n'est déjà pas si mal.

De fait, rien ne sépare sur le plan de la politique internationale Hillary Clinton de positions du clan néoconservateur qui avait déjà sévi sous  Bush et qui est animé d'une double conviction : 1) que tout est rapport de forces et que dès lors que deux puissances comme les Etats-Unis et la Russie se font face, il faut que l'une élimine l'autre, 2) que les Etats-Unis ont la mission  de répandre par les armes la démocratie libérale et le marché dans le monde,  fut-ce au prix de la destruction des États, comme cela a été le cas en Irak, en Libye et au Yemen ou comme on a  tenté de le faire jusqu'à l'intervention russe en Syrie.

Dans  un tel schéma, l'Europe occidentale a pour les gens  de cette école,  peu de place. Ils la tiennent pour décadente : elle est face aux Etats-Unis, comme Vénus face à Mars[1].   De plus en plus intégrée à  l'OTAN, elle a vocation  à obéir sans sourciller aux directives des Etats-Unis. Ceux qui, dans les différents pays,  ne seraient pas sur cette ligne sont  éliminés.

Nous avons évoqué les idées d’Hillary Clinton. Il faudrait considérer aussi son caractère, de plus en plus colérique et imprévisible.

Remise en cause des clivages traditionnels

Face aux positions de Hillary Clinton, celles  de  Donald Trump en  politique internationale apparaissent étonnamment modérées : il considère que l'invasion de l'Irak  en 2003  fut une grave erreur, il  prône une politique de détente avec la Russie de Poutine, il souhaite un certain désengagement des Etats-Unis dans le monde : c'est dans cette perspective qu'il faut comprendre sa proposition  que le Japon  se défende  lui-même,   y compris  en se dotant de  l'arme nucléaire.  Affirmation contestée par tous ceux qui craignent à juste titre  la prolifération mais les Etats-Unis ont-ils vocation  à s'interposer entre les deux géants que sont la Chine et le Japon?

L'opinion de Clinton est celle de la bulle washingtonienne où spéculent en circuit fermé, géopoliticiens de haut vol, agents des services,  militaires,  industriels de l'armement, financiers, lobbies, think tanks, journalistes, s'excitant  les uns les autres dans  une   vision obsidionale et paranoïde du reste du monde. Trump, prétend, lui, représenter le peuple américain, de plus  en plus conscient du coût exorbitant de la politique étrangère américaine.

L'opposition Trump-Clinton ne recoupe donc pas les oppositions traditionnelles où les Républicains  apparaissent comme les faucons et les Démocrates comme les colombes.  C'est que, aux  Etats-Unis comme en France, une mutation de la vie politique est en cours, qui périme les clivages traditionnels.

Le 28 mai 1952, le parti communiste défilait à Paris contre  la  venue du commandant  en chef de l'OTAN qu'il appelait "Ridgway la guerre". Slogan alors douteux, mais, par contre l'expression "Hilary Clinton la guerre" pourrait, elle, être  aujourd'hui  fondée.

En tous les cas, après la  période ambigüe mais globalement modérée du second mandat d’Obama, on peut se demander si, dans un monde éminemment  instable,  l'élection d'une idéologue comme Hillary Clinton  ne représenterait    pas une menace sérieuse pour la paix du monde. 

 

Roland HUREAUX

 

[1] Robert Kagan, La puissance et la faiblesse, Hachette-Littératures, 2006