L'urologie est une discipline honnête qui ne prédispose pas forcément ses experts à devenir des Che Guevara de laboratoire. Et quand le Pr. Bernard Debré nous fait prendre des vessies pour des lanternes, on ne marche pas.
Son dernier livre, La Revanche du serpent ou la Fin de l'homo sapiens (Le Cherche midi) est une apologie de la transgression. Nous y sommes priés de croire qu'il existe un eugénisme "gentil", dit de liberté, et que le clonage serait l'avenir de l'humanité. Mais pour nous faire accepter pareils outrages, il eut fallu que l'auteur déployât des moyens de persuasion hardis. Au lieu de cela, il convoque le surnaturel à tout bout de champ, ce qui n'est pas très révolutionnaire. Et, en titillant sans arrêt la fibre émotionnelle, sans s'adresser à la raison, il sous-estime le lecteur, ce qui risque de l'agacer.
Au commencement, "la Science" planait sur les eaux, divinité omnipotente, infiniment bonne et infiniment aimable, autour de laquelle M. Debré tricote un catéchisme sur mesure : "Nous savons bien que rien, jamais, n'arrête la science. Aucune religion, aucun interdit laïc, aucune menace judiciaire même, ne sont encore parvenus à endiguer le torrent de la connaissance quand celui-ci déborde du lit où les lois humaines ont cru pouvoir le contenir."
Cette confusion grandiloquente entre la connaissance scientifique et l'usage qu'on peut (ou qu'on doit) en faire conduit malheureusement M. Debré à confesser un scientisme assez primaire : "La science existe, progresse, s'impose. Un point c'est tout [...]. Refuser la réalité scientifique est aussi stupide que de vouloir la maîtriser : elle s'exerce et l'homme ne peut que s'y adapter." On peine à partager son engouement pour la Chine populaire et la Turquie qu'il érige en modèles exemplaires d'absence totale de scrupule dans la transgression scientifique.
Mais le grand prêtre du scientisme ne s'arrête pas en si bon chemin. Il appelle à la rescousse tout un panthéon syncrétique qui serait totalement déplacé s'il ne nous permettait pas de rafraîchir nos souvenirs scolaires sur l'antiquité. Il faut donc applaudir Isis et Osiris dans la procréation post mortem, Cronos et Aphrodite dans la fécondation artificielle, Zeus et Athéna dans le clonage, avant de crouler sous un feu d'artifice académique de plusieurs pages où tous les accouplements et engendrements mythologiques sont passés au peigne fin... comme si cet exercice d'érudition constituait le moindre début d'argumentaire scientifique.
Transgression
Au milieu de ce bric à brac, M. Debré ne nous épargne pas son interprétation personnelle de la Genèse. On y apprend que la transgression est bonne pour la santé de l'homme. La preuve irréfragable étant le vieux Noé, promu au rang de père de l'eugénisme parce qu'il n'embarque dans l'arche qu'un seul couple de chaque espèce ! Il fallait y penser. On n'échappe pas non plus à un couplet – moins élégant — sur le dogme de l'Immaculée Conception traité sur le même plan que l'engendrement de Bouddha par une femme transpercée d'une défense d'éléphant...
L'auteur se précipitant comme un enfant vers chaque flaque d'eau pour y patauger, on n'est plus surpris de la dizaine de pages où il se délecte de l'animation tardive de l'embryon selon saint Thomas, aboutissant à la conclusion que "l'Église du Moyen Âge apparaît nettement plus ouverte – et disons-le, plus moderne – que certains théologiens de notre XXIe siècle !" Pas de chance, pour une fois que l'Église du Moyen Âge retrouve grâce aux yeux d'un contemporain, c'est pour lui faire dire le contraire de ce qu'elle n'a jamais cessé d'enseigner... Il ne vient visiblement pas à l'esprit de Bernard Debré que les connaissances médiévales en embryologie, n'étaient pas tout à fait les nôtres, ni surtout que saint Thomas et l'Église n'en ont jamais tiré aucune conclusion favorable à l'avortement. Car il faut tout de même une certaine inconscience pour oser écrire que "nulle part, dans les textes sacrés des juifs et des chrétiens, l'avortement n'est assimilé à un meurtre", alors que les plus beaux hommages rendus à l'être humain dès le sein maternel se trouvent dans ces textes.
Mais, non content d'avoir cru élever l'âme du lecteur par ses vaticinations spirituelles, le Pr. Debré s'emploie ensuite à vouloir le convaincre en suscitant, à bon compte, son émotion. Et là, ce n'est plus de la littérature, c'est du théâtre de marionnettes. À peine a-t-on ouvert le livre que déjà, dès les premières lignes, il est tenu pour certain que l'espoir le plus fort se trouve du côté du clonage "grâce à la possibilité désormais acquise d'utiliser des cellules souches pour recréer des organes entiers, exempts de toute malformation". Vous avez lu comme moi. Il s'agirait bien d'organes entiers recréés à partir de cellules embryonnaires ! Et l'auteur de déplorer, en conséquence, la destruction inutile de milliers, voire de dizaines de milliers, d'embryons surnuméraires, en ces termes : "Imagine-t-on les vies qu'ils auraient pu sauver si la recherche avait pu en disposer plus tôt ? Celle-ci aurait vraisemblablement permis de constituer des banques d'organes de rechange."
Et voilà le lecteur en train de fantasmer sur des bocaux contenant des cœurs et des reins en conserve où il suffira d'aller piocher comme dans un bocal de cornichons... "Il aurait suffi (à l'insuffisant cardiaque ou au déficient rénal) de s'adresser à une banque d'organes qui aurait recherché parmi son fonds le myocarde ou le rein le plus compatible avec son ADN", écrit M. Debré. "Il aurait suffi !" Quelle démonstration apporte-t-il ? Fait-il référence à des publications ou à des publicités ? Ainsi ce spectacle qu'il qualifie "d'unique, merveilleux et émouvant" où il aurait assisté à la transformation de cellules embryonnaires en cellules de cœur "qui ne demandaient qu'à être injectées dans le cœur d'un malade pour remplacer ses cellules défaillantes ! Comment, dès lors, ne pas croire à l'avenir du clonage thérapeutique ?" Il est vrai que si ce sont les cellules elles-mêmes qui le demandent, alors "comment ne pas y croire" ?
Un embryon n'est pas un homme
À ceux qu'un soupçon de rationalité tenterait encore et qui s'interrogeraient, par hasard, sur l'être humain que constitue, qu'on le veuille ou non, tout embryon cloné ou pas, il répond d'un trait de plume : un embryon n'est pas un homme ! Il dit aimer ces "constats simplissimes" : l'homme n'existe pas en soi avant le quatorzième jour...
Il aime aussi les Chinois, on l'a vu, et n'hésite pas à leur emprunter – pour la bonne cause — de gracieux petits poèmes : "La protection des droits d'un être non humain au détriment de millions de malades ne favorise pas le progrès social." Fermez le ban. Sentant malgré tout la nécessité de colmater de possibles brèches du côté d'une éthique quelque peu malmenée par la déshumanisation de l'embryon, il s'autorise une percée conceptuelle fulgurante : puisque l'avortement est permis, donc l'embryon n'est rien. En effet, "pourquoi, si l'on peut, en toute légalité, supprimer un fœtus, ne pas autoriser les expériences jusqu'à cette date ?". Mais c'est vrai cela ! Dire que personne n'y a jamais pensé... Et comme on peut supprimer un fœtus jusqu'au jour de sa naissance, en toute légalité pour raison médicale, on va pouvoir autoriser tout plein d'expériences qui vont sauver tout plein de gens qui seront contents tout plein ! Que c'est simple et beau la science avec M. Debré !
Débarrassé – grâce aux Chinois — de ses scrupules, il peut enfin nous faire part du fond de sa pensée : "L'eugénisme est tout le contraire d'un cauchemar dès qu'il obéit aux lois de l'amour et de la prévention..." Et d'avertir, en conséquence, ceux qui auraient le malheur de ne pas souscrire à son eugénisme de liberté et de solidarité : "Je trouve honteux, pour ne pas dire criminel, de maintenir fermée la seule porte qui ouvre sur le clonage thérapeutique." Pas de liberté pour les ennemis de la liberté.
Cette logorrhée sur l'eugénisme ne porterait pas trop à conséquence si elle ne reposait sur l'hypocrisie sociale d'un prétendu consentement des victimes. Et comme on n'a encore jamais vu d'embryons refuser de se sacrifier pour participer à cet élan de générosité intergénérationnelle, M. Debré pense sans doute qu'ils sont consentants.
Il n'y a pas de risque à soutenir que le chef de service hospitalier vaut mieux que le livre qu'il a commis : un ouvrage prétentieux et pédant qui sonne faux du début à la fin, comme si son auteur se forçait à porter un vêtement très tendance, pour faire genre. M. Debré n'est pas un révolutionnaire de légende. Il n'y peut rien, personne ne lui en veut pour cela. Et cette frénésie vaporeuse à vouloir changer l'homme, à se prendre pour un prophète en annonçant une post humanité, dans le piétinement snob des valeurs de sa propre famille politique, tombe à plat. On a envie de dire à propos des thèses qu'il véhicule imprudemment : non, pas lui, pas comme ça, qu'il laisse tomber, ça ne lui va pas...
*Jean-Marie Le Méné est président de la Fondation Jérôme-Lejeune.
> La Revanche du serpent ou la fin de l'homo sapiens, Le Cherche-Midi, 174 p., 9,50 €
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