Plusieurs aspects originaux de la controverse éthique qui fait la une des médias méritent d'être soulignés.
Pour la première fois depuis longtemps, est ouvert un débat national sur un sujet de société.
Un vrai débat qui concerne tout le monde, qui est compréhensible par tout le monde et auquel tout le monde peut participer. Comment est-ce possible ? Parce que c'est un débat qui n'est ni scientifique, ni technique, ni financier, mais simplement éthique.
Notre société ne cesse de réclamer du débat. Elle en a un, enfin. Quant à l'éthique, elle est mise à toutes les sauces depuis la critique des OGM jusqu'à la lutte contre l'effet de serre, en passant par la sauvegarde des ours des Pyrénées. Ce serait tout de même un comble que le débat éthique sur le respect de la vie humaine soit le seul à ne pas avoir droit de cité.
Mais le débat est clos, dira-t-on, parce que la loi de bioéthique a été votée en 2004 et que la question est réglée. Étrange argument. D'abord, jamais un cadre législatif préétabli n'a empêché de réfléchir, de s'interroger, voire de remettre en cause ce qu'on croyait gravé dans le marbre. L'inquiétant serait plutôt la disparition du questionnement. Il n'est donc pas interdit de penser que ce que la loi autorise n'est pas parfait. Il est même permis d'affirmer que la prétention de réduire l'éthique à la loi est très rigoureusement une prétention totalitaire.
Ensuite, ce fameux débat sur la loi de bioéthique n'a jamais eu lieu. Souvenez-vous des propos du cardinal Philippe Barbarin regrettant que la loi de 2004 ait été votée dans un silence assourdissant . Il est donc extraordinaire que le débat dont la France a été privée en 2004 ait lieu aujourd'hui. Enfin, et surtout, la conscience est comme le brin d'herbe qui pousse tout de même entre les pavés. On pourra toujours accumuler des lois permissives, des avis insuffisants de comités suffisants, des agréments complaisants, des agences aux ordres. La conscience est ce regard d'enfant qui imperturbablement interrogera l'agir des hommes. Impossible d'interdire à la conscience d'être libre sans la tuer. Qui veut porter la main sur elle ?
Le rôle médiateur de l'Église
Il n'est pas banal non plus de rappeler que ce débat, qui se tient en dehors de l'espace politique traditionnel, a été rendu possible par le rôle médiateur de l'Église. L'Église est à l'évidence complètement dans sa mission quand elle éveille et forme les consciences. Elle n'intervient pas toujours dans le débat public. Mais quand elle le fait, c'est qu'il s'agit d'une question grave et ça porte ! Dans cette affaire, l'Église ne prêche pas pour sa paroisse. Il n'est pas question de dogme, ni de Révélation, ni de foi. L'Église rappelle seulement la nécessaire conformité de la loi civile avec la loi morale, pour le bien de l'homme. Sur ce point, les évêques qui se sont exprimés sont unanimes pour rappeler — même si l'expression de leur point de vue est variée — que la recherche scientifique ne peut pas se faire à n'importe quel prix et certainement pas au prix de la vie de l'embryon.
Certains s'étonnent de cette position de l'Église et évoquent une atteinte à la laïcité. Cela signifierait-il que rappeler l'exigence éthique est une atteinte à la laïcité ? Cela voudrait-il dire que l'exigence éthique de ne pas tuer, ni voler, ni mentir ne s'applique qu'aux croyants ? Mais se proclamer laïque ne signifie nullement qu'on a le droit de s'affranchir de l'exigence éthique.
On entend aussi que les chrétiens ne devraient pas imposer leur point de vue aux autres ! Mais pourquoi donc ? Telle est pourtant la définition commune de la démocratie : essayer de faire prévaloir, par des moyens dignes d'un État de droit, ce que l'on croît le meilleur pour l'homme. Ce débat de qualité, il faut le rappeler, tient également à la place que les médias ont bien voulu lui donner et à l'honnêteté du traitement de l'information sur le sujet.
À cet égard, il est intéressant de noter que la grande et légitime diversité des prises de position des uns ou des autres ne parvient pas à gommer la persistance d'un malaise de fond à l'égard de certaines pratiques qui sont promues depuis la loi de bioéthique. Ainsi Didier Sicard lui-même, président du Comité consultatif national d'éthique, est certes critique vis-à-vis de l'Église catholique mais il l'est encore bien plus vis-à-vis de l'excès des promesses thérapeutiques, de l'avenir des recherches en cours financées par les dons, du développement du diagnostic préimplantatoire et de l'instrumentalisation de l'embryon humain. Quant à l'hebdomadaire La Vie qui n'est pas spécialement connu pour son orientation intégriste, il relève que la logique du "donnez et taisez-vous" ne saurait tenir lieu de réponse et qu'il est pour le moins téméraire de "renvoyer les convictions au placard".
Sortir de la crise
Un débat unique, des voix autorisées... mais il faut tout de même sortir de la crise sans décourager la générosité, le bénévolat, l'effort des chercheurs, l'espoir des familles. Des pistes ont été ouvertes par une personnalité comme Jean-Christophe Parisot [1]. Celui-ci propose un fléchage des dons qui pourraient être orientés soit vers l'aide aux familles, soit vers la recherche. Mais cette solution n'a pas les faveurs du bénéficiaire des dons qui semble assimiler un peu hâtivement le fruit de la générosité du public à une sorte d'impôt...
En effet, aujourd'hui on peut lire que donner, c'est adhérer à un projet global , donner c'est être en accord avec nos missions et nos valeurs ... C'est dire si le débat est utile et s'il ne porte pas seulement sur 2 % des dons qui seraient affectés à des recherches contestées ! Plus prometteuse serait la voie tracée par Mgr Michel Dubost, évêque d'Évry, qui préconise une rencontre constructive entre ceux qui s'opposent pour essayer de se comprendre et de s'entendre. Et d'en conclure que si, après discussion, on ne réussissait pas à s'entendre, alors il serait normal de refuser de participer. Dans le même souci de cohérence, l'éditorialiste de La Vie demande tout simplement aux décideurs concernés de renoncer à financer la recherche sur l'embryon.
Terrorisme compassionnel
Après les 8 et 9 décembre prochains, une telle rencontre sera indispensable. Un seul préalable serait exigé : ne pas s'attribuer le monopole de la souffrance et de la manière de s'en sortir. Il y a bien des gens qui ont eu et perdu un frère ou une sœur touchée par le handicap. Bien des gens qui ont aussi rencontré des parents ayant vécu des drames. Bien des gens qui ont fait quelque chose pour les malades et contre la maladie.
Instrumentaliser la souffrance humaine pour disqualifier les contradicteurs en donnant à penser qu'ils n'ont pas de cœur, qu'ils refusent le progrès et qu'ils ne sont finalement que des polémistes incapables de dialogue, ce n'est ni plus ni moins que du terrorisme compassionnel. J'irai même plus loin. C'est jouer la charité contre la vérité. Appelons de nos vœux cette rencontre entre personnes de bonne volonté. Il y va de l'homme, du sens que l'on donne à sa vie et à sa mort, du soulagement de sa souffrance. Il y va aussi du droit à l'objection de conscience dans un État de droit et de la liberté de l'esprit.
*Jean-Marie Le Méné est président de la Fondation Jérôme-Lejeune
[1] Myoptathe et tétraplégique (Ndlr).
Pour en savoir plus :
■ Notre dossier Téléthon 2006, les catholiques s'interrogent
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