Petite philosophie du transhumanisme

Transhumanisme : il faut savoir de quoi on parle.

Selon les cas le débat sera très différent. Il y a d’abord un transhumanisme modéré, type « homme augmenté ». Mais tout homme utilisant un outil, montant sur un véhicule, regardant un télescope etc., est un homme augmenté. Cela ne remet donc pas en cause la conception métaphysique de l’homme. En un sens même cela la fonde : l’homme a pour propre d’être capable d’augmentation, parce qu’il est un esprit qui dans son opération échappe en partie aux contraintes de la matière. Un être humain qui par effet biologique ou prothèse technique verrait bien mieux, courrait plus vite, calculerait beaucoup plus vite etc. resterait dans ce champ. Nous avons déjà des gens plus intelligents, plus rapides, plus beaux etc. que d’autres. Sauf que désormais on pourra acheter cette augmentation, qui serait donc cumulative. Les plus riches auraient sans cesse plus de succès Cela ne changerait rien d’essentiel, mais poserait d’énormes problèmes sociaux. On s’offusque des inégalités, mais on n’a encore rien vu.

Mais poussée à son terme, la logique du transhumanisme va plus loin ; son objectif en fin de compte est une forme d’immortalité : un être post-humain qui ne serait plus dépendant de son corps biologique actuel. L’hypothèse sous-jacente est que par la technologie on puisse donner un support différent à ce qu’on appelle ailleurs l’âme d’une personne, donc qu’on puisse l’appréhender comme un programme informatique au sens large et la restituer sur une base physique ou biologique.

D’un point de vue philosophique cela donne à ces recherches une importance toute particulière. Ce transhumanisme radical est fondamentalement matérialiste. En regard, les conceptions spiritualistes au sens large disent que l’âme humaine n’est pas réductible à une réalité matérielle, physicochimique, biologique ou autre. L’immortalité de l’âme est alors intrinsèque à cette nature spirituelle. Même si pour le thomiste, l’âme est la forme du corps et lui est liée d’une façon irréductible - car c’est elle qui fait de ce corps ce qu’il est et que seul l’ensemble des deux est pleinement un être humain-, en soi c’est une réalité non matérielle, immortelle, éventuellement séparable du corps (ainsi avant le jugement dernier). Il est alors exclu qu’un procédé matériel (autre que la naissance ou la résurrection) puisse s’emparer de cette réalité, notamment afin de refabriquer un être dont elle serait la mémoire et la volonté.

Si donc les transhumanistes radicaux réussissaient leur opération, ce serait la preuve indiscutable que le matérialisme a raison et que les conceptions spirituelles sont fausses. En d’autres termes ce serait un cas exceptionnel où une réalisation scientifique trancherait de façon définitive un débat philosophique majeur. Le match est donc intéressant à suivre….

En outre dans l’ambition du transhumanisme la partie importante est ce ‘trans’. Mais transcender l’humain dans cette conception n’est que passer à la version 2.0 d’un « appareil » resté 1.0 pendant des millénaires, et qui resterait un simple dispositif technique. Ce qui veut donc dire qu’en réalité on ne transcenderait rien. Même si ça marchait. En outre, on pourrait espérer être immortel, mais ce ne serait toujours pas par nature, car la vulnérabilité de la amtière subsisterait : un programme ça s’efface – d’où la terrible angoisse qui hanterait ses bénéficiaires. La foi chrétienne elle vous dit que vous êtes ‘capax Dei’, capable de recevoir l’infini absolu de Dieu. On ne joue donc pas dans la même cour…

Pierre de Lauzun

L'Incorrect, 6 février 2018