Les francs-maçons français fêtent leur 275e anniversaire. Le président de la République, le Premier ministre, ont reçu en grande pompe les dignitaires des obédiences françaises. Le 23 juin, Jacques Chirac déploie le grand jeu devant "Mesdames et Messieurs les Grands Maîtres" : "En vous recevant toutes et tous, je souhaite vous témoigner le respect de la Nation pour ce que vous êtes et pour ce que vous faites".

Ce que vous êtes ? On l'apprend dans le Figaro du 19 juin qui consacre une page aux grands maîtres des principales obédiences françaises : les frères ne sont plus " l'Église de la République " (Michel Barat, Grande Loge de France), mais sa " boîte à outil " (Alain Bauer, Grand Orient). Ce que vous faites ? Les loges " facilitent l'émergence de lois libérales en matière de mœurs (contraception, avortement) et progressistes en matière de protection sociale (RMI) ". Quant à l'Europe et pour que nul n'en ignore, les maîtres à penser de la laïcité se félicitent du projet de préambule constitutionnel présenté par Valéry Giscard d'Estaing : " Nous ne sommes pas pour rien dans la rédaction du texte. "

On ne s'étonnera donc pas de la persistance de la " réprobation officielle du Vatican " à l'égard des francs-maçons, qui feignent de ne pas comprendre la résistance de l'Église à la tutelle obligatoire de l'empire laïque. Décryptage rediffuse le point de vue de Mgr Brincard, évêque du Puy-en-Velay, présenté en mars 2002 : " Nul ne peut servir deux maîtres. "

Catholique et franc-maçon : non à la double appartenance

[Décryptage, 8 mars 2002] - Interviewé par RCF-Le Puy et le service communication de son diocèse, l'évêque du Puy-en-Velay, Mgr Henri Brincard a rappelé de manière très nette et spécialement argumentée la position de l'Église à l'égard de la franc-maçonnerie. Peut-on être catholique et franc-maçon ? La réponse du prélat est sans ambiguïté : " Je réponds clairement : non ! "

" Bien conscient que ce [qu'il dit] ne plaît pas à tout le monde ", Mgr Brincard prend le soin de préciser qu'il s'exprime comme tous les évêques au nom de l'Église, agissant " en communion les uns avec les autres autour du "serviteur des serviteurs " qu'est le pape ", mais aussi en soulignant la constante attitude de l'Église vis-à-vis des non-croyants. Pour elle, en effet, " les hommes sont souvent bien meilleurs que les doctrines auxquelles ils adhèrent " et " il convient toujours de rejoindre le cœur profond de son interlocuteur ".

Le document de référence sur la question et le plus récent est celui de la Congrégation pour la doctrine de la foi, du 26 novembre 1983, signée par le cardinal Ratzinger. Moins connue, et tout aussi claire, on peut lire une déclaration de la conférence épiscopale allemande publiée en 1981 (in Documentation catholique n° 18O7) qui développe longuement l'incompatibilité fondamentale entre la doctrine de la maçonnerie et les enseignements de l'Évangile.

Mgr Brincard fait observer que les francs-maçons eux-mêmes admettent cette incompatibilité, comme l'a reconnu Paul Gourdeau, ancien grand maître du Grand Orient de France : " Ce qu'il est aujourd'hui important de comprendre, c'est que le combat qui se livre actuellement conditionne l'avenir, plus encore le devenir de la société. Il repose sur l'équilibre de deux cultures : l'une fondée sur l'Évangile et l'autre sur la tradition historique d'un humanisme républicain. Et ces deux cultures sont fondamentalement opposées : ou la vérité est révélée et intangible d'un Dieu à l'origine de toute chose ou elle trouve son fondement dans les constructions de l'Homme toujours remises en question parce que perfectibles à l'infini. De cette bataille perpétuelle recommencée avec vigueur depuis quelques temps, Malraux disait hier que le XXe siècle serait religieux ou ne serait pas. C'est à cette affirmation, c'est à ce défi qu'il nous appartient de répondre." (Humanisme, n° 193, octobre 1990).

Les points sur lesquels s'opposent l'Église catholique et la franc-maçonnerie sont principalement le relativisme doctrinal, le refus de l'idée de salut et le secret.

Le relativisme doctrinal prôné par la franc-maçonnerie, qui dépossède en quelque sorte le droit de l'homme d'être " possédé par la vérité " entraîne trois conséquences : 1/ " Pour le franc-maçon, "le grand architecte de l'univers" n'est pas un être au sens d'un Dieu personnel. C'est pourquoi, il suffit d'une "vive sensibilité religieuse" pour reconnaître son existence. Cette conception d'un Être suprême [...] rend vaine toute réponse de l'homme à Celui qui se révèle comme un Père plein d'amour et de miséricorde. "

2/ Lorsque chez certains francs-maçons, " une révélation divine est considérée comme acceptable, une telle révélation ne passe en aucun cas par un magistère ecclésial. Elle est livrée à l'appréciation subjective de chacun. Il faut surtout souligner que la franc-maçonnerie verse dans un rationalisme typique du "siècle des Lumières". Un tel rationalisme est une infirmité intellectuelle. En effet, quiconque cherche la vérité, l'aime pour elle-même, sans jamais prétendre qu'elle provient de la seule raison humaine. "

3/ " La franc-maçonnerie n'admet aucune morale objective et donc universelle. Selon un franc-maçon que je cite : "La morale est essentiellement contingente. Elle évolue." "

Le refus de toute idée de salut condamne toute espèce de délivrance communiquée en Jésus, puisque l'homme ne se construit que par lui-même. " L'opposition farouche de la maçonnerie au salut apporté en Jésus Christ, explique Mgr Brincard, fait penser à cette réflexion d'un grand écrivain de notre temps : "Le plus impressionnant aujourd'hui n'est pas que l'homme fasse le mal, c'est-à-dire se détruise et détruise les autres. Le plus effrayant est que l'homme veuille se passer de Dieu pour faire le bien." Pierre Simon, ancien grand maître de la Grande loge, le dit à sa manière : " L'homme est le point de départ de tout chose et de toute connaissance, il est sa propre référence. Seul aujourd'hui, il peut dire ce qui est bon pour l'homme." "

Le secret maçonnique n'a jamais été accepté par l'Église, parce qu'il " porte gravement atteinte à la dignité de la personne humaine " dans la mesure où " il empêche l'homme de s'engager consciemment et librement ". L'évêque du Puy précise qu'" il existe un secret spécial, fruit d'une initiation aux formes douteuses. L'initiation est censée conduire à une révélation intérieure illuminant celui qui en est l'objet au fur et à mesure qu'il avance sur la voie de la connaissance ". La maçonnerie, organisée comme une " superposition de loges secrètes " est " une gnose "au nom menteur" (saint Irénée) avec une dimension occultiste très inquiétante ".

À la question : " Quelle attitude avoir à l'égard des francs-maçons ? ", Mgr Brincard répond par un appel au courage, à la clairvoyance et à une vie personnelle toujours plus fondée sur Jésus-Christ.

" Ma réponse est celle-ci : la franc-maçonnerie constitue un défi qu'il faut relever sereinement et courageusement. Certes, il ne faut pas exagérer l'influence de la franc-maçonnerie ; il ne faut pas, non plus, la sous-estimer. L'attitude d'un catholique agissant en cohérence avec sa foi, doit, me semble-t-il, être la suivante : d'abord la clairvoyance. Cela signifie connaître avec exactitude les véritables objectifs que poursuit la franc-maçonnerie. Ensuite, le désir d'approfondir sans cesse la foi chrétienne. L'ignorance est le grand ennemi de la foi. Enfin, la résolution de suivre de plus en plus fidèlement Jésus Christ. L'exemple est plus convaincant que la seule parole. Et voici le mot de la fin : notre vraie force est de prendre appui sur Jésus Christ. Lui seul peut changer les cœurs. C'est pourquoi, autant il faut combattre la franc-maçonnerie en rappelant qu'elle est une forme particulièrement nocive de "gnose", autant il faut poser sur les francs-maçons un regard d'espérance, regard né d'une authentique charité, car " rien n'est impossible à Dieu " ! "

On peut lire la réflexion complète de Mgr Henri Brincard sur le site Internet du diocèse du Puy-en-Velay.

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