Source [Constance Prazel pour l'Incorrect] Nous avons testé pour vous le nouveau téléfilm français sur les jeunes années de Voltaire, dont le premier épisode était diffusé lundi 8 février sur France 2. Il n’est malheureusement pas certain que nous ayons le courage d’aller jusqu’au bout des quatre épisodes : la conscience professionnelle a des limites…
Comme le veut l’adage, le pire n’est jamais décevant. L’une des toutes premières images que nous offre la série est donc un gros plan sur la naissance du génie, façon Origine du monde de Gustave Courbet, en gros plan et en haute définition, histoire de planter le décor. Autant vous le dire : si vous aviez l’intention de regarder la série avec l’un de vos enfants pour l’éveiller à la littérature du XVIIIème siècle, ce n’est pas une très bonne idée.
L’objectif n’est pas de faire un « biopic » exhaustif, mais de se pencher sur les années d’éclosion du génie : comment François Marie Arouet est devenu Voltaire. C’est un exercice courant, qui peut donner lieu à des choses intéressantes : il y a déjà eu en l’espèce comment Gabrielle Chanel est devenue Coco, ou comment Edmond est devenu Rostand.
Ici, l’approche par la jeunesse fournit l’occasion rêvée de nous déballer les poncifs habituels sur le caractère obscur et sclérosé de l’éducation d’Ancien Régime, avant l’installation du courant électrique par les philosophes des Lumières. Les scénaristes n’essaient même pas d’innover en la matière. On insiste lourdement : l’éducation jésuite est là pour « limiter », brider les aspirations. Le prêtre qui surveille l’internat de Louis-le-Grand a évidemment des pulsions pédophiles. Dans les couloirs de l’institution, c’est forcément le noble blondinet tête à claques qui va s’acharner sur le pauvre gars du peuple, offrant sur un plateau au jeune Arouet l’occasion de prendre conscience de l’injustice du monde. Le grand frère est forcément obtus, le père dépassé. Il y a ce qu’il faut de bruits de couloir et de regards torves pour qu’on soit bien convaincu qu’on est au XVIIIe.
La photo et la lumière ne sont pas désagréables, l’architecture classique exerce par elle-même un charme si puissant qu’on ne peut rester totalement de marbre devant les panneaux lambrissés, la pierre blonde sculptée, les volutes de fer forgé des cages d’escalier qu’arpentent les héros du téléfilm. Mais c’est bien tout. Quel dommage que l’énergie de Thomas Solivéres, qui avait justement excellé dans le rôle d’Edmond, se trouve ainsi gâchée dans un opus qui sonne terriblement faux.
Le problème est profond et ne tient pas qu’à la maladresse du scénariste ou de la réalisation. Ce qui transpire dans Les Aventures du jeune Voltaire, c’est l’incapacité totale des acteurs comme de l’équipe à éprouver une quelconque empathie pour leurs personnages et pour l’état d’esprit d’un autre siècle. De ce fait, on a perpétuellement l’impression de voir des gars de 2021 parachutés dans un monde qu’ils ne comprennent pas et qui ne les passionnent pas le moins du monde. Une grande œuvre tient à la proximité intime de son créateur avec son sujet… Ici, la distance est abyssale et chaque réplique sonne creux : comment bien jouer lorsque l’on ne croit pas au monde que l’on tente de représenter ? Cela s’explique sans mal par l’obsession originelle des scénaristes : montrer que Voltaire est un homme « de notre temps », un type résolument moderne parachuté dans une époque de dégénérés.
Le contresens de départ vicie tout le projet : le scénariste Georges-Marie Benamou veut dépeindre un « Voltaire rocker », ce sont ses termes. Un Voltaire rebelle. Benamou poursuit : « C’est un jeune homme d’aujourd’hui, mais dans un monde d’hier, un monde où les classes sociales sont incroyablement cloisonnées, où la pesanteur religieuse est incroyablement lourde. » Nous pouvons apprécier la finesse de l’interprétation historique.
Faisons donc confiance à M. Benamou : Voltaire est résolument moderne et il s’agit de montrer que c’est le cas, dès ses plus jeunes années. Un biais commode et paresseux, une fausse innovation. L’objectif est de dépoussiérer, mais rien n’est plus daté.
Au-delà des jeunes années de Voltaire, il serait pourtant ô combien passionnant de montrer les travers d’un homme tout pétri de sa supériorité, et qui, loin d’être le défenseur d’une tolérance de supermarché qu’on nous dépeint en cours de littérature pour avoir la moyenne au bac de français, a consciencieusement coché toutes les cases de ce que notre temps devrait haïr. A bien des égards, Voltaire, au contraire, est furieusement de son temps. Voltaire misogyne, lui qui écrit dans Le Sottisier que « Les femmes ressemblent aux girouettes, elles se fixent quand elles se rouillent. » Voltaire bien sûr antisémite, affirmant dans son Dictionnaire philosophique parler des juifs à regret, « cette nation étant, à bien des égards, la plus détestable qui ait jamais souillé la terre. » Voltaire raciste, classifiant avec délicatesse « les Blancs comme supérieurs aux Nègres, comme les Nègres le sont aux singes, et comme les singes le sont aux huîtres. » (Traité de Métaphysique). Voltaire qui préfère larguer les arpents de neige du Canada plutôt que de renoncer aux richesses des îles à sucre alimentées par l’esclavage, dont il tire un profit rondelet, bien commode pour agrémenter son quotidien à Ferney. Voltaire furieusement élitiste, qui estime que « ce peuple ressemble à des bœufs, à qui il faut un aiguillon, un joug, et du foin. » (Correspondance, 1765).
Ce Voltaire-là n’est pas cinégénique. Il gratte trop. On aime à chanter les gloires du Voltaire de l’affaire Calas, mais qui lit encore le Voltaire admirateur de l’autocrate Pierre le Grand ou du chef de guerre Charles XII ? Aujourd’hui, les éditions de son Dictionnaire philosophique que l’on met entre les mains des ados sont soigneusement expurgées de tout ce qui pourrait fâcher.
Vous me direz que tel n’était pas l’objet de la série, qui préfère se pencher sur les jeunes années du grand homme. Elle fait confiance à la fougue de la jeunesse, et ne s’engage pas sur l’avenir. Soit. Mais avec comme postulat de départ que Voltaire est un homme de notre temps perdu dans une époque qui ne le méritait pas, vous avouerez que l’affaire est tout de même mal engagée. Tout cela est bien triste : il y a tant de grandeurs et de misères à chanter avec souffle dans notre histoire, toujours plus caricaturée. La France se condamne à des reconstitutions de bas étage – non pas des films ou des séries historiques, mais bien de médiocres épisodes en costume, car elle ne veut plus comprendre le monde du passé, de son passé. Elle le méprise et le regarde avec condescendance. La haine de soi ne peut guère donner naissance à des chefs d’œuvre.
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