Source [Pierre de Lauzun] Par certains côtés les élections européennes sont un nouveau tremblement de terre dans le paysage politique français. Et de fait au-delà de l’anecdote (car des élections, surtout européennes, sont des événements aléatoires et par là anecdotiques) elles sont porteuses de leçons durables et importantes, notamment pour ceux qu’on appelle conservateurs, et la droite en général. L’échec est manifeste, mais n’a rien pour surprendre, ni pour décourager.
Péripéties partisanes
Le fait majeur est évidemment le glissement de LREM, le parti macronien de la République En Marche, ou plutôt de sa base électorale, de la gauche vers la droite. Stable en pourcentage par rapport au premier tour des présidentielles de 2017, il a en réalité mangé une bonne part de l’électorat de Fillon, mais perdu de l’autre côté, notamment au profit des écologistes. Résultat : les Républicains, écrasés entre cette poussée et le RN stable, s’effondrent à un plus bas historique et sont en crise ouverte. Et à gauche si la division continue à régner, le total de la gauche de gouvernement est de 23 % ce qui n’est pas si mal – sauf que désormais les écologistes sont en tête. Parallèlement les Insoumis se sont effondrés aussi, ce qui signe l’échec de Mélenchon.
La bipolarité entre LREM et RN fonctionne donc bien. Mais avec de réelles limites. D’abord le RN ex-FN ne progresse pas vraiment, et paraît incapable de rassembler au-delà de son bastion, lequel lui assure un niveau appréciable qui le met en tête, mais qui est en soi bas pour un parti qui se voudrait leader. Ensuite LREM ayant vu sa base glisser est tout sauf stabilisé. Il se confirme que l’habileté tactique (et la chance) de son mentor est efficace pour le mettre en position stratégique, mais pas pour susciter une vrai adhésion ni pour arrondir son noyau dur de vrais fidèles. Et il se confirme aussi qu’il est difficile de manger à la fois sur la droite et sur la gauche. La probabilité est cependant que la droite ait sa priorité. Ce qui veut dire en clair que LREM devient le parti de l’ordre, quoique d’un ordre ‘progressiste’, en sus d’être le parti de l’économie libérale et de l’Europe. C’est peut-être sur cette position qu’il peut se stabiliser ; en témoigne le vote massif des retraités en sa faveur, autrefois noyau dur des Républicains. Incidemment, Macron doit une fière chandelle aux Gilets Jaunes, qui l’ont inscrit comme chef du parti de l’ordre, tout en l’obligeant à rectifier, en partie mais suffisamment, quelques-unes de ses plus grosses bêtises (avec les retraités justement).
Cela libère de la place à gauche, et les écologistes en profitent ; pas idéal mais moindre mal pour Macron, car ce sont des opposants avec qui il peut traiter ; en outre dans le passé ils n’ont pas été très concluants comme chefs de file, car trop instables. Ils bénéficient en effet de l’intérêt public pour l’écologie, mais sont avant tout une variante bobo de la gauche de gouvernement, simplement un peu plus spécialisée sur ce thème.
Ce qui veut dire que la place pour la droite non macronienne est très étroite. L’interprétation des ténors opposants à Wauquiez est sur ce plan fausse : les électeurs qui ont fui LR n’ont pas été rebutés par une position dite ‘conservatrice’ (au sens fort du terme) ; ils ont voté pour le parti de l’ordre, qui n’est plus LR mais LREM. D’ailleurs les sondages de janvier donnaient à LR le score qu’il a eu. Bien entendu, les personnalités ont beaucoup joué : à ce stade, Wauquiez n’est pas un leader ou un rassembleur, et il passe très mal. Bellamy a été apprécié personnellement mais est encore moins un leader politique. En outre et surtout, au-delà de ces défauts personnels, leur ligne manquait terriblement de clarté : elle était loin de marquer une rupture conservatrice (encore moins un alignement sur le RN comme le racontent certains farceurs à LR) - ce qui aurait supposé une attitude très différente de rupture avec le modèle passé de l’UMP et des Républicains, notamment dans leur vote à Bruxelles, jusqu’ici totalement ligné sur le PPE et conformiste.
Si cette analyse se confirme, il n’y a pas de place pour la ligne de retour à une sorte d’UMP, ce que recommandent au fond les ténors LR en révolte, de Larcher à Pécresse et Bertrand, car les lecteurs préféreront alors la réalité LREM à la copie vieillotte qu’ils proposeront. Sauf à constituer un groupe proche de Macron, façon ‘Agir’, mais en subordination de fait, et en liant leur sort au sien, au moins pour un temps (notamment en vue des municipales). Mais la seule option qui reste pour les vrais conservateurs est aussi une voie étroite : un socle de voix qui n’a plus rien à voir avec LR, et signifie donc une grande faiblesse aux législatives ; donc une traversée du désert éprouvante et la recherche d’un vrai leader. On comprend donc les vieux caciques ; mais on l’a dit cela ne leur donne pas de voie de salut autre que comme supplétifs d’En Marche.
Quant à RN il garde sa force comme on l’a dit, mais reste figé. Le rôle de Marine Le Pen, leader héréditaire actuel, y est pour beaucoup. Son style, ses méthodes, son parti-pris de médiocrité ne lui permettent pas de rassembler au-delà des fidèles et de constituer une force de gouvernement crédible. D’autant qu’en conséquence son programme reste hétéroclite, l’étatisme socialisant de sa position économique étant notamment rédhibitoire pour les électeurs de droite, tandis que ses positions politiques sur les migrants le rendent inacceptable à gauche.
Conclusion : il n’est d’abord pas étonnant que les commentateurs voient ici une victoire pour E. Macron. Mais une victoire fragile, car elle n’est due qu’à l’habilité de la manœuvre. L’adhésion reste très basse dans le pays, qui n’a jamais été aussi peu rassemblé depuis 1958. D’où le risque permanent de claquage, soit par révolte comme ce fut le cas pour les Gilets jaunes, soit par mauvaise gestion d’un événement, soit par émergence d’un leader crédible. Sa réélection en 2022, très probable au vu de la situation actuelle, reste donc aléatoire.
Deuxième conclusion : l’effondrement électoral apparent des idées ‘conservatrices’. Le précédent parti de l’ordre (UMP puis LR) ne les respectait pas beaucoup mais un peu parfois (avec des velléités de parier là-dessus sous Sarkozy) ; le nouveau (LREM) s’en moque, notamment en termes de mœurs, et sa matrice est progressiste. Naturellement cet effondrement du relais politique des conservateurs ne signifie rien en profondeur ; mais cela douche les espoirs naïfs de beaucoup, à la suite de la Manif pour tous et de Fillon. En avant pour PMA, GPA, euthanasie etc…
Leçon substantielle
Je me tourne maintenant vers ces lecteurs qui comme moi s’attachent au désir d’un renouveau de notre pays, enfin fidèle à son immense héritage et assumant avec courage le changement en profondeur qui s’impose. Ce que beaucoup ont espéré de ce qui paraissait être une frémissement de la pensée conservatrice, voire un glissement à droite de l’opinion. Comme on le constate, on en est loin.
Le vote des catholiques pratiquants à ces européennes en a douché plus d’un. Et de fait il est symptomatique, si on peut se fier à des sondages pas faciles à faire (vu le petit nombre). Désertant la droite ancienne des LR pour qui ils votaient en masse, ils ne sont allés de façon appréciable ni vers les Verts (malgré Laudato Si), ni vers le reste de la gauche (le progressisme chrétien paraît bien mourant), ni vers Mme Le Pen (qui reste anathème). Mais en nette majorité vers Emmanuel Marcon et son LREM. Malgré son positionnement progressiste. Non pas le parti du portefeuille comme certains le disent (car ces électeurs n’ont dans leur grande majorité pas profité de mesures comme l’ISF), mais à nouveau le parti de l’ordre et de l’Europe. Comme les retraités (qu’ils sont d’ailleurs souvent). Ce qui veut dire tout simplement d’une part que ces personnes ne sont pas pénétrées d’un pensée classique ou conservatrice leur servant de boussole : elles peuvent se mobiliser en ce sens, comme avec la Manif pour tous, mais repartir ailleurs en fonction d’autres intérêts et priorités – que dans la perspective du combat électoral on a toujours grand tort de négliger. L’économie par exemple. Cela signifie d’autre part que le combat pour un changement réel est loin d’être facile et à issue rapide.
J’évoque la question en profondeur dans un livre qui vient de paraître, juste avant ces élections : Pour un grand retournement politique. Je l’évoque dans http://www.pierredelauzun.com/POUR-.... J’y montre justement la profondeur du changement à opérer, qui pour être vraiment substantiel doit se faire dans le sens d’un retour à la pensée classique (dont le conservatisme au bon sens du terme est un dérivé adaptatif). Il ne s’agit en effet pas de simples rapports de force entre des idées ou des équipes, mais de renverser des structures de pensée dominantes depuis des siècles, un paradigme qui est au cœur de notre façon de penser collective.
La prise de conscience de cette réalité explique à la fois la difficulté d’obtenir un résultat dans le champ du combat politique, et cependant la nécessité de ce combat. Car on navigue à contre-courant, dans une société qui comprend mal au nom de quoi on se bat, et surtout réagit vite par des condamnations radicales, dès qu’elle sent qu’il s’agit d’un retournement en profondeur des valeurs dominantes. D’autant en outre que dans le champ politique le succès ne dépend pas que de la justesse des idées, tant s’en faut, mais plus encore de la personnalité des leaders (et de leur adéquation aux circonstances), de la capacité à intégrer des dimensions multiples, et des circonstances, voire de la chance. Sans De Gaulle, 1958 aurait été très différent. Sans 1958, le sort de De Gaulle de même. Or ni ces leaders ni ces circonstances ne sont dépendants de nous. Les deux horizons temporels sont donc de nature très différente.
Beaucoup souhaitent une recomposition de la droite dans son ensemble, groupant au moins conservateurs, souverainistes et populistes, et éventuellement plus. On voit l’intérêt qu’aurait la démarche, dans le champ politique. A terme proche cela paraît cependant irréaliste, au moins tant que les Républicains n’auront pas vu l’échec du retour à l’UMP, tant que Marine Le Pen sera là, tant que les chapelles dominent ailleurs, et tant qu’un leader ne s’est pas détaché (et Marion Maréchal ne peut l’être à ce stade, pour ne parler que d’elle). Le moment n’est donc pas propice.
Il faut donc à la fois lever la tête au-dessus du guidon, regarder droit devant soi, et savoir que cette course-là ne se gagne vraiment que sur la longue durée. Et que cela suppose de passer par une succession de péripéties hasardeuses, qu’il ne faut pas rater ou pas toujours, mais qui à elles seules ont assez peu de signification. Le vrai horizon est ailleurs, et la vraie fidélité s’y attache, comme le vrai courage. Et l’occasion viendra.
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