Marc Crapez : « Qu’allait faire Alain Finkielkraut place de la République ? »

[Source: Nouvelles de France]

Entretien sans langue de bois avec Marc Crapez, politologue et auteur d’Eloge de la pensée de droite(éditions Jean-Cyrille Godefroy) sur l’actualité du moment

Que pensez-vous de l’éjection d’Alain Finkielkraut de la place de la République dans la nuit de samedi à dimanche ? Faut-il y voir de l’antisémitisme ou un rejet d’un philosophe en voie de droitisation ? Michel Onfray aurait-il pu être traité de la sorte par les mêmes personnes ? La gauche n’a que le mot tolérance à la bouche, pourquoi a-t-elle tant de mal à passer de la théorie à la pratique ?

Je suis évidemment heurté par l’intolérance de ceux qui l’ont houspillé. J’avais même défendu Alain Finkielkraut face aux critiques captieuses dont faisait l’objet l’un de ses livres. Aujourd’hui, c’est sur lui que je porterai un regard critique. Mais que diable allait-il faire dans cette galère !

« Contrairement à ce qu’il dit, Alain Finkielkraut n’a pas failli se faire « lyncher ». Quant à sa réaction dans le feu de l’action, elle est lamentable. »

Cet intellectuel, qui passe en boucle dans les médias, pose à la victime et au martyr. Contrairement à ce qu’il dit, il n’a pas failli se faire « lyncher ». Quant à sa réaction dans le feu de l’action, elle est lamentable. On ne traite pas de fascistes des gens qui vous traitent de fasciste. Cela rappelle une caricature de Willem, dans Libé, où des intellectuels parisianistes se crêpent le chignon : « Hitler ! Hitler toi-même ! Non c’est toi le Hitler ! etc. ». Autrement dit, au lieu de réfuter la vacuité intellectuelle qui consiste à voir des fascistes partout, il l’a avalisée en s’affichant comme plus à gauche, ou mieux à gauche, que les adversaires d’extrême-gauche qu’il avait en face de lui. Ici, comme dans les Animaux malades de la peste, « un loup, quelque peu clerc… cria haro sur le baudet… ce pelé, ce galeux, d’où venait tout leur mal ».

Qu’allait-il faire place de la République ? Finkielkraut déclare avoir voulu se mettre à l’écoute du mouvement « nuit debout ». Pure et simple démagogie intellectualiste ! C’est le syndrome de Sartre haranguant sur son tonneau, en 1970, un parterre clairsemé. Cette parodie de la célèbre photo de 1913, où Jaurès haranguait la foule, est une farce. Sartre déblatérait sur la « liaison du peuple et des intellectuels », ces derniers étant censés se mettre à l’écoute du premier. Mais derrière cette noble cause, se profile l’intellectuel bouffi d’orgueil. Mythologie messianique du sauveur qui, comme Pétain, fait don de sa précieuse personne. Dans une sorte de rivalité mimétique avec BHL, aux antipodes de Charles Péguy, Finkielkraut entérine le règne de la société du spectacle, où l’intellectuel célébrissime se prend pour la conscience universelle. Ceci répond indirectement à votre question sur la tolérance qui, en l’espèce, est un faux-semblant.

Nuit debout rassemble quelques centaines de personnes chaque soir place de la République, dont beaucoup de syndicalistes/révolutionnaires et de moins jeunes, le succès du mouvement n’est-il pas exagéré par les médias ? Comment expliquer la mansuétude des autorités à leur égard en plein état d’urgence ?

« Le campement des Indignés à la française, par contre, est une histoire à dormir debout, qui n’est représentative que l’enkystement d’un noyau d’extrémistes. »

Exagéré en effet. Il y a eu la séquence des manifestations lycéennes, avec une certaine ampleur. Le campement des Indignés à la française, par contre, est une histoire à dormir debout, qui n’est représentative que l’enkystement d’un noyau d’extrémistes. En début d’année, le jour où ils ont provoqué à Calais des scènes de guerre civile, un reportage diffusé dans l’émission « C dans l’air » faisait témoigner Yves Calvi, qui s’était rendu en personne à Notre-Dame-des-Landes et avait été sidéré de découvrir des immigrés clandestins venus de Calais ! Cette anecdote recoupe un fait sur lequel j’avais, en son temps, attiré l’attention : le père de Leonarda aurait été recruté par un PS local pour coller des affiches en échange de promesses de naturalisation ! Clientélisme et collusion entre la gauche, l’extrême-gauche et le laxisme migratoire ?

Que pensez-vous du mouvement lancé par Emmanuel Macron « En Avance ! » Même si on ne partage pas toutes ses idées, on ne peut que trouver l’initiative rafraichissante, surtout qu’elle vient d’un homme issu de la société civile… D’autres notent qu’il parle beaucoup mais que son bilan est pour l’instant proche de zéro, bref que tout ceci ne serait que du vent…

Macron est le chouchou du parti intellectuel. Les intellectuels, qui par une sorte de loi des rendements décroissants sont, proportionnellement à leurs prétentions, moins intelligents que le reste de la population, ont besoin de totems, de tabous, de grigris, de forces malignes et de sorciers qui font pleuvoir. C’est dans cette dernière catégorie que se situe Emmanuel Macron, créature du parti intellectuel propulsée par les médias.

« Macron est le chouchou du parti intellectuel. »

Raymond Aron observait déjà la surestimation d’un Pierre Mendès-France en tant que coqueluche des intellectuels. Ceux-ci ont besoin d’un héros qui passe pour intelligent, centriste, antifasciste et mésestimée par l’ingratitude populaire : papa pourrait réparer mon joujou (moderniser la France) si cette maudite élection présidentielle au suffrage universel direct ne l’en empêchait !

Dans ce scénario écrit d’avance, qui flatte la vanité des intellectuels, le premier rôle incomba à Mendès-France, puis à Michel Rocard (dont le bilan à Matignon est pourtant maigre), puis au Raymond Barre anti-chiraquien de la campagne de 1988, puis à Édouard Balladur, puis à Dominique Strauss-Kahn, enfin actuellement à Alain Juppé et Emmanuel Macron, sans qu’on sache au juste en quoi ils seraient particulièrement compétents. Le compliment de Chirac sur Juppé (« le meilleur d’entre nous ») est vague et le bilan de Juppé en tant que Premier ministre fut calamiteux. Quant à Macron, son bilan en tant que ministre est effectivement mince.

Le phénomène Macron n’illustre-t-il pas la profonde mutation que la société française est en train de vivre avec une jeunesse qui se pose la question de l’entrepreneuriat quand ses rêvent encore de fonction publique pour elle ?

C’est possible. Je serais plutôt tenté de voir dans cette pseudo-génialité, décerné par les intellectuels et les journalistes, le symptôme d’un vieux fond monarchiste et élitiste dans la vie politique française. Le caprice du prince proroge une forme de distinction entre une classe prédestinée et une forme de Tiers-Etat. Mansuétude de la justice à l’endroit de tel acteur ou de telle présentatrice, dirigeant cégétiste « recasé » dans un placard doré, ex-Premier ministre remis dans le circuit (Jean-Marc Ayrault). Nous sommes à peu près au niveau du Brésil, sauf que Dilma Rousseff, qui venait de recaser Lula, se retrouve destituée.

« On assiste à une régression néo-féodale. »

On assiste à une régression néo-féodale. Les radars vont être privatisés. Or, c’est contre la levée des impôts et taxes par des fermiers généraux que nos aïeux ont fait la Révolution française. Contre l’arbitraire d’une justice à deux vitesses. Contre la corruption et la connivence des élites.

Que pensez-vous du geste inédit du Pape ? Peut-on l’approuver et pour autant désapprouver l’immigration-invasion ?

J’ai montré que ce pape n’était peut-être pas entièrement exempt du péché d’orgueil. Il semblerait aussi qu’il épouse les préjugés des élites. Il vante, en effet, « une humanité qui veut construire des ponts », alors que « les barrières créent des divisions ». Il rejette donc frontières et souverainetés dans une infra-humanité égoïste et frileuse… C’est l’idéologie de l’Union européenne.

« Le seul Etat que ce pape n’aura pas combattu, c’est la dictature argentine. »

Le pape déclare n’avoir « jamais été de droite ». Lave les pieds de détenus musulmans. Affirme que Donald Trump n’est pas bon catholique. Ramène des immigrés musulmans au Vatican. Son slogan « Nous sommes tous des migrants » insinue que ceux-ci seraient menacés comme les juifs du temps du nazisme. C’est une diabolisation des Etats, dont certains ont des velléités de se protéger des flux migratoires. Les Etats se voient reprocher leur nature d’entités politiques chargées de la concorde intérieure et de la sûreté extérieure. Les nations occidentales se trouvent diabolisées du seul fait qu’elles prétendraient demeurer des nations. Alors que traditionnellement, le pape tance les nations sans s’immiscer dans leur politique, conformément à la fameuse distinction des ordres entre César et Dieu.

Le seul Etat que ce pape n’aura pas combattu, c’est la dictature argentine. Est-il resté silencieux en étant au courant, dès 1977, de l’existence de nourrissons volés à certaines familles de victimes pour être éduqués dans des familles de notables du régime ? Entendu comme témoin, lors d’un procès en 2010, le cardinal jésuite Bergoglio déclarait, par exemple, au sujet d’Untel : « Je ne me souviens pas du tout qu’il m’a précisé que sa fille était enceinte »…