[Débat parlementaire de bioéthique, intervention du 10/02/11, extraits] — L'un des points essentiels de l'article 9 [du projet de loi] est la généralisation systématique du diagnostic prénatal, quel que soit l'âge de la mère, afin de prévenir – c'est essentiellement fait pour cela – la trisomie 21. Je m'oppose, en cela, à une démarche que je juge eugéniste.

Ce diagnostic prénatal a pour objet d'évaluer les risques qu'a l'enfant à naître d'être atteint de ce fameux syndrome de la trisomie 21. Le problème, c'est que celle-ci se détecte, mais ne se soigne pas. Normalement, un diagnostic aboutit à une thérapie, fût-elle incertaine. En l'espèce, le diagnostic n'aboutit pas à une quelconque thérapie, en l'état actuel de notre recherche. Peut-être pourrions-nous nous donner les moyens d'une recherche nous permettant d'aboutir à une thérapie, mais en l'espèce, ce n'est pas le cas aujourd'hui. Curieux diagnostic prénatal, qui n'aboutit en fait qu'à placer les femmes, les familles, seules et désemparées, devant le choix dramatique entre l'interruption de grossesse et la naissance d'un enfant qui, chacun le mesure, sera une charge considérable pour cette famille.
Quel est le processus du diagnostic prénatal de la trisomie 21 ? Ce diagnostic débute, aujourd'hui, par des examens à l'aide de méthodes non-invasives : échographie, embryoscopie, ou, plus couramment – et peut-être plus encore, demain –, prise de sang. Une fois cet examen effectué, la future mère attend une quinzaine de jours avant d'en avoir les résultats. Déjà, l'angoisse peut être présente.
Lorsqu'elle reçoit les résultats, elle peut découvrir une suspicion de trisomie 21. La future mère est alors incitée à vérifier cette suspicion par d'autres méthodes, plus invasives, et en particulier par l'amniocentèse. L'acte n'est pas anodin, puisqu'il consiste à ponctionner un peu de liquide amniotique afin de s'assurer s'il y a ou non trisomie 21.
Lorsque les résultats arrivent, et lorsqu'ils aboutissent à une trisomie 21, ils sont présentés comme incontestables : Le docteur l'a dit ! Un rendez-vous est immédiatement proposé afin de prendre une décision. Et la décision, c'est le choix entre l'interruption médicale de grossesse et le fait de porter un enfant qui sera fondamentalement différent.
Seule, devant un choix dramatique
En voyant ce processus, nous voyons que l'on place les familles, les femmes, devant une situation qui aboutit à un choix dramatique. Et à chaque étape qu'on les fait franchir, sans peut-être mesurer le caractère dramatique du choix, elles sont seules, ou ils sont seuls, s'il s'agit de la famille. Absence de soutien, puisque le soutien des associations n'est pas organisé – peut-être évoluerons-nous encore sur ce point. La femme est seule. Et on lui dit, en fait, implicitement : C'est à vous d'assumer. C'est ce que lui dit implicitement la société : Assumez le refus du DPN. Assumez, c'est votre responsabilité, de rompre le processus du diagnostic. Assumez de garder l'enfant. C'est chaque fois la femme, et la famille, qui est seule face à ses responsabilités. Il n'y a pas de soutien de la société. C'est cela qui est grave, et c'est avec cela qu'il faut rompre, me semble-t-il.
Je ne crois pas au caractère systématique de ce dépistage. Pourquoi ? Parce que, quand on regarde les courbes, on s'aperçoit que le risque de trisomie 21 varie de façon complètement asymptotique en fonction de l'âge. Entre vingt et trente ans, il est quasi marginal. Et c'est vrai qu'il existe à trente-huit, trente-neuf, quarante ans, et au-delà — là, la systématisation pourrait avoir un sens. Mais est-il nécessaire de systématiser le dépistage dès l'âge de vingt ans ?
L'obsession du dépistage
On crée une obsession de ce dépistage , déclare le professeur Patrick Leblanc, gynécologue auditionné par la commission, qui vient de réunir sur son nom 700 personnes pour sauver la médecine prénatale. Est-il nécessaire de proposer systématiquement le DPN, et dans quelle limite cette proposition n'est-elle pas une pression sur la mère, alors que, on le sait, elle aboutit dans la plupart des cas à un avortement systématique ? On n'éradique pas la maladie – on n'en a pas les moyens –, mais, de fait, on éradique une population, on cible une population, on définit des critères, on organise la sélection. Comment cela s'appelle-t-il, sinon de l'eugénisme ? C'est la question que pose, tout aussi explicitement, Patrick Leblanc, qui dénonce une étape de plus vers l'eugénisme.
Cette éradication aura d'ailleurs été accompagnée de dégâts collatéraux. Combien d'enfants qui n'ont pas vu le jour alors qu'ils n'étaient pas trisomiques ? Je connais un couple, en Ille-et-Vilaine. On leur avait promis que l'enfant que portait la mère était trisomique. Pour diverses raisons, ils ont gardé l'enfant. Il s'est avéré on ne peut plus normal. Voilà des choses que l'on ne dit pas, sur lesquelles nous n'avons pas de statistiques, mais qui sont exactes, et qui révèlent de véritables dégâts collatéraux.
Dégâts collatéraux, également, dans l'amniocentèse, qui peut aboutir – on parle de 1 % – à une fausse couche.
Nous touchons à une question cruciale. Notre société est-elle capable de prendre en compte la vulnérabilité et de respecter ce qui est vulnérable ? L'enfant que nous accueillons n'est pas celui auquel on rêve. L'enfant est un sujet en soi. Il n'est pas l'objet de quiconque, fût-ce de ses parents. Se perfectionner est une ambition légitime. Prétendre à la perfection est toujours une dérive. On mesure le degré de civilisation d'une société à sa capacité d'accueil et d'accompagnement des personnes vulnérables, des grands vieillards, des handicapés, des enfants trisomiques. Nous serons jugés, le degré de civilisation de notre société sera aussi jugé, à cet égard.
Je voudrais faire une citation devant vous, une citation qui évoque Anne, une petite fille trisomique, né dans un couple pas tout à fait banal, le couple formé par Yvonne et Charles de Gaulle. Que dit d'elle le général de Gaulle ? Anne ? Oui, sa naissance a été une épreuve pour ma femme et pour moi. Mais, croyez-moi, Anne est ma force. Elle m'aide à demeurer dans la modestie des limites et des impuissances humaines.
Elle m'aide à demeurer dans la modestie des limites et des impuissances humaines. Et qui dit cela ? Le général de Gaulle, qui a combattu le nazisme et son eugénisme. Le vainqueur de ceux qui niaient la vulnérabilité pour mieux rechercher la perfection, recherche aussi vaine que dangereuse.
Je sais que le monde du handicap, et particulièrement le monde du handicap mental, fait peur. Non seulement il fait peur, mais parfois il provoque un sentiment de répulsion. On le sait, cela existe dans notre société. Et pourtant, ces enfants, ces hommes et ces femmes ont des noms, ont des prénoms. Il s'agit d'Anne. Il s'agit d'Éléonore. Il s'agit de Pascal. Il s'agit de Caroline. Il s'agit de Pierre, de Luc. Il s'agit de Wandrille.
Nous sommes ici plusieurs à avoir soutenu la loi sur le handicap, la loi du 11 février 2005. Il y a presque six ans. Pour beaucoup d'entre nous, c'est un sujet de fierté. Et quelle est la philosophie de cette loi ? C'est qu'elle place la personne handicapée, non plus aux marges de notre société, mais au centre. Ce doit être le cas aussi pour les handicapés mentaux en général, et les jeunes trisomiques en particulier. Écoutez ce que nous disent les parents, dans le journal La Vie, tout récemment : Nous, parents de jeunes et adultes atteints de la trisomie 21, nous nous battons depuis leur naissance pour que nos enfants soient éduqués, respectés par la société. Et ils nous disent clairement que le plus dur, pour eux, n'est pas la maladie, mais le rejet dont pâtit leur enfant, et par conséquent leur famille, un rejet qui se présente ouvertement ou non, explicitement ou non.
Ces enfants, ces jeunes nous regardent avec leur regard fixe. Souvent, ils quêtent un sourire. Sachons y répondre. Ils nous le rendront au centuple, car ils débordent d'affection, comme s'ils éprouvaient le besoin de compenser. Ils sont pétris d'humanité, ils sont parties d'humanité, ils sont témoins d'humanité.
*Marc Le Fur est député des Côtes d'Armor, vice-président de l'Assemblée nationale.

 

Amendement 67
Pour réduire le dépistage prénatal aux maladies qui peuvent faire l'objet d'une thérapie
Marc Le Fur. Monsieur le président, Monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai largement engagé le débat sur cet amendement en intervenant à la tribune ce matin. Je suis un partisan résolu de tout diagnostic, mais dans la mesure où celui-ci permet de guérir. Dans le cas de la trisomie 21, il permet de connaître sans guérir. La seule alternative laissée aux parents, et plus particulièrement à la femme, c'est de garder un enfant, qui, ne le nions pas, sera un poids durant toute son existence, ou d'avorter. La solution que je préconise est donc cohérente et simple.
La défense de cet amendement me donne aussi l'occasion de répondre à M. Le Déaut. En dépit des propos tout à fait intéressants, mesurés et argumentés qu'il a tenus, je suis convaincu qu'on peut bel et bien parler d'eugénisme. Avec des taux plus marginaux, il n'en serait sans doute pas question, mais lorsque 96 % des cas de trisomie détectés donnent lieu à une interruption médicale de grossesse, c'est bien le cas. Certains considèrent que l'on ne peut parler d'eugénisme tant qu'il n'y a pas de pouvoir central ou d'obligation. Il est vrai que, à chaque étape, une ouverture est laissée à la femme. Mais la pression sociale est si forte qu'elle tient lieu de pouvoir central. Pour éviter cette pression, nous avons eu l'idée d'accompagner la femme confrontée à ce drame – c'est aussi le sujet d'autres amendements qui seront défendus par nos collègues.
Que dit la loi sur l'eugénisme ? L'article 16-4 du code civil est on ne peut plus clair : Toute pratique eugénique tendant à l'organisation de la sélection des personnes est interdite. Mais ce n'est là que l'une de ces lois pétitions de principe et, sauf erreur de ma part, aucune sanction n'a jamais été prévue pour combattre ces pratiques eugéniques. En l'occurrence, je le répète, nous sommes à 96 % et les conditions sont réunies pour l'eugénisme : la population est ciblée, les critères sont spécifiques – la trisomie 21 – et la stratégie est collective.
Je suis tout à fait d'accord avec vous, monsieur Le Déaut, et je suis un partisan résolu de toutes les formes de diagnostic, dans la mesure où elles peuvent aboutir à des thérapies. S'il ne devait y avoir qu'un seul enfant sauvé, tous les diagnostics se justifieraient. Mais, chacun en convient, le diagnostic de la trisomie 21 ne sauve aucun enfant.
J'entends bien votre argument sur la toxoplasmose, dont le diagnostic a permis de soigner et de guérir, et j'en avancerai même un autre, qui nous est soufflé par les médecins : lorsqu'elles sont détectées in utero, certaines cardiopathies congénitales peuvent être soignées très tôt, juste après la naissance. Il faut donc bien évidemment encourager le diagnostic prénatal. Mais si cet encouragement ne doit conduire qu'à éradiquer, non pas la trisomie 21, comme je crois l'avoir démontré, mais les trisomiques, la question qui se pose à la société est tout autre. Chacun en convient, mais le tout n'est pas d'en convenir : c'est de tirer les conclusions qui s'imposent.
Mon amendement a donc pour objet de faire baisser la pression sociale, c'est-à-dire d'accompagner les familles concernées, y compris dans l'éventuelle acceptation du handicap de leur enfant.
Il vise également à réformer ce que l'on pourrait appeler une véritable gare de triage , ces trois étapes qui sont de fait inéluctables : on commence par un test anodin, qui n'engage pas tant que cela, mais dont les résultats, peu à peu, conduisent à des actes plus graves, à un processus qu'on ne peut arrêter. Le diagnostic n'a d'intérêt que s'il permet de guérir ou au moins de soulager. Ce n'est pas le cas en l'espèce, et c'est ce qui justifie mon amendement.