Les médecins de la reproduction ont obtenu gain de cause, le projet de loi du gouvernement relatif à la bioéthique (cf. Décryptage, 22 octobre) a prévu un dispositif pour autoriser la pratique de la congélation ultrarapide – ou vitrification – des ovules, des cellules qui suscitent toutes les convoitises. Avec de nouvelles dérives éthiques en perspective.
Depuis l'avènement des fécondations in vitro, les équipes d'assistance médicale à la procréation cherchent à congeler les ovules ou ovocytes comme ils sont parvenus à la faire avec les spermatozoïdes en 1953 et les embryons en 1984 [1]. L'ovocyte étant composé d'une forte proportion d'eau, la formation de cristaux de glace conduisant à l'éclatement de cette cellule fragile et volumineuse a grevé jusqu'ici les résultats de la congélation classique.
Depuis une dizaine d'années pourtant, la mise au point d'une technique de refroidissement ultra-rapide (quelques secondes au lieu d'une à deux heures) est en train de changer la donne. Induisant un état vitreux, donc solide mais non cristallisé, la vitrification permet de cryopréserver des ovocytes avec une certaine efficacité. Résultat, la première naissance humaine à partir d'un ovocyte préalablement vitrifié a été rapportée en 1999 par l'équipe japonaise de Kuleshova [2]. Une étude conduite dans trois centres en Colombie, au Canada et au Mexique fait état de 165 grossesses et 200 naissances issues de fécondations in vitro avec ICSI (Injection Intra-Cytoplasmique de Spermatozoïde) d'ovocytes vitrifiés. On estime le rendement à 1,8 naissance pour 100 ovocytes décongelés [3].
Déverrouillage
L'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) et le ministère de la Santé ont jusqu'à présent rejeté toutes les demandes d'autorisation déposées par les équipes françaises. Une décision conforme à la législation puisque cette nouvelle technique implique une expérimentation indirecte sur l'embryon humain, laquelle tombe sous le coup de deux dispositions du Code de la santé publique : l'article L. 2151-2 qui pose que la conception in vitro d'embryon humain à des fins de recherche est interdite et l'article L. 2151-5 selon lequel les embryons sur lesquels une recherche a été conduite ne peuvent être transférés à des fins de gestation .
Suite à un patient travail de lobbying auprès des autorités compétentes et une offensive médiatique tous azimuts, les spécialistes de la médecine de la reproduction — avec l'appui discret mais efficace de l'Agence de la biomédecine —, viennent d'obtenir une première victoire.
L'article 20 de l'avant-projet de loi du gouvernement sur la révision des lois de bioéthique prévoit en effet de modifier le Code de la santé publique par la disposition suivante : La liste des procédés biologiques utilisés en assistance médicale à la procréation est fixée par arrêté du ministre chargé de la Santé après avis de l'Agence de la biomédecine (article L. 2141-1 modifié). Autrement dit, le gouvernement déverrouille le système en permettant à de nouvelles techniques d'AMP, vitrification en tête, d'être testées au risque de contourner l'interdiction légale de créer des embryons pour la recherche.
Inquiétudes
Rien ne dit par ailleurs que cette technique de congélation ultrarapide soit sûre pour la santé humaine. Contrairement à la congélation classique, la vitrification nécessite d'augmenter massivement les concentrations chimiques des cryoprotecteurs et de plonger directement les ovocytes dans l'azote liquide sans les protéger dans des paillettes comme c'est le cas avec les spermatozoïdes ou les embryons. Comment éviter une éventuelle contamination par des agents viraux ou bactériens ? Le docteur Lionel Dessolle estime que nous manquons de données pour garantir aujourd'hui l'innocuité de ces techniques [4] .
Même inquiétude du côté de l'Afssaps où Fabienne Bartoli, adjointe au directeur général, rappelle qu'on a très peu de recul sur d'éventuelles conséquences à long terme. Dans les pays où la vitrification des ovules est pratiquée, des enfants sont certes nés en bonne santé. Mais on ne sait rien de possibles sur-risques de maladie au bout de 20, 30 ou 60 ans [5] . En autorisant la vitrification, les pouvoirs publics prennent le risque de faire naître des personnes sur lesquelles on aura expérimenté sans souci d'un éventuel retentissement sur leur santé et sans recueil de leur consentement.
Qu'importe, le discours des praticiens de la reproduction a parfaitement fonctionné et le professeur René Frydman, père scientifique du premier bébé éprouvette français, a mis un point d'honneur à s'en faire le porte-parole. Aujourd'hui, la France a mis en place un système de blocage absurde qui bride toute innovation dans le champ de la médecine de la reproduction, martèle le chef de service de gynécologie-obstétrique de l'hôpital Antoine-Béclère de Clamart [6]. Avec pareil dispositif – comprenez obscurantiste et relevant d'un autre âge – Robert Edwards, prix Nobel de médecine 2010, n'aurait jamais pu mettre au point la pratique de la fécondation in vitro dans l'espère humaine. Quant à la découverte au début des années quatre-vingt-dix de l'injection intra-cytoplasmique de spermatozoïde (ICSI), elle aurait été tout bonnement impossible [7].
Pour faire pencher la balance à leur avantage et obtenir un assouplissement de la loi, les praticiens ont habillé leur revendication de subtiles considérations éthiques. Singulièrement en défendant l'idée que la vitrification des ovules permettrait de se passer à terme de la congélation d'embryons sujette à de nombreuses interrogations éthiques [8] . Autrement dit, ne seraient plus créés que les embryons nécessaires au projet parental en fécondant les ovocytes vitrifiés à la demande.
De la part de médecins qui alimentent les cuves des centres d'AMP en embryons surnuméraires depuis presque deux décennies, le propos ne manque pas de piquant. Il est en outre faux. Aujourd'hui de nombreux spécialistes, dont Fabienne Bartoli, récusent cet argument opportuniste et rappellent que la vitrification ne fera au mieux que diminuer en nombre la congélation d'embryons humains sans que l'on puisse vraiment s'en passer [9]. À la question : "La vitrification permettrait-elle de ne plus congeler de nouveaux embryons ?", le professeur Pierre Jouannet, consultant en AMP à l'hôpital Cochin, répond également par la négative : Il nous faudra toujours, lorsqu'on prélève 10 ovocytes chez la femme, faire féconder 3 ou 4 ovocytes afin de garantir l'obtention d'au moins un embryon viable [10]. Les recommandations actuelles préconisant l'implantation d'un seul (voire deux) embryon, il faudra bien continuer à congeler les autres.
Choix éthique ou technique ?
Contrairement aux idées reçues, l'Allemagne ou l'Italie n'ont pas attendu d'hypothétiques progrès en matière de vitrification des ovules pour interdire la production d'embryons surnuméraires. Il s'agit avant tout d'un choix éthique et politique et non technique.
Dans le contexte français actuel où aucun responsable politique n'a le courage de revenir en arrière en proposant de prohiber strictement la création d'embryons en trop ainsi que leur cryoconservation à l'instar d'autres États européens, l'autorisation de la vitrification des ovocytes aboutira à constituer deux stocks distincts : un d'embryons et un autre d'ovules.
C'est exactement ce que souhaitent aujourd'hui plusieurs praticiens pour relancer la filière du don d'ovocytes dans notre pays. Cette méthode pourrait faciliter l'accessibilité au don d'ovocytes en France du fait de la création de banques d'ovocytes congelés surnuméraires, anonymes, qui seraient plus facilement donnés par les patientes ayant réalisé leur projet parental , fait valoir René Frydman (Le Monde, 20 mai 2010). Même propos chez son collègue de l'hôpital Cochin, le docteur Jean-Marie Kunstmann : Avec [la vitrification], les femmes qui ont eu des enfants et auxquelles il reste des ovocytes congelés seraient nombreuses à en faire don à d'autres couples stériles car donner des gamètes est beaucoup plus facile que donner un embryon (La Croix, 22 juin 2010).
De fait, nous assistons à un détournement de la technique de vitrification pour pallier la pénurie chronique du don d'ovocytes. La demande explose en effet en France depuis que le cette pratique, initialement proposée chez des patientes privées d'ovaires, a vu ses indications s'élargir aux insuffisances ovariennes débutantes et à présent aux échecs de fécondation in vitro [11]. Avec la possibilité de constituer un surstock d'ovocytes, les femmes engagées dans un parcours classique d'AMP se verront encouragées à donner leurs précieuses cellules. Car ce qui freine aujourd'hui l'approvisionnement en ovocytes est la pénibilité de leur recueil, qui plus est non dépourvue de complications médicales. En autorisant la vitrification de gamètes féminins au détour de n'importe quel parcours de FIV, il sera aisé de proposer à chaque femme de faire un geste de générosité en faveur d'une autre moins chanceuse qu'elle, la promotion risquant de se transformer bien vite en incitation.
Madame, vous avez bénéficié gracieusement des performances de la biomédecine qui vous ont permis de concevoir l'enfant que vous ne pouviez pas avoir naturellement. À présent que votre projet parental est comblé, voulez-vous vraiment détruire les huit ovocytes que nous vous avons généreusement gardés au cas où vous en auriez eu encore besoin ? N'est-il pas préférable de les offrir par altruisme à une femme qui en est dépourvue et dont le bonheur dépend peut-être de votre décision ? N'est-ce pas à peu près l' extorsion affective plus ou moins explicite qui sera exercée sur les femmes si les centres d'AMP stockent massivement leurs cellules reproductrices ?
Les Anglo-Saxons ont forgé le concept d'équitabilité pour défendre cette thèse du donnant-donnant . Tout individu qui sollicite un système est tenu de contribuer à son fonctionnement en payant éventuellement de sa personne. Nous y allons tout droit. Le professeur Frydman souhaite par exemple inclure dans la catégorie des donneuses des jeunes femmes qui ne sont pas déjà mères. La loi interdit en effet le don d'ovocytes chez les femmes sans enfant en raison des risques de stérilité induite par le prélèvement. C'est un peu idiot, car se sont souvent les femmes jeunes sans enfant qui ont le plus envie de donner, dit-il. Il suffirait de leur permettre, lorsqu'elles font un don, de congeler plusieurs de leurs propres ovules pour elles. C'est très simple (Le Parisien, 12 octobre 2010).
Si on pousse le raisonnement jusqu'à son paroxysme, on peut en effet imaginer que les femmes, en échange d'une ou deux cellules, fassent vitrifier leurs ovules lorsqu'ils sont jeunes et de qualité optimale. Une fécondation in vitro avec les spermatozoïdes de l'homme de leur choix leur permettrait de mener une grossesse après l'âge de 35 ou 40 ans, lorsque les études et un début de carrière prometteurs sont derrière soi et ce, sans aucune perte de chance en matière de fertilité .
Chantage compassionnel
Parce qu'il faut bien atténuer le caractère transgressif de la vitrification pour la rendre moralement plus acceptable, les professionnels ont mis en avant un argument massue pour obtenir le feu vert des autorités. La technique de congélation ultrarapide est particulièrement utile pour préserver la fertilité des femmes jeunes atteintes de cancer. Il y a deux solutions : congeler leurs embryons, mais à 18-25 ans, elles n'ont pas forcément trouvé l'homme de leur vie ou congeler leurs ovules avec la technique qui a fait ses preuves au Japon, la vitrification des ovules. Or, on est dans une situation ubuesque où la technique la plus appropriée n'est pas autorisée en France pour l'ovule (René Frydman, Le Parisien, 12 octobre 2010). Quel responsable politique pourrait rester insensible devant pareil chantage compassionnel ?
Sauf que le raisonnement sensé nous désarmer, comme l'argument de la baisse escomptée du nombre d'embryons congelés, est lui aussi erroné. Lorsqu'une femme doit malheureusement subir un traitement stérilisant comme une chimiothérapie ou une radiothérapie, il est désormais possible de lui prélever chirurgicalement du tissu ovarien, de le congeler puis, une fois guérie, de lui greffer des fragments qui produiront des ovocytes matures. Un premier enfant est né naturellement en France en 2009 après une autogreffe de cortex ovarien. Il existe donc une alternative parfaitement éthique à la congélation des ovules pour les femmes risquant de perdre leur fertilité. Science et éthique ne s'opposent pas, nul besoin de convoiter les ovules pour faire progresser la médecine.
Sans compter que s'accaparer les cellules reproductrices féminines ne pourra qu'élargir encore plus le fossé entre maternité biologique et sociale, avec les problèmes insolubles de levée ou non de l'anonymat des donneurs dont nous sommes témoins aujourd'hui. La vitrification des ovules est une formidable machine à dissocier la procréation de la filiation. Comme le spermatozoïde, l'ovule est porteur de l'aspect généalogique de la personne. Il n'est pas possible de le déconnecter de la femme dont il est issu et qui sera la mère biologique de l'enfant ainsi conçu. En donnant ses ovules, une femme ne peut ignorer qu'elle contribue de manière décisive à la venue au monde d'un être humain qui lui sera profondément lié comme le montre la quête éperdue des enfants nés de gamètes inconnus . Parce qu'ils ont un statut anthropologique bien spécifique, le vrai progrès moral consisterait à rendre indisponibles les gamètes.
[1] Le biologiste américain J.K Sherman réalise en 1953 la première insémination artificielle avec du sperme humain congelé puis crée en 1962 la première banque de sperme. En France, le premier Centre d'étude et de conservation des œufs et du sperme humain (Cecos) est officiellement créé en 1973. Le 11 avril 1984, l'Australien Alan Trounson parvient à faire naître le premier enfant issu d'un embryon congelé.
[2] Kuleshova L, Gianaroli L, Magli C, Ferreretti A, Trounson A. Birth following vitrification of a small number of human oocytes : case report. Hum Reprod 1999; 14:3077-9.
[3] Chian RC, Huang JY, Tan SL, Lucena E, Saa A, Rojas A et al. Obstetric and perinatal outcome in 200 infants conceived from vitrified oocytes. Reprod BioMed Online 2008; 16(5):608-10.
[4] Dessolle L, de Larouzière V, Ravel C, Berthaut I, Antoine JM, Mandelbaum J. Congélation lente et vitrification des ovocytes humains matures et immatures. Gynécologie Obstétrique & Fertilité 37(2009), 712-19.
[5] Marine Lamoureux, Vers la fin des embryons surnuméraires ? , La Croix, 22 juin 2010.
[6] Hélène Bry, Entretien avec René Frydman, Nous sommes encore considérés comme des apprentis sorciers , Le Parisien, 12 octobre 2010.
[7] L'ICSI consiste à introduire mécaniquement au moyen d'une aiguille microscopique un seul spermatozoïde dans un ovocyte maintenu immobile. Elle a été découverte accidentellement par l'équipe bruxelloise de Gianpiero Palermo en 1992 lors d'une erreur de manipulation.
[8] René Frydman, La vitrification d'ovocytes devrait conduire à assouplir la loi bioéthique , Le Monde, 20 mai 2010.
[9] La Croix, 22 juin 2010.
[10] Kheira Bettayeb, Un stock encombrant , Science et Vie, décembre 2009, n. 249, p. 95.
[11] Le Lannou D, Griveau JF, Veron E, Jaffre F, Jouve G, Descheemaeker, Gueho A, Morcel K, Pour un don d'ovocytes à la française , Gynécologie Obstétrique & Fertilité 38 (2010) 23-29.
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