Confrontés à une série d’échecs militaires et à la pression efficace de la Russie sur le Moyen-Orient, les États-Unis sont contraints au renversement d’alliances.
LES SANCTIONS économiques à l’encontre de l’Iran n’ont pas produit tous les effets escomptés, même si la situation économique du pays est très difficile. On peut même parler d’échec si l’on considère le nombre actuel de centrifugeuses d’enrichissement d’uranium par rapport à la situation qui prévalait au moment des premières sanctions.
Loin de confiner davantage ce pays, les sanctions l’ont rapproché de la Russie et surtout de la Chine. Or le centre géoéconomique du monde est en train de se déplacer à grande vitesse vers l’Orient. Par conséquent, plus le temps passe, plus les sanctions gênent l’Europe. En réalité, les sanctions américaines ne punissent pas l’Iran mais bien les entreprises européennes.
En effet Washington veut assécher le marché iranien de la concurrence européenne. Or non seulement, les entreprises chinoises ont rempli le vide laissé, mais les sociétés françaises, longtemps découragées par l’hostilité des pouvoirs publics français et des banques, ont été supplantées par leurs concurrents européens, l’Allemagne en particulier. La place de la France s’est effondrée.
Quel est l’élément déclencheur dans ce rapprochement ?
Depuis une décennie, l’alliance souple entre l’Iran, la Chine et la Russie avait constitué une sorte de Nouvel Empire mongol. Une forteresse continentale qui s’opposait en quelque sorte à la puissance océanique déclinante des États-Unis. Mais ce nouvel empire souffrait d’une faiblesse de taille : l’île turcophone, c’est-à-dire la Turquie et les territoires de langue et de culture turque lui échappaient. Or, d’un point de vue historique, c’est bien le centre turco-mongol qui a fédéré l’Empire de Gengis Khan.
L’élément déclencheur est le suivant : le 1er décembre 2014, ont été conclus une série d’accords bilatéraux d’une extrême importance entre la Russie et la Turquie. Vladimir Poutine, qui a retrouvé l’initiative stratégique en désendettant la Russie, a fait échouer le projet de gazoduc russo-européen en lui substituant un nouveau pipeline russo-turc. Ce mouvement vers le sud est un succès diplomatique majeur pour Vladimir Poutine. Ce succès est d’autant plus important qu’il n’a été entouré d’aucune publicité. Or, en raison de la concurrence millénaire entre l’Iran et la Turquie, l’alliance Russie-Iran-Turquie-Chine donne au partenaire russe un rôle de pivot.
Quelle est la stratégie de Barack Obama ?
À la différence de Vladimir Poutine, qui parvient à multiplier les succès stratégiques au sein de sa sphère d’influence et peut compter sur la division des européens sur la question ukrainienne, le Président américain est aux prises avec une accumulation inverse de défaites militaires : Afghanistan, Irak, Libye, Ukraine. Rien ne semble pouvoir enrayer le déclin américain.
En réalité, la politique étrangère américaine porte en elle de telles contradictions, qu’elle entraîne irrémédiablement le chaos. Qui plus est, l’Amérique est tentée par une politique de pillage afin de remédier à son endettement colossal. Tout comme Vladimir Poutine, qui exerce une influence visible sur les conseillers d’Obama, le Président américain cherche à retrouver l’indépendance stratégique. Il lui faut donc revenir à une politique moins aventureuse, plus équilibrée. La meilleure façon de retrouver l’équilibre consiste à se rapprocher de l’Iran. Ce pays va donc devenir au cours des prochain mois le théâtre d’une guerre d’influences géoéconomiques majeure.
Quels sont les atouts de l’Iran pour rentrer dans la communauté des nations ?
L’Iran a montré au cours des derniers mois, qu’il se présentait comme l’adversaire le plus déterminé contre l’État islamique. Les raisons en sont à la fois religieuses et historiques. En effet, l’une des fiertés de l’Iran est de constituer un État millénaire remontant aux dynasties achéménides puis sassanides. Cette ancienneté de l’État lui donne une supériorité sur les monarchies récentes nées à ses côtés. L’on comprend dans ces circonstances que l’expression d’État islamique constitue une contestation directe de la République islamique.
Au-delà de cette opposition culturelle, il ne fait guère de doute qu’une lutte contre l’État islamique qui n’intègrerait pas l’action militaire de l’Iran, serait vouée par avance à l’échec. En effet, l’Iran est la seule puissance qui puisse et veuille intervenir au sol. Les États-Unis le savent. Ils doivent aujourd’hui faire le choix entre des actions de communication visant à se donner l’illusion de la puissance et un retour à la politique, retour qui implique des choix, et par conséquents des renoncements.
L’Iran constitue peut-être le point d’appui ultime à partir duquel les États-Unis pourraient renverser la situation en leur faveur. Cette opportunité passée, ils n’auront d’autre choix que de prendre acte de leurs échecs pour revenir à l’isolationnisme.
Thomas Flichy de La Neuville est membre du Centre Roland-Mousnier, Université de Paris IV-Sorbonne.
Pour aller plus loin :
Olivier Hanne, Thomas Flichy de La Neuville, État islamique, anatomie du nouveau califat, Bernard Giovanangeli, 2014.
Antoine de Prémonville, Thomas Flichy de La Neuville, Géopolitique de l’Iran, Presses Universitaires de France (à paraître, mars 2015).
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Les USA échoueront pour une raison très simple. Depuis des décennies maintenant, ils apparaissent comme un partenaire non fiable à l'inverse de la Russie et de la Chine. Les Iraniens ne voudront donc pas des Américains. D'ailleurs, quels seraient leurs intérêts ? En ce qui concerne l'Europe il faut qu'elle montre clairement son indépendance des USA. Il y a donc un très long chemin à faire. Ensuite il faudra nous montrer être fiables. Là encore le chemin sera long. Au final la probabilité d'effondrement conjoint Europe-USA est la plus forte. Cela arrivera grâce à la nullité des dirigeants occidentaux qui dure depuis maintenant des décennies.