Luc Ferry dans une chronique du Figaro datée du 8 septembre défendait dernièrement son ami Luc Chatel contre ceux, catholiques ou non, qui ne le lâchent pas sur l'enseignement du gender dans les livres de SVT.
En ami de la sagesse autant que de Luc Chatel, l'ancien Ministre cherche à expliquer en profondeur la raison de cette opposition à l'idéologie du gender et s'appuie sur le texte du catéchisme de l'Eglise catholique qu'il prend la peine de citer.
Bien que son point de vue soit documenté, il commet un contre-sens sur la position de l'Eglise. Ce contre-sens est fréquent. Mais il est rare qu'un philosophe donne aussi clairement dans les colonnes du Figaro les motifs de son préjugé et révèle, ce faisant, pourquoi il tombe comme beaucoup d'ailleurs dans le piège tendu à la droite par une partie de la mouvance féministe ou gay.
Le contre-sens consiste à écrire que pour l'Eglise nous sommes de part en part déterminés par la nature, la biologie constituant notre code et notre norme. .
Inexact : l'enseignement de l'Eglise est en effet souvent présenté ainsi par ses adversaires qui le déforment ou par des chrétiens qui le raidissent comme un déterminisme ou un naturalisme.
Or il faut le dire et le répéter, ce n'est nullement l'enseignement du Magistère comme en témoignent des textes tels que le document de décembre 2008 de la commission théologique internationale intitulé A la recherche d'une éthique universelle : nouveau regard sur la loi naturelle , ou des encycliques comme Fides et ratio ou Veritatis Splendor, sans parler de nombreux discours de Jean Paul II ou de Benoît XVI notamment celui du 20 février 2007 à l'Université du Latran qui a pour thème droit moral et naturel . Et l'on peut aussi citer le catéchisme de l'Eglise N° 1954 et suivants : la loi naturelle exprime le sens moral originel qui permet à l'homme de discerner par la raison ce que sont le bien et le mal, la vérité et le mensonge...
Pour l'Eglise, la nature ne détermine pas nos comportements. Le code du bien et du mal, n'est pas inscrit dans la nature ni dans le cœur de l'homme comme une bille dans une boîte de chaussure ou le mètre étalon à Sèvres dans sa niche. Même le décalogue révélé sur le Sinaï à Moïse, les tables de la Loi ne sont pas un manuel de casuistique ou un impératif catégorique extérieur aux hommes, croyants ou non. Le terme dix commandements ne doit pas nous tromper. Il ne nous commande que si nous le voulons, l'acceptons, le choisissons. Bref, nous sommes doués de raison et libres. La loi naturelle est en nous comme une sorte de lumière ou d'activité native de l'intelligence qui s'ouvre – mais peut rester fermée - à la contemplation de la réalité dans laquelle elle reconnaît, en effet, un ordre c'est-à-dire un sens des fins voulues par le créateur.
L'Eglise, quelles que soient nos inclinations, ne nous enseigne donc pas que nous sommes déterminés à un comportement sexuel ou non. Elle n'enseigne pas que la nature nous y contraint, mais qu'elle nous y invite. La nuance est de - grande - taille. Si l'Eglise enseignait que la nature détermine un comportement sexuel, Judith Butler et Luc Chatel n'auraient pas tort de la critiquer.
Mais depuis l'origine elle affirme que la grandeur de la condition humaine est de ne pas être soumis aux déterminismes de la nature. Dans la perspective de l'éthique chrétienne, la bonne règle est toujours une œuvre de la raison droite guidant la liberté de l'homme.
In medio stat virtus
Cette position médiane récuse les deux erreurs d'interprétation ou les deux tentations qui se font face.
Celle assez fréquente dans certains milieux chrétiens qui estime que le bien et le mal sont des données de nature et qu'il suffit, pour être vertueux, d'appliquer une règle qui s'impose de l'extérieur à la conscience, éventuellement avec une certaine violence.
L'autre, celle de Luc Fery et de tous des disciples des Lumières, qui consiste à croire comme il l'écrit : que l'éthique et la politique républicaines, comme du reste la médecine, se constituent justement dans une lutte acharnée contre la logique brutale qui règne dans la nature .
Même si des membres clercs ou laïcs de l'Eglise peuvent balancer entre l'une ou l'autre de ces positions, l'Eglise dans son Magistère a toujours récusé ce volontarisme ou cet existentialisme selon lequel il revient à la liberté de chacun de dire le bien et le mal sans autre repère que la volonté souveraine de chaque individu et ce naturalisme ou ce substantialisme qui pose la loi naturelle comme une réalité extérieure qui, finalement, s'impose à la personne.
La raison de cette position équilibrée trouve sa source dans la vision d'un homme dont l'écriture révèle qu'il est créé à l'Image et à la ressemblance de Dieu. L'Eglise tient aussi du Christ son fondateur que l'homme meurtri, faible, pécheur, est sauvé ; et la nature avec lui. Saint Paul l'écrit aux Corinthiens dans une phrase de feu: Tout est à vous, vous êtes au Christ, le Christ est à Dieu (1co 3,23). Faut-il encore que chacun au plus intime de lui-même le souhaite et le désire. Une fois encore la nuance n'est pas mince : chacun de nous écrit son histoire.
L'Eglise est donc étrangère au dualisme issu des Lumières et à ses problématiques qui opposent l'homme et la nature, voire l'homme à Dieu dans une vision très pessimiste et conflictuelle de l'un et de l'autre comme l'écrit encore Luc Ferry en conclusion de son article dans le Figaro : La nature pour les héritiers des Lumières, c'est d'abord l'ennemi, c'est l'égoïsme et la paresse, la brutalité et la loi du plus fort – de sorte que toute éducation digne de ce nom doit nous en arracher pour nous faire entrer dans l'espace de la civilité, de l'histoire et de la culture. En tant que républicain, je ne puis donc qu'encourager notre ministre, Luc Chatel, à tenir bon sur cette ligne-là.
Grand bien lui fasse et nous fasse, mais malheureusement ce dualisme et ce pessimisme sont la cause de beaucoup de débats inutiles et de grands dégâts depuis deux cent ans.
Car le dualisme est la matrice de toutes les idéologies qui reposent sur la dialectique oppresseur / oppressé. Exemple : le marxisme pour qui la suppression de la propriété privée source de pouvoir et d'oppression pouvait seule permettre l'avènement d'une société sans conflit.
Exemple : l'écologisme profond pour qui Gaia, la terre, doit être sauvée en supprimant l'homme son prédateur ou son parasite.
Exemple : l'idéologie du gender pour laquelle en abolissant la différence sexuelle, cause de l'oppression des femmes par les hommes, nous entrerons enfin dans la société pacifique du genre non plus imposé mais choisi, sans homme ni femme déterminés .
Fausses promesses
Cette promesse est tout aussi fausse que le premier mensonge de l'histoire : vous serez comme des dieux . La réalité, ne parlons pas de nature , se venge de ceux qui ne la respectent pas. Qui disait que l'homme pardonne, pas la nature ?
Dans leur défense de l'humanisme des Lumières Luc Ferry, Luc Chatel et bien d'autres cherchent une solution aux problèmes que suscitent les formes si diverses de la convoitise humaine. Concédons que la défense de stéréotypes soi-disant naturels assignant à la femme et à l'homme un rôle et une place naturel dans la société ont souvent été l'alibi d'une oppression de la femme par l'homme. L'Eglise l'a plusieurs fois reconnu. Mais comment ne pas voir que nier des réalités aussi prégnantes que la différence sexuelle loin de nous libérer risque de devenir un moyen nouveau d'oppression ?
Comme ses devancières, l'idéologie du gender n'est pas seulement la solution au sentiment d'aliénation qu'à tort ou à raison certains ressentent. L'idéologie du gender, comme toutes les idéologies fondées sur la dialectique oppresseur /oppressé se veut, se pense et se déploie dans les habitudes sociales, le droit et les institutions publiques comme une idéologie subversive. Une idéologie qui souhaite reconstruire la société et l'individu sur de nouvelles bases grâce à une minorité qui se sent éclairée pour conduire ce changement.
Désolé messieurs les Ministres un grand nombre de français n'ont pas voté en 2007 pour que vous souteniez cette subversion. C'est même le contraire. En élisant le Président bientôt sortant un très grand nombre d'électeurs ont dit non à mai soixante huit et à son idéologie libertaire.
Vous pouvez défendre au nom d'une modernité dépassée le temple de la contestation qui a ses assises dans les médias et les allées du pouvoir. Cette position ne correspond pas ou plus à un électorat de droite. Il n'est même plus certain que celui de gauche en veuille encore.
Au nom de grands principes qui ont mis à feu et à sang le monde depuis 200 ans et par un refus incompréhensible de reconnaître des évidences comme la différence sexuelle vous risquez de perdre les prochaines élections.
L'opposition entre nature et culture que vous soutenez au nom des principes républicains est en train de devenir l'opposition du peuple et de l'élite. Vous soutenez Luc Chatel, nous soutenons les 80 députés et le grand nombre de sénateurs qui lui ont demandé d'agir pour que les manuels scolaires ne soient pas inspirés par l'idéologie du gender.
Photo : © Wikimédia Commons, auteur : MEDEF, partagé sous licence Creative Commons Attribution-Share Alike 2.0 Generic
***
- Controverse au Vatican (suite)
- Une semaine à l'ombre du gender
- Note du conseil Pontifical Justice et Paix
- François Hollande, déjà la guerre scolaire
- Les amitiés dangereuses
- Xavier Lemoine "un homme politique ne peut igno...
- Mal mort à Bayonne
- La nouvelle constitution hongroise examinée au...
- Rémy Montagne, un démocrate-chrétien dans le si...
- Forces et faiblesses du catholicisme culturel